Après son isolement diplomatique, Israël subit un revers sémantique -  Par Mohamed Chraibi

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Un secouriste palestinien essayant par des moyens rudimentaires d’éteindre l’incendie déclenché par le bombardement israélien d’un camp de réfugiés à Rafah

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Feu Hassan II qualifiait les sorties inopinées de Mouammar Kadhafi de « gaddafiates». Je me suis demandé comment qualifier la dernière trouvaille d’Israël que je rapporte ci-dessous d’après un article de The Guardian (How a single coma is allowing Israël To question the ICJ ruling) (1) ? Isra'ilyate ? Ce serait incorrect, ce terme ayant une signification très sérieuse (2). Qu'importe, voici la trouvaille en question :

Israël a affirmé que le bombardement du 26 mai, à l'origine de l'incendie d’un camp de réfugiés surpeuplé́ à Rafah et tué 45 Palestiniens, ne violait pas la décision de la Cour internationale de Justice (CIJ) qui a ordonné à Israël d'arrêter son offensive militaire sur Rafah. 

La décision, adoptée par 13 voix contre deux, stipule qu'Israël doit : « Mettre immédiatement fin à son offensive militaire et à toute autre action dans le gouvernorat de Rafah, qui pourrait infliger aux Palestiniens de Gaza des conditions de vie susceptibles d'entraîner leur destruction physique dans le gouvernorat de Rafah.  En tout ou en partie. »

Cette formulation, suffisamment claire pour tout esprit sain et de bonne foi, a été, pourtant différemment interprétée par le ministre israélien des Affaires étrangères. Selon lui, l’arrêt de la cour ordonne à son pays de mettre fin à son offensive uniquement si elle infligeait des conditions susceptibles de conduire à la destruction physique de la population de Rafah. D’où l'insertion d'une virgule entre « …Rafah » et « … qui pourrait » dans l’énonciation de la décision de la Cour.

En fait, selon lui, la décision du tribunal ne s’applique pas, parce que l’armée israélienne (la plus morale au monde) ne mène aucune action susceptible de conduire à la destruction physique de la population de Rafah.

Cette interprétation est soutenue par l’un des deux juges de la CIJ opposés à la décision : l’ancien président de la Cour suprême d’Israël, Aharon Barak. Ce qui ne surprend personne. Selon ce dernier « il s’agit d’une mesure nuancée » qui n’empêche pas Israël de poursuivre ses opérations à Rafah « tant qu’il remplit ses obligations au titre de la convention sur le génocide ». Ce qui, clairement, n’est pas le cas comme on le verra ci-dessous dans l'avis du professeur Alonso Gurmendi.

L’autre juge opposée à la décision de la Cour, la juriste ougandaise Julia Sebutinde, soutient également que l’ordonnance « a pour effet de restreindre partiellement l’offensive israélienne à Rafah dans la mesure où elle implique les droits garantis par la convention sur le génocide ». Autrement dit, Israël peut continuer à massacrer les réfugiés amassés dans des tentes à Rafah tant que l'intention génocidaire n'est pas avérée. Ce qui ne diffère en rien de l’interprétation fallacieuse de son collègue israélien Barak.

Parmi les 13 juges qui ont soutenu la décision, le juge roumain Bogdan Aurescu, estime que l'ordonnance « aurait dû être plus claire », et le juge sud-africain Dire Tladi, maintient que le tribunal a « en termes explicites ordonné à l’État d’Israël de mettre fin à son offensive à Rafah ».

Les deux alliés indéfectibles d'Israël, la Grande Bretagne et les U.S.A, n’ont pas commenté l’ordonnance de la Cour internationale de justice. Façon diplomatique d'appuyer la décision de la Cour. Pourtant le Département d’Etat américain n’hésite jamais à soutenir les actions les plus ignominieuses d’Israël à Gaza, allant jusqu’à falsifier les rapports de ses propres services pour absoudre Israël de ses crimes (3). Cette grave accusation mérite qu'on y revienne dans un article spécifique.

Alonso Gurmendi, professeur de relations internationales à l'Université d'Oxford rappelle, de son côté, que l'ordonnance devait être comprise dans le contexte de l’arrêt de la CIJ du 26 janvier 2024 en réponse à la plainte pour génocide déposée par l'Afrique du Sud contre Israël le 29 décembre 2023. Arrêt, qui rappelons-le, n'a pas écarté la présomption de génocide à Gaza qui pèse sur Israël.  Mon point de vue, écrit-il sur les réseaux sociaux, est que le tribunal a ordonné à Israël de mettre fin à son offensive militaire à Rafah, point final.  

Amnesty International et d'autres organisations humanitaires ont également fait savoir que la décision de la CIJ était sans ambiguïté. 

L'avis partisan du juge Barak sur lequel s'est alignée la juriste Sebutinde ne pèse pas lourd face à l’unanimité internationale. Un nouveau revers pour Israël. 

  1. Comment Israël exploite une simple virgule pour mettre en question l’arrêt de la CIJ.
  2. Dans le milieu théologique musulman, on appelle Isra'iliyat ( اسرائیلیات) les récits d'origine juive ou chrétienne… le compagnon du prophète, Abdullah ibn Masud, aurait un jour déclaré : « Ne demandez rien aux gens du Livre (en matière d'exégèse du Coran), car étant dans l’erreur ils ne peuvent vous guider. »  (wikipedia)
  3. Un article de The Guardian du 31 mai 2024 (The US state department falsified report absolving Israel on Gaza aid – ex-official says) rapporte que Stacy Gilbert, chargée de la rédaction de la partie du rapport NSM 20, relative à la délivrance de l'aide alimentaire à Gaza, a démissionné de son poste après avoir constaté que le rapport publié le 10 mai 24 disait l'inverse de ce qu'elle y avait écrit.