Culture
Meqbouline, l’esprit de Toumliline renaît du souffle de deux femmes, Izza Genini et Lamia Radi – Par Hassan Zakaria

Lamia Radi, présidente de la Fondation Mémoires pour l’Avenir, présentant le docufilm et l’équipe qui travaillé à sa réalisation. Juste derrière, au centre, la réalisatrice Izza Genini
Par Hassan Zakaria
À travers le documentaire Meqbouline, les hôtes de Toumliline, la réalisatrice Izza Genini retrace une aventure humaine et spirituelle unique dans le Maroc des années 1950-60. Soutenu par la Fondation Mémoires pour l’Avenir, présidée par Lamia Radi, le film met en lumière un héritage exemplaire de dialogue, d’hospitalité et de vivre-ensemble.
Un film-hommage à une époque de tolérance
C’est dans la salle du cinéma Renaissance à Rabat, le 10 avril 2025, que le documentaire Meqbouline, les hôtes de Toumliline a été projeté en avant-première, en présence de nombreux cinéphiles et figures du monde culturel. Réalisé par l’infatigable cinéaste marocaine Izza Genini, âgée aujourd’hui de 82 ans, ce film de 43 minutes ravive la mémoire d’un lieu unique : le monastère bénédictin de Toumliline, situé près d’Azrou, dans le Moyen Atlas.
Entre 1952 et 1968, ce lieu fut un carrefour spirituel et intellectuel sans équivalent, animé par une vingtaine de moines venus de l’abbaye d’En-Calcat, en France. Avec le soutien de feu le Roi Mohammed V, ils y établirent un espace d’échanges interreligieux et interculturels, accueillant aussi bien des intellectuels que des jeunes marocains de toutes confessions.
Lamia Radi : gardienne d’une mémoire vivante
Si le film est porté par la sensibilité artistique d’Izza Genini, c’est aussi grâce à la vision et l’engagement de Lamia Radi, présidente de la Fondation Mémoires pour l’Avenir, que ce projet a vu le jour. Convaincue que l’histoire de Toumliline est un trésor de sagesse à transmettre, elle a joué un rôle clé dans la production du documentaire, réalisé dans le cadre du projet Réinventer Toumliline, soutenu, via le programme Dakira, par l’USAID, ‘’quand c’était encore possible’’ dira Lamia Radi sans avoir l’air d’y toucher.
« À travers ce film, nous souhaitons préserver et transmettre la mémoire des rencontres internationales du monastère de Toumliline qui se sont déroulées entre Marocains, Musulmans et Juifs », a déclaré Lamia Radi lors de la projection. Elle a rappelé que l’hospitalité, l’acceptation de l’autre et le dialogue sont des valeurs profondément enracinées dans l’identité marocaine, que le film s’efforce de remettre au centre du débat contemporain.
Meqbouline : « acceptés », dans tous les sens du terme
Le titre Meqbouline, qui signifie « acceptés » en arabe, évoque la manière chaleureuse dont les moines furent accueillis par les habitants de la région. Ce mot résonne comme un symbole fort : celui d’une coexistence paisible, où les différences ne séparaient pas mais enrichissaient.
Grâce à un travail de recherche rigoureux, mêlant archives rares, témoignages d’époque, interviews d’acteurs de cette aventure et images actuelles, Genini restitue l’atmosphère fraternelle qui animait ce lieu. Le film montre comment les moines, loin d’imposer leur foi, ont œuvré au service des autres : en ouvrant un dispensaire, un internat, et surtout en initiant les célèbres **Rencontres internationales de Toumliline, qui ont rassemblé de grandes figures intellectuelles autour de thèmes spirituels et humanistes.
Une mémoire qui éclaire notre présent
Mais Meqbouline ne se contente pas de regarder vers le passé. À travers ce récit historique, Izza Genini interroge notre rapport contemporain à la diversité, à l’écoute de l’autre et à la transmission des valeurs spirituelles. Le film est autant un devoir de mémoire qu’un appel à revivifier un idéal de coexistence respectueuse.
Dans un contexte mondial marqué par les replis identitaires et les tensions religieuses, Meqbouline offre une leçon de paix universelle, enracinée dans un épisode concret et marocain. Il s’inscrit dans la continuité du travail de Genini, qui a toujours cherché à capter l’âme du Maroc à travers ses voix, ses musiques et ses récits invisibles.
Une tournée nationale et internationale en perspective
Le film ne s’arrête pas à Rabat. Grâce à la Fondation Mémoires pour l’Avenir, Meqbouline sera projeté dans plusieurs villes du Royaume et programmé dans des festivals internationaux. Il participera ainsi à nourrir la réflexion collective sur la mémoire partagée et la possibilité d’un vivre-ensemble fondé sur la confiance et l’écoute.
Meqbouline, les hôtes de Toumliline est bien plus qu’un documentaire. C’est une œuvre profondément humaine, rendue possible par la rencontre entre deux femmes engagées : Izza Genini, conteuse de la mémoire marocaine, et Lamia Radi, passeuse de valeurs. Ensemble, elles offrent au public un récit inspirant sur un Maroc ouvert, généreux, et toujours capable de faire de ses différences une richesse.