HOMMAGE À MADAME FATOU BENSOUDA, ex-procureure générale à la  CPI (1) – Par Mohamed Chraibi

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Fatouma Bensouda ex-procureure générale de la CPI et Yessi Cohen ancien patron du Mossad israélien

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Les démêlés d’Israël avec la Cour Pénale Internationale (CPI) ne datent pas du probable mandat d'arrêt pour crime de guerre et crime contre l'humanité à Gaza visant (entre autres) le Premier ministre israélien et son ministre de la Défense, demandé par Le Procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, le 20 mai dernier. 

Ils remontent à janvier 2015, lorsqu’il a été confirmé que la Palestine adhérera à la Cour après avoir été reconnue comme État par l’Assemblée générale des Nations Unies.  Adhésion qualifiée par Israël de « mesure diplomatique plus agressive que la reconnaissance de la Palestine comme État par l'ONU car la CPI est un « mécanisme qui a des dents » ajoutant que la démarche de l’autorité palestinienne relève du « terrorisme diplomatique ».

A l’époque Fatouma Bensouda était procureure générale de la CPI. Selon ses anciens collègues : En tant que ressortissante gambienne, elle ne bénéficiait pas de la protection politique dont jouissaient d’autres collègues de la CPI originaires de pays occidentaux en raison de leur citoyenneté.  Et cela la laissait « vulnérable et isolée ». Le 16 janvier 2015, quelques semaines après l’adhésion de la Palestine à la CPI, Mme Bensouda a ouvert un « dossier d'examen préliminaire sur la situation en Palestine ».   

Netanyahu (décrit par ses collaborateurs comme obsédé » par les activités de la CPI) et certains des généraux et chefs des services de renseignement, qui avaient un intérêt personnel dans ce dossier, ont alors autorisé une vaste opération d’espionnage contre la procureure. Car, contrairement à la Cour internationale de justice (CIJ), qui traite de la responsabilité juridique des États-nations, la CPI est une cour pénale qui poursuit les individus, considérés comme responsables d'atrocités. 

L'un d'eux aurait même déclaré qu’il n’y avait aucune hésitation à espionner la procureure, ajoutant : « Bensouda, est noire et africaine, tout le monde s'en foutra".

Le mois suivant, deux hommes qui avaient réussi à obtenir l’adresse privée de Mme Bensouda, se sont présentés à son domicile à La Haye. Après avoir refusé de s’identifier ils y ont déposé une enveloppe contenant des centaines de dollars en espèces et un numéro de téléphone israélien.

Une des manœuvres d'intimidation auxquelles étaient soumise Mme Bensouda a impliqué le directeur du Mossad en personne, Yossi Cohen,  lorsqu’il fit irruption  dans une suite d’hôtel à New York où Mme  Bensouda tenait une réunion officielle avec le président de la RDC de l’époque, Joseph Kabila qui était de mèche avec Cohen.

Parallèlement à ces manœuvres,  les services israéliens tenaient des réunions secrètes  avec la CPI (Israël n’étant pas membre de la CPI n’était pas sensé entretenir de relations avec  celle-ci) en vue de déterminer quels incidents spécifiques pourraient faire l’objet de futures poursuites devant la CPI,  afin de permettre aux services  israéliens d’« ouvrir des enquêtes de manière rétroactive » dans les mêmes affaires, dans le but empêcher la CPI de mener les siennes conformément au « principe de complémentarité ».(2)

En décembre 2019, Mme Bensouda a déclaré qu'il existait une « base raisonnable » pour conclure qu'Israël et les groupes armés palestiniens avaient tous deux commis des crimes de guerre dans les territoires occupés et requit la Cour de l'autoriser à poursuivre les procédures d’investigation. C'est alors que le directeur du Mossad, Yossi Cohen, a intensifié ses efforts pour la convaincre de ne pas poursuivre l'enquête, devenant plus menaçant après avoir réalisé que la procureure n'abandonnera pas l'enquête : Cohen aurait fait des commentaires sur la sécurité de Bensouda et sa famille (3) et aurait à peine voilé des menaces sur les conséquences pour sa carrière, si elle s’obstinait.  Contactés par le Guardian, Cohen et Kabila n'ont pas répondu aux demandes du journal et Mme Bensouda a refusé de faire des commentaires conformément à son devoir de réserve.

