Le triomphe des imbéciles de Samir Kacimi - Par Samir Belahsen

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Dans ce roman, toute ressemblance avec des situations et des personnes existantes ou ayant existés est délibérée

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“L’humour est l’impolitesse du désespoir.”

Dominique Noguez 

“L’humour ne se résigne pas, il défie.”

Sigmund Freud 

Après « l’amour au tournant » en 2017 et « un jour idéal pour mourir » en 2020, le journaliste et romancier algérien arabophone Samir Kacimi nous propose une «fiction» palpitante, Le Triomphe des imbéciles (الحماقة كما لم يرو عنها أحد), traduite par Lotfi Nia. 

Y sont harmonieusement enchevêtrés trois univers : le rêve, le réel et la fiction, le tout avec un humour certain.

Elle traduit magistralement le désenchantement désemparé et les questionnements de beaucoup de nations  déconcertées, déroutées, désorientées…en un mot paumées.

L’histoire

L'histoire commence par un cauchemar fait par le président. La solution est aussi radicale que rapide, tous les habitants de la cité sont convoqués pour que soient identifiés, puis neutralisés les principaux protagonistes pour  que le rêve ne puisse se réaliser. Et comme les sorts, la bêtise et l’absurdité n’ont pas de limites, deux étranges épidémies touchent le pays. 

La première se manifeste par la descente hebdomadaire de foules fébriles dans la rue pour chanter, danser, scander et revendiquer : une façon de Hiraker.

La seconde prive tous les citoyens de la cité de leur capacité à lire et à écrire. L’égalité de tous devant l’analphabétisme.

La «peste de la danse», dite Eliphtéria, est endiguée en jetant tous « les contaminés » en prison, l'épidémie d'illettrisme plonge la société tout entière dans le chaos. 

Les personnages du roman "Le Triomphe des imbéciles" sont très représentatifs :

Djamel Hamidi : Le président paraplégique, archétype du despote impotent. Dans son cauchemar où il voit défiler ses anciens voisins du quartier populaire de Duc-des-Cars. Il n’hésite pas.  

L’Homme-aux-Nombreuses-Médailles : Rival du président, il orchestre une "fausse révolution" pour placer une nouvelle marionnette à la tête de l’État, sous la coupe de l’ancienne puissance coloniale.

Issam Kachkassi : Escroc qui se fait passer pour un intellectuel et un artiste. Il est à la fois risible et pathétique, suscitant chez le lecteur un rire amer. Une élite qui n’en est pas une.

Salem dit "Le Chameau" : Clone grotesque du président, il est un personnage à la fois risible et pathétique.

Ibrahim Bafaloulou : Fonctionnaire zélé qui est également un personnage risible et pathétique.

Dalila Guendriche : Écrivaine virtuelle imaginée par Issam Kachkassi pour gruger "l’armée des imbéciles" des réseaux sociaux.

Salim Ghachi : Personnage qui ressemble à un chameau et est piégé dans l’absurdité kafkaïenne d’un système qui le dépasse.

Ces personnages, de l'homme politique cupide et corrompu au citoyens désabusés, désenchantés ou opportunistes, de l'activiste idéaliste à la prostituée symbole de soumission mais aussi de puissance, caricaturés, sont utilisés par l'auteur pour critiquer l'absurdité des pouvoirs et la bêtise humaine, ainsi que les manipulations politiques et les ingérences néocoloniales.

A la disparition du président, la question se posede désigner quelqu’un pour gouverner une nation d'analphabètes. 

L'intrigue de Kacimi se déroule dans un cadre purement fictif, mais les allusions de l’auteur Algérien sont claires. 

Un pays ravagé par la corruption où les élites politiques sont déconnectées et où les luttes infinies pour le pouvoir mènent à tout, à toutes les absurdités.

Un réalisme surréaliste

Dans ce roman sorti en Avril 2024, Kacimi démontre que, des fois, la réalité dépasse la fiction. Les événements sont certes caricaturés, c’est une vraie fiction mais l'actualité politique et sociale algérienne met le lecteur de la satire en malaise pour définir la frontière entre la fiction et le réalité. Toutes les frontières sont troublantes.
Le grotesques, le burlesque, l’extravagant et le ridicule  ponctuent la réalité comme la fiction.

Des questions universelles

Dans "Le Triomphe des imbéciles", Samir Kacimi nous offre une critique de l'absurdité des pouvoirs ; il utilise une grosse charge surréaliste pour dénoncer l'absurdité et la bêtise des pouvoirs en place.

Il explore la façon dont la bêtise peut prendre le dessus et conduire à des situations absurdes. Il montre comment l'ignorance et la désinformation peuvent être, et sont, utilisées pour manipuler et contrôler les foules.

La bêtise prend alors le dessus et rend les gens vulnérables aux manipulations de tous genres.

La manière satirique et surréaliste, crée un roman jubilatoire et truculent qui critique l'absurdité des pouvoirs et la bêtise humaine.
La fiction de Kacimi pose des questions universelles :

  • Qu'est-ce qui conduit à la montée des dirigeants médiocres et des politiques destructrices
  • Comment faire face à l'ignorance et à la désinformation qui prolifèrent dans ce monde connecté?
  • Comment redonner confiance en la politique et tisser un lien social et amoureux ni violent, ni marchand?

Face au désespoir, Kacimi questionne la complexité avec humour, il défie l’imbécilité ambiante en Algérie et ailleurs.