Culture
Daniel Rivet, une traversée libérée de l’analyse stato-centriste de l’histoire multiséculaire du Maroc

Conférence de l’historien français Daniel Rivet, sur le thème "Retour sur l’histoire du Maroc", organisée à l’initiative de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, relevant de l'Académie du Royaume du Maroc. 28/04/2025-Rabat
À Rabat, l’historien français Daniel Rivet a offert une plongée magistrale dans les dynamiques profondes du Maroc, de l’avènement des Idrissides à l’époque contemporaine, livrant une lecture renouvelée d’un passé qui éclaire le présent.
Un regard neuf sur des siècles d’histoire marocaine
Rabat – Dans la sobriété de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, relevant de l’Académie du Royaume du Maroc, Daniel Rivet, éminent historien du Maghreb colonial et professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et membre de l’Académie du Royaume, a revisité, lundi, les grandes étapes de l’histoire marocaine lors d’une conférence intitulée « Retour sur l’histoire du Maroc.
Invité par l’Institut Royal, M. Rivet s’est appuyé sur son ouvrage de référence Histoire du Maroc (éditions Fayard, 2010) pour offrir une lecture critique et nuancée de l’évolution institutionnelle, politique et sociale du Royaume, devant un public composé d’universitaires, d’intellectuels, d’étudiants et de passionnés d’histoire.
Avec une approche méthodique et vibrante, l’historien a entraîné l’assistance dans un voyage allant de l’émergence de la dynastie idrisside à l’effervescence de l’époque contemporaine, en passant par l’âge d’or des constructions impériales sahariennes et atlantiques.
Le passé au service du présent
Daniel Rivet a posé d’emblée le cadre de son intervention : comprendre l’histoire du Maroc sans s’enfermer dans les grilles d’analyse stato-centristes ou idéologiquement orientées, longtemps dominantes en France comme ailleurs. Son ambition : restituer au passé marocain sa complexité, entre mutations sociales, jeux d’alliances politiques, résistances locales et dynamiques d’adaptation.
« Le passé est un miroir du présent », a-t-il affirmé, insistant sur l’importance d’une approche sociale et politique articulée, qui permette de lire les permanences autant que les ruptures. Il aurait aussi pu dire « le présent est un miroir du passé ».
En filigrane de son exposé, une conviction forte : loin d’être un simple théâtre de conquêtes ou de dominations, le Maroc a été acteur de son propre devenir, bâtissant des structures étatiques résilientes, parfois éclatées, mais toujours vivantes, à travers les siècles.
Genèse d’une œuvre monumentale
Introduisant la conférence, Rahal Boubrik, directeur de l’Institut Royal pour la Recherche sur l’Histoire du Maroc, a souligné l’apport fondamental de Daniel Rivet à la connaissance du passé marocain. Il a rappelé que M. Rivet, ancien enseignant à la Faculté des Lettres de Rabat (1967-1970), a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude du protectorat français et de ses ramifications.
Le projet d’écriture d’Histoire du Maroc, a expliqué M. Rivet, a pris racine au début des années 2000, lors d’un événement culturel dans un riad de la médina de Fès. Séduit par la richesse historique de la cité impériale, Rivet a mûri le projet de combler un manque : celui d’une histoire globale du Maroc accessible au public français.
Conscient des défis, notamment de la barrière linguistique – il reconnaît ne pas maîtriser l’arabe ni le dialecte marocain –, Rivet s’est appuyé sur une constellation de travaux marocains majeurs, ceux d'Abdallah Laroui, Abdelkébir Khatibi et d'autres, pour tisser une fresque historique rigoureuse, loin des clichés orientalistes.
« Il fallait parler du Maroc de manière honnête, respectueuse et érudite », a-t-il souligné, insistant sur son désir de mettre en valeur les contributions des historiens marocains auprès du lectorat français.
Un pont historiographique entre deux rives
À travers son intervention, Daniel Rivet a ainsi réaffirmé le rôle de l’histoire comme passerelle entre les peuples. Son œuvre, dense et exigeante, participe d’un dialogue historiographique transméditerranéen, essentiel à l’heure où la compréhension mutuelle devient un enjeu culturel et politique majeur.
En écho à l'actualité marquée par les débats sur la mémoire coloniale, Rivet invite à dépasser les lectures binaires et à envisager le passé comme une trame tissée d’interactions, de circulations et d’influences croisées.
En clôturant la conférence, plusieurs voix dans l’assistance ont salué la « hauteur de vue » de l’historien, ainsi que la richesse de son approche, conjuguant exigence scientifique et sens du récit. Une leçon magistrale, tout autant pour les historiens que pour un public désireux de comprendre les racines d’un Maroc en perpétuel mouvement.