chroniques
Covid 19, accélérateur... Des réformes sociales
Les exclus du système sanitaire sont pratiquement dans une situation pénalisante. Ils ne sont pas organisés en termes corporatistes ou autres.
Ce constat pour commencer : n'est-ce pas la pandémie actuelle qui a remis au premier plan, à nu même, la question de la santé et plus globalement celle du social dans toutes ses facettes ? Voici six mois seulement, était-ce vraiment le cas ? Voire. Il y a bien, au plan normatif, cet article premier de la Constitution de 2011, proclamant que "Le Maroc est une monarchie... sociale". Mais pour reprendre une distinction classique, ce n'était pas éligible à une "Constitution -loi " mais plutôt à une "Constitution - programme".
C'était là, pas seulement, une reprise récurrente des précédentes lois suprêmes mais aussi autre chose : la vision d'un projet de société affirmée dès le début du Nouveau Règne. La fibre sociale du Roi est en effet authentique. Il restait à la traduire au niveau des politiques publiques. Cela a pris du temps alors que pas moins de cinq gouvernements se sont succédé depuis 1999.
Pas la santé en tout cas, encore moins la protection sociale. Il y avait bien, en 2002, la loi instaurant le principe d'une couverture médicale de base ; elle a créé une Assurance maladie obligatoire (AMO) pour les salariés inscrits à la CNSS ; elle a aussi prévu un régime d'assurance médicale pour les économiquement démunis (RAMED). Mais tout cela a accusé un grand retard, on le sait. Il a fallu en effet attendre 2012 pour que ce RAMED soit généralisé à l'ensemble des établissements de santé publique.
Avec la crise actuelle du COVID -19, tous ces dispositifs, malgré des mesures exceptionnelles, restent insuffisants, peu accessibles. Il y a aujourd'hui quelque 12 millions de bénéficiaires du RAMED et 9 millions de bénéficiaires de l'AMO. Il n'y a plus, comme par le passé, la séparation entre le monde du SALARIAT et celui du TRAVAIL INFORMEL.
Des frustrations persistantes
Le 17 mars dernier, le Souverain a créé un Fonds spécial dédié à la lutte contre la propagation de cette pandémie, au soutien des entreprises, à la sauvegarde de l'emploi et aux populations les plus précaires et les plus vulnérables. Les travailleurs déclarés à la CNSS ont eu droit à une indemnité mensuelle de 2.000 DH par personne et par mois, d'avril à juin. Les autres, non déclarés à la CNSS, ont bénéficié des aides aussi, alors qu'ils relevaient de ce que l'on appelle le travail informel, soit une indemnité mensuelle de 800 DH à 1.200 DH, selon la taille du ménage.
Voilà bien une avancée dans les droits sociaux de cette catégorie. Il est vrai que le déploiement de ces nouveaux dispositifs d'aide sociale a été très tardif et qu'il n'a pas eu tous les résultats escomptés. Ainsi, la demande de santé a pratiquement explosé ; une pression considérable s'est ainsi exercée sur les hôpitaux publics qui ont eu de grandes difficultés à faire face. Les patients ont dû, par ailleurs, supporter des coûts et des frais supplémentaires. Les centres de santé de proximité n'avaient pas toujours les équipements nécessaires ; d'où le déplacement vers des Centres hospitaliers universitaires (CHU) dans les grandes villes. Là encore, de gros problèmes de matériel existent... Au total, la couverture sociale restait problématique. De nombreux groupes, éligibles au RAMED, donc "couverts " médicalement, ne pouvaient pas cependant se soigner dans des conditions satisfaisantes. D'où de fortes insatisfactions et des frustrations persistantes.
Les exclus du système sanitaire sont pratiquement dans une situation pénalisante. Ils ne sont pas organisés en termes corporatistes ou autres. Ils ne disposent pas de lobbies pouvant peser sur les orientations des politiques publiques. Ils relèvent dans une large mesure du champ de l'informel dans le monde urbain ou rural ; et partant, ne sont pas considérés comme mobilisables même par les organisations syndicales davantage ancrés dans d'autres secteurs (enseignement, fonction publique, entreprises,...). Dans les discours officiels des uns et des autres, une référence est évidemment faite à la question sociale ; mais n'est-ce pas une figure imposée, surtout lors des campagnes électorales ? Depuis une vingtaine d'années, le spectre couvert par les cinq cabinets est plutôt large, depuis celui de l'alternance de Me. El Youssoufi (USFP) jusqu’à ceux de Driss Jettou, puis de Me. Abbas El Fassi (Istiqlal) et du PJD ( Benkirane et El Othmani). Il leur a manqué du volontarisme politique couplé à des arbitrages et à des priorités.
Il a fallu donc cette pandémie pour que la table gouvernementale soit pratiquement renversée sur la question sociale. De nouveau, c'est le Roi qui la prend en mains, résolument, dans son Discours du Trône du 29 juillet dernier. Le Souverain avait déjà pris position dans ce domaine depuis près de trois ans. Cette fois-ci, elle est érigée en priorité devant être concrétisée dans une temporalité quinquennale, d'ici 2025. Ainsi la généralisation de 1’AMO sera opérée à compter du mois de janvier 2021 et ce en même temps que des allocations familiales à tous les ménages. Ainsi encore, il a été annoncé et décidé d'autres mesures : une retraite au bénéfice de la population active non couverte ; une indemnité pour perte d'emploi (IPE) au profit de la population active, entre 2023 et 2025. Ce qui commande en même temps une profonde réforme du système actuel de prévoyance sociale autour des principes de cohérence et d'efficience des organismes intervenants et opérateurs. Une grande réforme donc - une réforme sociétale de grande dimension... La pandémie actuelle a eu un impact majeur qui va peser lourdement peser sur les comptes macroéconomiques et les indicateurs sociaux. Mais à son "actif", si l'on ose dire, elle aura été un accélérateur de réformes sociales...