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Parité au Maroc : beaucoup d’espoirs, trop peu de progrès – Par Abdeslam Seddiki

De G à D : Les précurseures : Assia El Ouadie, une militante de la première heure - Fatéma Mernissi, la sociologue pionnière du féminisme - Raja’e Belmlih, la chanteuse qui a laissé tomber la lumière pour les lettres, et Touria Chaoui, première femme pilote, en 1952, du Maroc et du monde arabe. Aujourd’hu,i le taux de féminisation des inscrits est de 53,6% dans les universités. Ce taux grimpe à 62,7% dans les Instituts et écoles supérieures. Et pourtant…
Quatorze ans après l’adoption de la Constitution de 2011, la question de la parité reste au cœur des défis du Maroc moderne. Abdeslam Seddiki relève que malgré des avancées législatives et une excellence féminine éclatante dans l’éducation, des obstacles majeurs freinent encore l’égalité réelle entre hommes et femmes. Pour lui et pour bien d’autres, il est temps de libérer toutes les énergies pour construire un Maroc plus juste et plus ambitieux.
La Constitution marocaine de 2011 a introduit des avancées considérables en matière des droits fondamentaux de la femme. En effet, l’article 19 stipule « L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental, énoncés dans le présent Titre et dans les autres dispositions de la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc et ce, dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes du Royaume et de ses lois.
L’Etat œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes.
Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination. ».
Où en sommes-nous en 2025 après 14 années de mise en œuvre de notre loi fondamentale ? Surtout au niveau de la réalisation effective de la parité. Force est de constater que la situation évolue mais lentement bien que des conditions objectives incitent plutôt à l’accélération de la vitesse du changement pour aller droit vers la parité. Sans tergiversation aucune. La femme marocaine dispose de tous les « prérequis » pour faire ce dernier saut salutaire qui fera honneur à notre pays et lui donnera la place qu’il mérite dans le concert des Nations. A quoi sert d’ailleurs une loi si elle ne tire pas la société vers le haut ? La loi n’est pas faite pour consacrer le statu quo ou pour maintenir la société à un niveau qui fait le jeu des ultra- conservateurs et des anti-progrès social qui se barricadent derrière des slogans moralisateurs de type « stabilité familiale », et en s’accrochant à des principes éculés du moyen-âge. A ce titre, il faut saluer la promulgation de la loi N° 79-14 relative à l’autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination en 2017 en attendant la nomination de son président et de ses membres pour qu’elle devienne effective.
L’excellence au féminin
Les conditions objectives sont réunies. En atteste la place de la fille marocaine dans l’université telle qu’elle apparait dans un document publié récemment par le Haut-Commissariat au Plan : « la femme en chiffres » 2024. Ainsi, les données relatives à l’année universitaire 2022-2023 sont parlantes : le taux de féminisation des inscrits est de 53,6% dans les universités. Ce taux grimpe à 62,7% dans les Instituts et écoles supérieures. Cette performance visible de la fille s’explique fondamentalement par le niveau élevé qu’elle enregistre en matière d’achèvement des études tous cycles confondus. Ainsi, dans le cycle collégial, le taux d’achèvement est de 73,2 % pour les filles contre 51,2% pour les garçons. Dans le secteur qualifiant (lycée), l’écart se creuse davantage en si situant respectivement à 53,1% et 26,4% soit du simple au double !
Cette excellence féminine se vérifie nettement au niveau du taux de féminisation des diplômés de l’enseignement supérieur public. Ce taux varie entre 46,9% dans l’enseignement originel et 75,7% dans les sciences d’éducation. Il est de 60,7% dans l’enseignement à accès ouvert et 62,7% dans l’enseignement à accès régulé. La moyenne d’ensemble est de 61,2%. Qui plus est, on constate un progrès fulgurant d’une année à une autre. En trois années, de de 1919-20 à 2022-23, le taux de féminisation a grimpé de 54% à 61,2%, soit 7,2 points de plus. A ce rythme, les garçons doivent sérieusement se remuer les méninges s’ils veulent garder leur place dans les universités.
Lever les obstacles à l’égalité hommes-femmes
Si la femme marocaine donne au quotidien la preuve de son sérieux et de son amour de l’effort et du travail, pourquoi on rechigne à lui accorder tous les droits qu’elle mérite et à la placer au moins sur un pied d’égalité avec l’homme. N’est-il pas grand temps de mettre fin à cette anomalie et de tourner définitivement cette page triste de notre histoire pour nous inscrire dans la trajectoire de la modernité et de la libération des énergies créatives ? En paraphrasant le titre d’un article paru récemment sur un journal français, Les Echos du 24 mars, « les femmes sauveront-elles le monde ? », nous dirons « les femmes sauveront-elles le Maroc » ? Une telle question ne relève pas d’une simple gymnastique intellectuelle. C’est une opportunité réelle pour notre pays de lâcher du lest pour que la femme participe pleinement tant à la création de la richesse qu’à la gestion des affaires de la cité.
Ainsi, il est anormal que la femme marocaine soit pratiquement exclue du marché du travail même quand elle dispose d’un diplôme de l’enseignement supérieur. Le taux d’activité des femmes titulaires d’un diplôme supérieur ne dépasse pas 44, 7% contre 67,4% pour les hommes. Le taux de chômage des détentrices d’un diplôme supérieur concerne une femme sur trois et presque une femme sur deux en milieu rural !
Aussi, la révision du code de la famille doit constituer une occasion idoine pour lever les obstacles à l’égalité hommes-femmes au lieu de s’enliser dans des débats stériles qui ne mènent nulle part. On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. L’heure de la vérité a sonné. La parité est désormais à notre portée. On trouvera toujours quelques voies dissonantes mais elles ne peuvent pas, ne doivent pas, prendre tout le pays en otage.
Notre pays affiche des ambitions légitimes. Il veut jouer, à juste titre, dans la Cour des grands. Il faut pour cela qu’il se donne tous les moyens et qu’il mobilise toutes ses forces. Oui, les femmes peuvent sauver le Maroc - ou du moins, elles sont indispensables pour y parvenir. Leur capacité à combiner empathie, résilience, innovation et leadership est un atout majeur pour relever les défis globaux. Soutenir l’égalité des sexes et donner aux femmes les moyens d’agir pleinement est une condition essentielle pour bâtir un Maroc fort et un avenir meilleur pour tous. Ce faisant, loin de nous l’idée d’épouser les thèses féministes qui opposent hommes et femmes. La contradiction principale demeure celle qui oppose les classes sociales antagonistes. La libération de la femme passe nécessairement par la libération de la société.