Culture
La balade du Quid.ma au SIEL avec pour guide Hassan Zakariaa

Des écoliers à la découverte d’un Siel de livres et de débats
De la diversité linguistique à la gouvernance juridique, en passant par l’héritage religieux, le patrimoine musical judéo-musulman ou encore la puissance narrative des diasporas féminines, la 30e édition du SIEL a confirmé que le livre est bien plus qu’un objet culturel : il est un acteur vivant de la transformation du Royaume. Du 18 au 27 avril à Rabat, 756 exposants venus de 51 pays ont fait de la capitale un carrefour de mémoire, d’identité et d’avenir. Voici une balade du Quid.ma au SIEL
Par Hassan Zakariaa
Une édition sous le signe du dialogue et de la diversité
Le Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Rabat, organisé sous le Haut Patronage du Roi Mohammed VI, a cette année encore confirmé son statut d’événement incontournable du calendrier culturel marocain. Avec plus de 100 000 titres exposés et 756 exposants représentant 51 pays, cette 30e édition, coordonnée par le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication en partenariat avec la région Rabat-Salé-Kénitra, s’est distinguée par son pluralisme éditorial, sa dimension internationale et son accent sur les Marocains du monde.
L'invité d'honneur, l'Émirat de Sharjah, a brillé par une présence articulée autour de plus de 50 activités culturelles et de performances musicales mettant en valeur l’héritage ancestral des Émirats à travers les arts populaires comme "Al Ayyala" ou "Al Razfa". Une programmation tournée vers la jeunesse a également été proposée avec des ateliers ludiques et des lectures interactives, dans le cadre de l’initiative "Kan Yama Kan".
Cette mise à l’honneur a aussi donné lieu à une rencontre intellectuelle maroco-émiratie sur le rôle du conte populaire dans la formation de la conscience collective arabe. Les intervenants ont souligné la portée universelle de ces récits et leur fonction de transmission transgénérationnelle, illustrée par des figures comme Joha ou Al Jazia Al Hilaliya.
Diasporas, mémoire partagée et renaissance littéraire
Autre temps fort du salon, les débats autour des voix féminines de la diaspora marocaine ont été d’une richesse inédite. Des écrivaines comme Fatiha Saïdi, Rim Battal, Nesrine Slaoui ou Samira El Ayachi ont livré des témoignages sensibles et puissants sur la façon dont la littérature peut guérir, reconstruire et transmettre. Leur engagement littéraire a révélé un triple enjeu : la réparation des identités blessées, la visibilité des récits minorés, et la création d’une mémoire diasporique féminine à travers les générations.
Ce regard croisé sur les trajectoires personnelles s’est conjugué à un autre moment phare : la présentation du livre "Recording History" de Christopher Silver, qui explore la mémoire musicale judéo-musulmane en Afrique du Nord. Cette œuvre, saluée pour sa rigueur méthodologique et son usage des sources sonores, met en lumière les dynamiques culturelles transfrontalières et le rôle de la musique comme vecteur de coexistence et de résistance dans les contextes coloniaux.
Les intervenants ont rappelé que les contributions culturelles de la diaspora marocaine méritent une réflexion plus globale et moins limitée à l’angle économique. Le président du CCME, Driss El Yazami, a plaidé en ce sens pour une approche intégrée du rôle des Marocains du monde dans le rayonnement intellectuel et artistique du pays.
Le livre comme levier de réforme et de gouvernance
Le SIEL 2025 n’a pas été seulement un événement littéraire. Il a aussi offert un laboratoire intellectuel pour les politiques publiques, où plusieurs institutions ont présenté leurs chantiers de réforme. Le ministère des Habous et des Affaires islamiques, notamment, a mis en valeur ses efforts en matière de digitalisation des services religieux, via la plateforme "monuments-habous.ma", véritable base de données sur le patrimoine spirituel et architectural du Royaume.
De son côté, la Cour des comptes a exposé son rôle stratégique dans le suivi des Objectifs de développement durable (ODD) 2015-2030, soulignant son virage vers une culture de l’impact et de l’évaluation systémique dans les politiques publiques. Le Secrétariat général du gouvernement (SGG a, lui organisé un débat de haut niveau sur la gouvernance juridique, insistant sur la modernisation du système législatif par l’intégration d’outils numériques, d’études d’impact et de normes issues de la culture juridique anglo-saxonne.
Autre acteur de la réforme, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) a organisé une conférence sur l’efficience du système judiciaire, où ont été débattues des problématiques aussi pointues que le respect des délais raisonnables dans le traitement des affaires, ou encore la coordination entre les différentes institutions judiciaires.
Le livre, pilier de la pluralité linguistique et culturelle
Le livre amazigh a également occupé une place centrale dans cette édition, à travers une rencontre organisée par l’IRCAM. Les participants ont souligné la contribution décisive de l’alphabet Tifinagh à la consolidation de la culture amazighe dans le système éducatif, et salué la publication de plus de 650 ouvrages en amazigh par l’Institut. Les chercheurs ont insisté sur la nécessité de diversifier les supports de diffusion, notamment via les livres audio et les plateformes numériques.
Ce travail de valorisation s’est inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance de la pluralité identitaire du Maroc, illustrée par les débats sur le patrimoine partagé, les récits minorés, et les enjeux de transmission intergénérationnelle. Le livre devient ici un instrument d’affirmation culturelle, mais aussi un levier de transformation sociale.
Cette dimension a été prolongée dans la présentation de l’ouvrage collectif "Communauté de destins" dirigé par Hubert Seillan, qui retrace les moments clés de l’amitié maroco-française et appelle à repenser les relations bilatérales à l’aune des défis contemporains, notamment autour du Sahara marocain.
Le livre et la ville : l’enjeu du sport et de l’espace public
Dans une démarche innovante, le SIEL a aussi exploré le rôle du sport comme vecteur d’urbanisme culturel, à travers une table ronde intitulée "CAN 2025 - FIFA 2030 : Villes en Jeu", organisée par l’ONU-Habitat. Les intervenants ont montré comment les grands événements sportifs peuvent impulser une reconfiguration des espaces publics et encourager des politiques inclusives, notamment en matière d’intégration des jeunes et de réduction des inégalités urbaines.
Ce dialogue entre livre, territoire et transformation sociale incarne une volonté politique forte : faire de la culture un pilier de la durabilité urbaine, à l’intersection du sport, de l’aménagement et de l’innovation citoyenne.
Une édition charnière pour un Maroc en dialogue
La 30e édition du SIEL a confirmé que le livre n’est plus seulement un support de savoir, mais un levier d’action publique, un miroir des identités plurielles et un agent de transformation sociétale. Elle a permis d’inscrire la littérature, l’histoire, le droit, la religion et la culture populaire dans une même trame : celle d’un Maroc qui pense son avenir à travers ses voix multiples, en dialogue constant avec lui-même et avec le monde.