Le Congrès du PJD entre signes de redressement et fractures persistantes – Par Bilal Talidi

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Des critiques ouvertes et fortes à l'encontre du style de leadership de Benkirane ont émergé parmi de nombreux membres de l’actuelle direction, tandis que sa popularité a reculé : réélu avec 69 % des voix, contre 81 % lors du précédent congrès, et n’a devancé Idriss Azami Idrissi que de trois voix au sein du Conseil national

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Réuni pour son 9ᵉ congrès, le Parti de la Justice et du Développement (PJD) montre des signes de regain d'énergie militante. Un constat à nuancer. Dernière les apparences, dans l’analyse qu’en fait Bilal Talidi, de profondes fractures, un flou stratégique et une crise de leadership persistent et posent la question de sa véritable capacité à redevenir une force électorale majeure.

Des indices relatifs de redressement

Il y a eu une certaine précipitation dans l’interprétation des résultats du congrès du PJD : certains y ont vu une preuve de sa relance et de sa remise sur les rails, tandis que d’autres ont maintenu leur jugement sévère, estimant qu'aucun signe tangible ne laissait espérer un retour rapide sur le devant de la scène électorale.

Ce constat hâtif s'explique par le manque de recul pour analyser plusieurs indicateurs contradictoires : certains traduisent un renouveau relatif – une sorte de « rallumage de la lampe » –, d’autres, au contraire, révèlent l’ampleur de la crise.

Parmi les signes positifs, on note d'abord les positions fortes adoptées par le PJD contre la politique gouvernementale récente, qui lui ont permis de regagner un certain écho médiatique et de raviver le sentiment d’utilité parmi ses militants. Le parti a également réactivé ses outils de communication, dynamisant son image interne et externe et répondant aux campagnes médiatiques hostiles.

Un autre signe de vitalité a été la mobilisation intense des militants pour éviter la disparition du parti. Dans les discours des congressistes, une sourde peur de voir leur formation sombrer était palpable, conjuguée à une volonté acharnée de préserver ce qui pouvait encore l’être. Abdalilah Benkirane a su utiliser la crise financière du parti, bien servi par son différend avec le ministère de l'Intérieur sur le financement public, pour renforcer cette dynamique, martelant l'idée d'une menace existentielle nécessitant une solidarité militante sans failles.

Enfin, le fonctionnement démocratique interne du parti, illustré lors du congrès par des élections ouvertes et disputées, reste un atout majeur. Il témoigne de la capacité du PJD à surmonter ses crises internes dans un cadre institutionnel respectueux.

Un flou stratégique et une crise de leadership

Malgré ces signes encourageants, plusieurs éléments troublants subsistent.

D’abord, la popularité d’Abdalilah Benkirane a reculé : il a été réélu avec 69 % des voix, contre 81 % lors du précédent congrès, et n’a devancé Idriss Azami Idrissi que de trois voix au sein du Conseil national. Ce recul indique l'émergence d’une nouvelle dynamique interne, appelant à un renouvellement du leadership historique.

Par ailleurs, des critiques ouvertes et fortes à l'encontre du style de leadership de Benkirane ont émergé parmi de nombreux membres de l’actuelle direction. Même si, par souci de préserver l'unité, ces critiques n'ont pas débouché sur une fronde ouverte, elles révèlent de sérieuses tensions sur la manière dont les décisions sont prises au sommet du parti.

En outre, plusieurs refus enregistrés parmi les personnalités que Benkirane souhaitait intégrer à l'équipe dirigeante traduisent une réticence à travailler sous son autorité, signe supplémentaire de fractures internes persistantes.

Sur le plan stratégique, le flou est également manifeste. En dehors de la rhétorique électorale classique – ambition de retrouver la première place – aucune véritable vision d'avenir n'a été esquissée. Rien, dans le discours du secrétaire général, ne permet de comprendre comment le PJD envisage les évolutions du contexte national et international, ni comment il évalue l'impact de ces mutations sur les islamistes de la région. 

Le discours de Benkirane reste centré sur le passé : rappel des victoires antérieures, insistance sur l'attachement aux références islamiques, marques de loyauté à la monarchie, critique acerbe de l’action gouvernementale actuelle, et rappels des positions historiques du parti sur les grandes causes nationales. Ce repli sur une narration passéiste, sans projet d'avenir clair, inquiète nombre de militants et d'observateurs.

On estime ainsi que ce flou n'est pas fortuit, mais découle de la méthode même de Benkirane : privilégier l’adaptation pragmatique aux évolutions du rapport de forces plutôt qu’une planification collective rigoureuse. Cette approche laisse toute latitude au leader pour ajuster ses positions au gré des circonstances, mais au prix d’un affaiblissement de la cohésion interne.

Un appel pressant à la réconciliation interne

La question de l’unité a fortement dominé les débats du congrès. Beaucoup de militants ont insisté sur l'importance de réintégrer des figures emblématiques comme Saad Dine El Othmani ou Mustapha Ramid pour consolider les rangs. 

Face à ces appels, Benkirane a tenté quelques gestes d’ouverture en proposant l’intégration de plusieurs anciens ministres dans la direction (dont Mohamed Yatim et Mohamed Amekraz). Il a également promu un rajeunissement partiel de l'équipe dirigeante pour répondre aux critiques sur le manque de renouvellement.

Cependant, la portée réelle de ces gestes reste sujette à caution. S’agit-il d’une véritable volonté de réconciliation, ou plutôt d’une tentative de neutralisation des opposants internes ?

Quelle issue pour le PJD ?

Au vu de ces indicateurs contrastés, il est difficile de trancher sur la capacité réelle du PJD à se redresser durablement. Si l’attachement des militants au parti demeure fort, les défis internes sont lourds : maintenir la cohésion, reconstruire une vision d’avenir claire, et réintégrer toutes ses forces vives. 

Plus que jamais, l’avenir du PJD dépendra de sa capacité à dépasser les logiques de personnalisation du pouvoir pour renouer avec une dynamique collective ambitieuse et adaptée aux nouvelles réalités du Maroc et du monde.

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