Actu
Diplomatie sud-africaine : dérive d’un pays à la croisée des chemins - Par Hamid Aqerrout

La 25 avril 2023, le Président Cyril Ramaphosa avait annoncé lors d’une conférence de presse que l’ANC a demandé que l’Afrique du Sud se retire de la Cour pénale internationale (CPI). Moins de 24 heures, le gouvernement a fait volte-face et déclaré que ce n’était pas ce que le Président voulait dire
L’éviction de l’ambassadeur sud-africain à Washington cristallise une série de revers diplomatiques inquiétants pour Pretoria. Entre incohérences politiques, lois controversées et alliances ambiguës, l’Afrique du Sud, écrit Hamid Aquerrout, semble s’éloigner de son rôle de puissance morale sur la scène internationale, alimentant les doutes sur la vision et la direction de sa politique étrangère.
Par Hamid Aqerrout - Bureau de MAP à Johannesburg
Johannesburg - La diplomatie sud-africaine navigue dans des eaux troubles et semble être à la croisée des chemins. Le récent incident de l’éviction de l’ambassadeur de l’Afrique du Sud aux États-Unis d’Amérique, Ebrahim Rasool en apporte la preuve.
La décision du gouvernement américain de déclarer Rasool «persona non grata» a soulevé de vives inquiétudes et de profondes questions des observateurs internationaux et de la classe politique sud-africaine sur le «chambardement» de la politique étrangère de la Nation Arc-en-ciel.
De l’avis de nombreux commentateurs politiques, ce nouveau camouflet n’est que le dernier épisode difficile d’une série de faux pas diplomatiques brillamment accomplis par une Afrique du Sud sous la coupe depuis trois décennies du Congrès National Africain (ANC), un parti-Etat en décadence.
Les micmacs diplomatiques de Pretoria ne datent pas d’aujourd’hui. En attestent ses relations avec des Etats parias, son soutien à des groupes qualifiés de «terroristes», ou encore son financement du terrorisme et du blanchiment d’argent, comme en atteste d’ailleurs plusieurs rapports et l’inscription du pays sur la liste grise du Groupement financier international GAFI.
Un mélimélo diplomatique qui date
Un autre exemple de ce mélimélo politico-diplomatique : le 25 avril 2023, le Président Cyril Ramaphosa avait annoncé lors d’une conférence de presse que le Congrès national africain (ANC au pouvoir) a demandé que l’Afrique du Sud se retire de la Cour pénale internationale (CPI). Puis, en moins de 24 heures, le gouvernement a fait volte-face et déclaré que ce n’était pas ce que le Président voulait dire et que c’était juste un « malentendu ». Que peut-on donc comprendre ? Se retirera ou se retirera pas ?
S’ajoute à cet embrouillement politique, une série de décisions abracadabrantes prises récemment par le gouvernement sud-africain et qui ont provoqué l’ire de la communauté internationale, particulièrement des Etats-Unis. Il s’agit, notamment, de la Loi sur l’expropriation des terres qui, de l’avis de nombreux observateurs, impose une «discrimination raciale injuste» aux agriculteurs blancs, et de la Loi Bella, qualifiée par une large frange de la société de menace sérieuse pour la langue et la culture de la communauté des Afrikaners, descendants des colons hollandais du XVIIe siècle.
Avec l’adoption de ces deux lois, il semble claire que l’objectif est de resserrer l’étau contre les agriculteurs afrikaners, une décision controversée que de nombreux ONG et partis politiques ont dénoncée, y compris du gouvernement d’unité nationale.
Irritée par les manigances de Pretoria, l’Administration américaine a même pris une décision historique d’accorder un «statut de réfugié spécial» pour les agriculteurs blancs sud-africains qui pourraient être admis aux États-Unis rapidement. Le Président américain, Donald Trump, a ainsi publié sur sa plateforme Truth Social que « tout agriculteur d’Afrique du Sud, cherchant à fuir ce pays pour des raisons de sécurité, sera invité aux États-Unis d’Amérique avec une voie rapide vers la citoyenneté».
Trump a aussi signifié qu’il pourrait ne pas se rendre au Sommet des chefs d’Etats du G20, prévu en novembre prochain en Afrique du Sud. D’ailleurs, le Secrétaire d’État américain a refusé de participer à la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20, qui a eu lieu en février dernier à Johannesburg.
Des débâcles diplomatiques, signe d’un manque de leadership
En réaction, certains commentateurs ont mis en cause des intérêts partisans étroits des dirigeants sud-africains, les accusant de sacrifier l’intérêt national sur l’autel de leur propre promotion. D’autres ont pointé du doigt un manque de véritable leadership diplomatique et politique de l’Afrique du Sud.
A la lumière des récentes «débâcles diplomatiques» de Pretoria, plusieurs voix se sont élevées au sein même de l’exécutif appelant à un examen formel de la politique étrangère du pays. «Le Congrès National Africain, parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid en 1994, ne peut plus continuer à monopoliser l’orientation de la politique étrangère de l’Afrique du Sud», estiment certains partis politiques, notamment MK, EFF et DA.
Ils soutiennent à ce propos que la politique étrangère du pays ne doit pas être prisonnière de courte vue ou dictée par les allégeances historiques et fraternelles du Congrès national africain.
Les commentateurs constatent aussi avec regret une tendance inquiétante en matière de politique étrangère de la Nation arc-en-ciel, qui a entraîné l’érosion de sa crédibilité au niveau international. En effet, la position de l’Afrique du Sud devient moins convaincante en raison des incohérences de sa diplomatie concernant plusieurs questions et son soutien avec constance à des groupes séparatistes en Afrique et au-delà, ainsi qu’à des régimes despotiques, comme celui de Robert Mugabe au Zimbabwe.
Dès lors, il est intéressant de noter que l’approche maladroite de la politique étrangère de l’Afrique du Sud a conduit à des appels à l’introspection sur ses choix politiques et diplomatiques. Le pays ne cesse d’amplifier ses ambiguïtés et ses contradictions donnant à penser qu’il est à la croisée des chemins.