chroniques
Driss Azzouzi tel que je l’ai connu - Par Abderrahman Tenkoul
Au centre Dr Driss Azzouzi, à sa droite, son fils le Pr Abdelhak Azzouzi, membre fondateur et membre du CA de l'Université Euromed de Fès, Président de la Chaire Alliance des civilisations, et à sa gauche, le défunt Mohamed Bouzoubaa, ancien ministre de la Justice
Abderrahman Tenkoul est enseignant-chercheur et Doyen de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales – Université EUROMED de Fès, titulaire de la Chaire UNESCO Interculturalités Méditerranéennes. Ancien Président de l’Université Ibn Tofayl – Kénitra.
La communauté scientifique et savante à Fès vient de perdre l’une de ses figures les plus emblématique des dernières décades : Dr Driss Azzouzi. Son parcours académique, particulièrement riche et singulier, a toujours été érigé en exemple. Et ce depuis la Quarawiine, où il entreprit de revisiter l’héritage de la pensée théologique musulmane, à l’université Sidi Mohamed Ben Abdellah et de sa faculté Shari’a où il marqua les esprits par ses recherches et ses leçons magistrales relatives aux sciences de l’exégèse, en passant par Dar al Hadith al Hassania de Rabat où il contribua par la qualité de ses études au rayonnement de son image et de son prestige. Il fut incontestablement un homme de culture et de réflexion exceptionnel, éminemment respecté des grands doctes tant au Maroc qu’au Moyen-Orient.
On doit au Dr Driss Azzouzi d’avoir toujours privilégié la vision rassurante de la médiation, le langage sans heurts de la compréhension, l’option prospective et vertueuse de l’optimisme. Il sut ainsi exprimer avec intelligence et rigueur le véritable message de la religion
Dr Driss Azzouzi, exégète hors pair et profondément pétri d’un savoir encyclopédique peu commun, il ne cessa d’œuvrer à l’édification d’approches innovantes en matière de traitement pluridisciplinaire du texte sacré, des interprétations du corpus des a-hâdîth du prophète, des lectures littérales ou philologiques qui en sont faites ici et ailleurs. Quelques principes méthodologiques constants guidaient ses principaux travaux : ne jamais céder à la passion aveugle du dogme, explorer par l’Ijtihad les voies du possible, faire de la démonstration raisonnée le fondement de la connaissance. C’est dans cette voie, mettant en symbiose les vertus de la foi et de la rationalité, qu’il s’attacha à établir un subtil dialogue entre religions et civilisations. Il occupa de ce fait, grâce à son propre style, une place à part au sein des cercles et conseils des ulémas.
On lui doit d’avoir toujours privilégié la vision rassurante de la médiation, le langage sans heurts de la compréhension, l’option prospective et vertueuse de l’optimisme. Il sut ainsi exprimer avec intelligence et rigueur le véritable message de la religion, contrairement aux mésinterprétations irresponsables (hélas en vogue de faon majeure sur les réseaux sociaux) qui cherchent à en fausser l’esprit et la lettre. Dans les diverses mosquées où il prêchait, Il avait le mot juste pour prévenir des risques de l’extrémisme et du cynisme idéologique, la parole sensée pour dire combien l’amour du divin et de l’humain est salutaire dans un monde en perte d’âme et de repères. Il estimait que tant que cet amour n’est pas fructifié et entretenu, par-delà les frontières quelles qu’elles soient, le pire sera toujours à craindre de voir nos liens sociaux totalement déchirés, les édifices de notre civilisation voler en éclats, nos valeurs sombrer dans un désastre immaîtrisable.
On ne peut en outre ne pas reconnaître au Maître Ssi Driss le mérite d’avoir formé plusieurs générations de Faqihs, Alims et docteurs à l’acquisition des fondements épistémologiques de la pensée religieuse, sans tendance clanique ou partisane pour telle ou telle doctrine. La seule chose qui lui tenait à cœur était de s’appliquer à l’approfondissement et au renouvellement de cette pensée, comme gage de libération des consciences des interdits, des tabous et de la haine de l’autre. C’est pourquoi ses fatwas suggérées étaient écoutées et approuvées, ses conseils éclairés appliqués et enseignés.
C’est une double légitimité qui a donné à sa démarche un caractère foncièrement solvable et exemplaire. D’une part la haute estime dont il fut honoré par feu Sa Majesté Hassan II qui lui discerna le Wissam Al Istihkak Al-Watani. D’autre part sa production scientifique, éditée et publiée, à travers laquelle il affirma l’intérêt des études textuelles illustrant la fécondité qu’on peut tirer de l’investissement des deux champs du soufisme et du religieux. En consacrant l’apport de cette perspective bidimensionnelle, il traça le chemin d’une nouvelle ère quant au rapport à bâtir par le savoir entre société et croyance, monde d’ici-bas et monde de l’au-delà.
Droiture, exigence et probité furent parmi les principales qualités de Ssi Driss Azzouzi dont l’histoire retiendra qu’il marqua son époque par son implication dans la construction d’une autre façon d’être pour l’homme réconcilié avec lui-même et avec l’avenir.