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Cinéma, mon amour de Driss Chouika: L’ADAPTATION LITTÉRAIRE DANS LE CINÉMA, UNE DIVERSITÉ ENRICHISSANTE
Les voisines d’Abou Moussa“ de M-A. Tazi d’après le roman de Ahmed Toufiq (2003)
« Qu'on écrive un roman ou un scénario, on organise des rencontres, on vit avec des personnages ; c'est le même plaisir, le même travail, on intensifie la vie ».
François Truffaut.
L'adaptation d'œuvres littéraires au cinéma est une pratique qui remonte aux origines mêmes du septième art. Qu'elles soient tirées de romans, de pièces de théâtre, ou même de poèmes, ces adaptations ont permis de traduire la richesse des textes littéraires en images animées. L'évolution de l'adaptation littéraire dans le cinéma a contribué de manière significative à enrichir et diversifier la création cinématographique mondiale.
Malheureusement, chez nous il y a une sorte de rupture entre les cinéastes et les écrivains qui gardent des rapports bien distants, mises à part quelques expériences qui se comptent sur les bouts des doigts. Depuis l’adaptation de feu Mohamed Reggab de la pièce “Le coiffeur du quartier des pauvres“ de Youssef Fadil en 1982, il y a eu très peu d’adaptations : essentiellement “Les voisines d’Abou Moussa“ de M-A. Tazi d’après le roman de Ahmed Toufiq (2003), “Les chevaux de Dieu“ de Nabil Ayouch d’après une oeuvre de Mahi Binbine (2012), “Une porte sur le ciel“ de Abdelkader Lagtaa d’après un récit autobiographique de Jocelyne Laabi (2014), “Mont Moussa“ de Driss Mrini d’après un roman de Abderrahim Bahir (2022) et dernièrement “Le verre de l’amitié“ de Naoufel Berraoui d’après une oeuvre de Youssef Fadil (2023).
Pourtant, le cinéma est né à la fin du XIXe siècle, et dès le début, les cinéastes ont cherché à s'inspirer de la littérature. Déjà les films muets des années 1900 à la fin des années 1920 ont vu de nombreuses adaptations de contes de fées, de classiques de la littérature et de nouvelles. Des réalisateurs comme George Méliès se sont approprié des récits littéraires pour créer des œuvres visuelles fascinantes. Par exemple, "Le Voyage dans la Lune” (1902) est inspiré de l'œuvre de Jules Verne. L'écrivain et critique André Gide a bien précisé que : « Le théâtre et le cinéma naissent de la littérature. Ce sont des arts qui se nourrissent de l'écrit ». Cette affirmation illustre l'importance de la littérature dans l'émergence des premiers films.
Puis, le passage au cinéma sonore à la fin des années 1920, les possibilités d’adaptation littéraire se sont encore élargies. Les dialogues, les monologues et les récits ont donné vie à des œuvres plus complexes et nuancées. De célèbres adaptations telles que "Les Misérables" de Victor Hugo et "Le Petit Prince" d'Antoine de Saint-Exupéry ont été portées à l'écran, attirant un public plus large. Ces adaptations ont souvent servi de prétextes pour des spectacles grandioses, conjuguant récit littéraire et techniques cinématographiques.
UNE DIVERSITÉ ENRICHISSANTE
Au fil des années, les adaptations littéraires au cinéma ont permis une large diversité qui a fortement enrichi la création cinématographique. L'âge d'or d'Hollywood est marqué par la prolifération d’adaptations littéraires. Des grandes productions comme "Autant en emporte le vent" de Victor Preminger (1939), adapté du roman de Margaret Mitchell, attirèrent des millions de spectateurs. Les studios, conscients de la sécurité financière que représentaient ces adaptations, investirent massivement dans ce créneau. L'écrivain et scénariste américain William Faulkner, ayant collaboré sur plusieurs adaptations, affirmait que « De bons livres sont des films évidents à réaliser ». Ce qui souligne la conviction que la force d'une bonne narration littéraire peut transcender le format.
C'est durant cette époque que l’on a vu de nombreuses adaptations de classiques littéraires, qu’elles soient des romans, des pièces de théâtre ou des nouvelles. Des œuvres telles que "Le Cid" de Corneille et "Roméo et Juliette" de Shakespeare ont été présentées avec des distributions étoilées. Ces adaptations ont permis d'introduire la littérature classique à un public plus large, souvent dans des formats très accessibles. L'impact de ces films est indéniable ; comme l'affirme le critique de cinéma Roger Ebert : « Un film bien adapté peut faire découvrir un livre à des générations qui n'auraient peut-être jamais lu l'œuvre originale ».
Les années 1970 et 1980 ont été marquées par l’adaptation de romans à succès, y compris des œuvres de science-fiction. Des films comme "Le Parrain" de Francis Ford Coppola (1972), adapté du livre de Mario Puzo, ont non seulement reçu un accueil critique favorable, mais ont également connu un immense succès commercial. Ces histoires plus modernes ont su capter l'esprit de leur époque, permettant à un public large d'identifier des thèmes universels au travers de la littérature.
La fin du XXe siècle a également introduit des adaptations littéraires en séries télévisées. Des romans emblématiques tels que "Les Déracinés" de Maurice Barrès et "Les Hauts de Hurlevent" d'Emily Brontë ont été adaptés au petit écran, atteignant un nouveau public. Cette évolution a ouvert la porte à des adaptations plus longues et plus détaillées, permettant une exploration en profondeur des thèmes et des personnages romanciers. Le réalisateur anglais Alan Bridges a souligné l'importance de ces adaptations : « La télévision permet d'approfondir des récits complexes, d'explorer minutieusement la psychologie des personnages ».
Puis, le début du XXIe siècle a vu une prolifération d’adaptations à grand spectacle, souvent basées sur des romans populaires et des best-sellers. Des oeuvres comme "Harry Potter", "Le Seigneur des Anneaux" et "Twilight" ont démontré l'énorme potentiel financier des adaptations. Ces films, avec leurs effets spéciaux impressionnants et des équipes artistiques de haut niveau, attirent des foules massives et marquent la culture populaire. L’auteure J. K. Rowling, créatrice du monde d’Harry Potter, a déclaré : « L'adaptation cinématographique peut offrir un nouveau niveau d'immersion dans un univers que les lecteurs ont déjà adoré ». Cela souligne la capacité des films à enrichir et à élargir l'expérience littéraire.
Les dernières décennies ont également vu une tendance vers des adaptations plus audacieuses et innovantes. Des réalisateurs comme Andrew Dominik ont interprété des œuvres littéraires à leur manière, créant des films qui réinventent le matériel source. Par exemple, "L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford" d’après le roman de Ron Hansen, propose une vision unique de l’histoire qui va au-delà de l'adaptation traditionnelle. Dans cet esprit, le critique de cinéma Mark Kermode a noté : « Adapter un livre n'est pas simplement le transposer à l'écran, c'est en explorer l'esprit, en offrir une nouvelle vision ».
Ainsi, certaines adaptations ont élargi les horizons de leurs histoires. Des films comme "The Great Gatsby" de Baz Luhrmann d’après le roman “Gatsby le magnifique“ de F. Scott Fitzgerald ont revu à la hausse la matérialité d'œuvres bien connues, prouvant que les relectures peuvent être aussi enrichissantes que les adaptations fidèles.