Cinéma marocain : entre succès populaire et exigence artistique, l’impérative diversification 

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L’impact des prix ou des sélections en festivals, la réalisatrice Jihane El Bahhar (photo) en reconnaît leur importance en matière de visibilité, mais tempère leur effet sur la fréquentation en salle

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Porté par un public toujours plus enthousiaste, le cinéma marocain connaît un essor sans précédent. Pour la réalisatrice Jihane El Bahhar, cet engouement est le reflet d’un secteur en pleine mutation, qui doit désormais relever un défi majeur : se diversifier pour bâtir une véritable industrie cinématographique.

Quid avec Meriem Rkiouak (MAP)

Le cinéma marocain fait salle comble. Ces derniers mois, plusieurs productions locales rivalisent avec les blockbusters américains en tête du box-office national. Pour la réalisatrice et scénariste Jihane El Bahhar, cet engouement témoigne d’un tournant décisif dans l’évolution de l’industrie cinématographique marocaine.

Capitaliser sur l’engouement du public

« Le public marocain a toujours aimé les histoires qui lui ressemblent », affirme-t-elle. Et c’est justement cette proximité avec le vécu, les préoccupations et les rêves des spectateurs qui, selon elle, explique le succès des films marocains. Les scénarios ont gagné en qualité, les récits se sont rapprochés du quotidien, la technique s’est perfectionnée et les acteurs, de plus en plus talentueux, ont su captiver le public.

Mais au-delà du succès en salle, la réalisatrice insiste sur la nécessité de structurer l’ensemble de la chaîne cinématographique. « Le défi aujourd’hui est de capitaliser sur cet engouement en renforçant la production, la distribution et la promotion », souligne-t-elle, tout en saluant le travail du Centre cinématographique marocain (CCM) dans ce sens.

Interrogée sur la variété des genres cinématographiques, Jihane El Bahhar appelle à dépasser l’opposition stérile entre cinéma "commercial" et cinéma "d’auteur". Pour elle, un film populaire n’est pas forcément synonyme de superficialité, et une œuvre d’auteur ne doit pas nécessairement être élitiste. Ce qu’il faut, selon elle, c’est « un cinéma équilibré, capable de conjuguer exigence artistique et succès populaire ».

Absence d’une industrie structurée autour des films

Aujourd’hui, les comédies et les drames sociaux dominent les écrans, en raison de leur ancrage dans le réel et leur capacité à toucher un large public. Mais Jihane El Bahhar regrette l’absence d’une industrie structurée autour des films de genre comme l’action, la science-fiction ou le thriller. « Ce sont des genres qui cartonnent à l’international, mais qui restent encore quasi inexistants chez nous », déplore-t-elle. Ce vide est moins une question de moyens qu’un véritable enjeu de maturité du marché et de diversité des goûts.

Quant à l’impact des prix ou des sélections en festivals, la réalisatrice reconnaît leur importance en matière de visibilité, mais tempère leur effet sur la fréquentation en salle. « Au Maroc, le lien entre reconnaissance critique et succès commercial reste encore fragile », observe-t-elle.

Un film peut être acclamé par la critique sans pour autant convaincre les spectateurs. Pour combler ce fossé, elle préconise de rapprocher les deux univers. « Il y a de la place pour un cinéma marocain exigeant qui parle au cœur du public », affirme-t-elle. En d’autres termes, l’enjeu n’est pas de choisir entre art et succès, mais d’inventer une nouvelle voie où les deux se rencontrent au milieu d’une industrie cinématographique nationale audacieuse, diverse et durable.

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