En mars 2020, trois mois après que Mme Bensouda eut renvoyé l’affaire  devant la Cour, une délégation du gouvernement israélien aurait eu des discussions à Washington avec de hauts responsables américains au sujet d’une « lutte conjointe israélo-américaine » contre la CPI car quelques jours auparavant, Mme Bensouda avait reçu l’autorisation des juges de la CPI de mener une enquête distincte sur les crimes de guerre en Afghanistan commis par les talibans et par le personnel militaire afghan et américain.

L’administration Trump a alors engagé sa propre campagne contre la CPI, culminant à l’été 2020 avec l’imposition de sanctions économiques américaines contre la procureure et ses hauts adjoints ainsi que des restrictions de visa. Mme Bensouda fit alors face à une pression croissante résultant d’un effort apparemment concerté en coulisses de la part des deux puissants alliés.  

Les activités de Cohen notamment étaient préoccupantes pour la procureure au point de craindre pour sa sécurité personnelle.  Lorsque elle eut le feu vert de la Cour en février 2021, certains membres de la CPI ont même estimé que Mme Bensouda devrait laisser la décision finale d'ouvrir une enquête approfondie à son successeur.

Le 3 mars 2021, cependant, quelques mois avant la fin de son mandat, Mme Bensouda a annoncé une enquête approfondie sur l’affaire Palestine, déclenchant ainsi un processus qui pourrait conduire à des accusations criminelles, même si elle a averti que la phase suivante pourrait prendre du temps.

De son successeur, Karim Khan, Israël et les USA, espéraient moins d'empressement à aller de l'avant sur le dossier palestinien. De juin 2021, date de sa prise de fonction, au 7 octobre 2023 ils ne furent pas déçus. Mais tout a changé depuis cette date lorsque les crimes commis par Israël en réponse aux atrocités du Hamas rendirent tout atermoiement inacceptable. Les actions d’espionnage des américains et des israéliens sur l’activité de la CPI relatives au dossier palestinien indiquèrent clairement l'intention de M. Khan de demander à la Cour la délivrance de mandats d’arrêts contre les hauts dirigeants israéliens, suscitant la réaction crue d’un groupe de hauts sénateurs républicains américains sous forme d'une lettre de menace à M. Khan avec un avertissement clair : « Ciblez Israël et nous vous ciblerons ».  Loin d'être intimidé, M. Khan a récemment révélé dans une interview à CNN que certains dirigeants élus avaient été « très directs » avec lui alors qu'il s'apprêtait à émettre des mandats d'arrêt.  « Ce tribunal est fait pour l’Afrique et pour des voyous comme Poutine », lui a dit un haut dirigeant américain.

La suite est connue.

  • Toutes les informations contenues dans cet chronique  proviennent d'un article du journal The Guardian du 28/5/24 (spying, Hacking, Intimidation : Israel’s nine-year « war" on the ICC) dans lequel on lit : « Les détails de la campagne menée par Israël pendant neuf ans pour contrecarrer l’enquête de la CPI ont été mis au jour par the Guardian, et trios media israéliens et israélo-palestiniens :  +972, Magazine et Local Call.  L’enquête conjointe s’appuie sur des entretiens avec plus de deux douzaines d’officiers des renseignements israéliens et de responsables gouvernementaux, actuels et anciens, de hauts responsables de la CPI, de diplomates et d’avocats familiers avec les activités de la CPI et les efforts d’Israël pour la saper »
  • Principe selon lequel si un état enquête dans une affaire où  son ou ses ressortissant(s) sont impliqués. La CPI se trouve dessaisie de cette affaire.
  • Selon plusieurs sources, le Mossad détiendrait  les transcripts   d’écoutes du mari de Mme Bensouda.