Pegasus et autres facéties : Vogue la Galère ! – Par Naïm Kamal

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Pour le néocolonialisme aux abois et de plus en plus décomplexé, toute velléité de souveraineté est insupportable

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Le Maroc recourt-il aux technologies dans le déploiement de ses services de sécurité intérieure et extérieure ? La question aux réponses évidentes mérite-t-elle d’être posée ? Vraisemblablement oui et la réponse de Nasser Bourita est d’eau de roche. Tous les services du monde y recourent. Chacun selon ses moyens financiers, sa maitrise de ces technologies et ses compétences humaines. « C’est une nécessité vitale, à relier au concept de monopole de la violence légitime » a-t-il précisé.

Tout dans cette abracadabrante histoire est de savoir à quelle fin et comment ? Et là encore le ministre des Affaires Etrangères marocain a été clair : « ce n’est pas, pour autant, un domaine gouverné par l’anarchie et l’arbitraire. Ce n’est pas la « jungle numérique ». Qu’elle soit classique ou moins classique, la surveillance se déploie dans le cadre de la loi, toujours. »

Le jouet préféré des gouvernants

Il arrive à des pays d’outrepasser ce cadre, la tentation sécuritaire est toujours forte, et on sait que les Etats Unis d’Amérique écoutent, le plus officiellement du monde, les murmures et le chuchotement de l’univers à travers ses grandes oreilles connues de tous sous l’acronyme NSA pour National Security Agency, organisme gouvernemental  relevant de la Défense, spécialisé dans le « renseignement d'origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d'information du gouvernement américain. » Face visible de l’iceberg, deux chefs d’Etat de premier plan en Europe en ont fait les frais et continuent sans doute en dépit des assurances, l’allemande Angela Merkel et le français François Hollande. La tiédeur de leur réaction à cette révélation ne s’explique que par des faits bien connus des services américains : Leurs propres services à leur tour ne se privent pas de s’adonner sans retenue à ce lugubre exercice.

D’autres pays que les USA ou la France excellent dans ce domaine. La Russie et la Chine figurent au rang de champions. Moins transparents ou plus discrets que les Américains qui étalent leurs performances dans leur filmographie, on ne leur connait pas d’institutions spécifiques, mais SORM en Russie se déploie dans le champ du web, et au fil des progrès technologiques son rayon d’action s’est étendu à tous les supports de communication. Moscou en possède certainement d’autres. La Chine n’est pas en reste et en 2014 la France aurait découvert l’utilisation de son territoire par le renseignement chinois pour écouter les communications entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen Orient.

Un comportement devenu à la longue banal. Depuis l’aube du temps, l’information et le pouvoir forment s’entendent comme larrons en foire et écouter aux portes est le jeu préféré des gouvernants. Et ce n’est pas pour rien qu’on a toujours dit qu’il faut se méfier des murs, ils ont des oreilles.

La preuve par les GAFA

En juin 2013, le « lanceur d’alerte » américain Edward Snowden qui, pendant de longues années, a apporté son expertise de hacker à son pays, a révélé des informations détaillant les nombreuses exactions dans ce domaine avant de trouver refuge en… Russie. Dans son ouvrage autobiographique, Mémoires Vives (2019) il va plus loin et décortique comment toutes les nanosecondes, les services américains violent, au mépris des lois de leur pays et des conventions internationales, l’intimité du monde et les secrets les mieux gardés des États. Sur ce terrain la France, pour ne citer qu’elle, joue les saintes nitouche et aucun opérationnel ni aucun journaliste n’en avaient assez dans le pantalon pour suivre l’exemple de Snowden.

Dans 21 leçons pour le 21ème siècle, le chercheur israélien Yuval Noah Harari détaille comment les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazone) utilisent les données et métadonnées de ‘’nos’’ ordinateurs et autres smartphones pour façonner nos goûts et orienter nos choix. Sans que l’on soit sûr que ces données et métadonnées ne servent pas à autre chose et ne tombent pas entre des mains indélicates. On est même sûr du contraire.

Un truisme : « Les nouvelles technologies sont une partie essentielle du travail des services de sécurité ». Nasser Bourita qui tient ce propos à Jeune Afrique, les qualifie lui-même de « lieu commun ». Dans ce domaine qui obéit au grand secret, personne n’est jamais à l’abri d’une déviance, encore faudrait-il éviter pour qu’elles deviennent la règle et usité à une échelle massive. C’est pour cette raison que les oreilles indiscrètes sont encadrées par la loi. Et en plus des textes, le Maroc s’est doté d’un organisme La Commission Nationale de contrôle de la protection des Données à Caractère Personnel, pour veiller au respect de l’intimité des gens. Ce n’est pas toujours une mission évidente. Elle a toutefois le mérite d’exister.

Une souveraineté « refusée »

Ce qu’il faudrait savoir de l’usage des technologies pour la surveillance, c’est que derrière il nécessite une armée d’analystes et de décrypteurs pour que la collecte du renseignement soit transformée en produit fini, utile et consommable. Ce n’est pas à la portée de tous les pays, mais ce qu’il faudrait encore savoir c’est que la surveillance technologique est loin de suffire aux missions sécuritaires dévolues aux services. Les Américains l’ont appris à leurs dépens après les attaques du 11 septembre 2001. En négligeant l’élément humain dans la collecte du renseignement, se reposant essentiellement sur leurs performances technologiques, ils n’ont pas vu venir le coup. Une catastrophe qui les poussés à revoir de fond en comble leurs procédés et procédures.

La refonte et la modernisation des services marocains après les attentats du 16 mai 2003 en ont fait un outil de sécurité aux performances reconnues. Leurs succès dans la lutte contre le terrorisme, ils ne les doivent pas aux seules technologies acquises ou développées localement, mais à cette exigence de remplir tous les créneaux et ficelles du métier sans négliger la dimension intellectuelle pour tarir les sources de pensée qui alimentent le terrorisme. Leur efficacité a fait des jaloux, mais pas seulement. Ce qu’on ne pardonne pas Maroc c’est aussi et surtout sa volonté de veiller à son développement et d’agir en toute souveraineté.

Dans un monde où le néocolonialisme aux abois et de plus en plus décomplexé, toute velléité de souveraineté est insupportable, cherchant par tous les moyens à décourager les ambitions légitimes du Royaume. Depuis que le Roi Mohammed VI a déclaré que ni l’Afrique ni le Maroc ne sont la chasse gardée de quiconque, des puissances n’ont cessé de regarder d’un mauvais œil le Maroc, guettant le moment de le remettre à ce qu’elles veulent être sa place. C’est dans ce sens et en porte-parole effronté et exécrable d’un néocolonialisme qui ne se donne plus la peine de se vêtir des oripeaux de la décence que le journal le Monde écrivait dans un éditorial (21 mai 2021) en pleine crise maroco-espagnole : « Au nom d’une amitié [sic] qui doit rester exigeante [resic], le moment est venu pour les Européens de signifier au Maroc que son crédit à l’étranger est entamé. » De quelle manière ? On y est, et ce n’est certainement qu’un début. Mais comme le dirait le Roi Hassan II : Vogue la galère !