Le PLF 2022 : un budget expansionniste pour une croissance modeste, un vrai dilemme ! Par Abdeslam Seddiki.

5437685854_d630fceaff_b-

Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Economie et des Finances, la lourde tâche de convaincre un parlement dont 70% font leur première entrée en classe

1
Partager :

http://www.quid.ma/uploads/details/seddiki-final1.jpg

Dès que le programme gouvernemental a été adopté par le parlement, on attendait sa concrétisation sur le terrain et sa déclinaison annuelle sous forme de lois de finances où il est question du concret au-delà des déclarations de principe. C’est désormais chose faite.  Les parlementaires ont   entre les mains le PLF 2022 accompagné d’une panoplie de documents portant sur des sujets complémentaires et dont la lecture est aussi nécessaire et édifiante que le projet stricto sensu.  

C’est dire que  les parlementaires, dont 70% font leur première entrée de classe,  auront un programme chargé.  Du moins pour ceux qui sont assidus et rompus à leur fonction pour  laquelle ils ont été élus par les citoyens. 

Les ministres aux avant-postes

Le débat autour d’un PLF, et pour cause, sera plus passionnant que celui qui a eu lieu autour de de la déclaration gouvernementale.   Dans ce dernier cas, on a constaté que le gouvernement cherchait avant tout l’obtention d’une investiture qui lui était dans tous les cas acquise grâce à une majorité confortable. Il s’agissait en quelque sorte d’une simple formalité constitutionnelle à tel point que le chef du gouvernement désigné, dont on connait son pragmatisme, ne cherchait pas à convaincre en apportant des preuves et des arguments. Il n’a pas cette casquette de tribun  et de débatteur aguerri. Ses qualités sont plutôt ailleurs. 

Avec le PLF, ce sont les Ministres, chacun dans son domaine, qui vont être aux avant-postes. Mais on verra à l’œuvre surtout le tandem formé de la nouvelle Ministre  de l’Economie et des finances   et de son Ministre délégué qui occupait jusqu’à sa nomination le poste de Directeur du Budget.  Aussi,  le temps imparti à la discussion du PLF, tel qu’il est arrêté par la Constitution et la Loi Organique des Finances est largement suffisant pour approfondir  les  débats  sur la mise en œuvre, par le présent gouvernement des orientations  royales telles qu’elles ont été annoncées dans les derniers Discours  du Roi, sur l’adéquation entre les choix budgétaires  et les engagements pris par le gouvernement dans sa déclaration   devant le parlement ,  c’est-à dire   l’adéquation entre la parole et l’acte.

Le décor planté, passons à l’analyse préliminaire du PLF 2022 pour voir en quoi il se distingue des précédents en mettant en exergue ses points forts et ses faiblesses, sachant que toute analyse objective doit prendre en considération le contexte général  à la fois national et international.  Sachant également, qu’un budget n’est jamais neutre. Il traduit des choix voulus pour répondre à telle ou à telle exigence. C’est valable au niveau d’un budget du ménage. Mais c’est encore  plus frappant au niveau du budget de l’Etat. Ainsi, le budget est un arbitrage entre différents intérêts qui ne sont pas forcément  semblables.   On parle de rationalisation des choix budgétaires(RCB), mais dans la réalité,  il s’agit d’une « prétendue » rationalisation dictée par des préférences sujettes au rapport des forces. C’est une évidence dans une société traversée par des antagonismes  sociaux et  des oppositions de classe. Les inégalités sociales ne sont pas un phénomène naturel.  Elles sont le produit historique  des politiques économiques (et budgétaires). 

L’Etat fort et social

 C’est vrai  il y a l’intérêt  national qui  transcende les intérêts catégoriels et les divergences  de classe. C’est pour cela que l’Etat dispose d’une certaine autonomie (relative) par rapport aux différentes classes sociales  et groupes sociaux. Il est loin d’être un simple « Conseil d’Administration » de la bourgeoisie comme le prétendent certaines analyses  simplistes et réductrices.  L’émergence de la notion d’un « Etat social »  ou d’un « Etat fort » dans la déclaration  gouvernementale  comme dans le rapport  sur le NMD, ne relève pas d’une clause  de style, mais plutôt de cette exigence  pour l’Etat (capitaliste) de réguler la société marocaine et d’assurer  la reproduction sociale  pouvant aller à l’encontre des intérêts des  classes dominantes. L’intérêt de la Nation ne se réduit pas à la somme des intérêts individuels.  Comme  la totalité n’est jamais la somme des parties.  

Deux indicateurs  du PLF 2022 corroborent cette thèse. Un premier indicateur  est relatif à la structure des ressources : on relève, fait rarissime,  une augmentation de l’IS de 34,7% pour se situer à 52 MM DH, contre 38,6 MM DH en 2021. Si ce changement qualitatif s’expliquerait, en partie,  par le taux  de croissance attendu cette année (5,6%), il est dû aussi et surtout à la volonté affichée par  l’Etat de traquer les fraudeurs et les récalcitrants face à l’impôt. Jusqu’où  l’Etat peut-il aller ? On le  verra par la suite. Un deuxième indicateur est relatif aux dépenses, et plus précisément aux dépenses d’investissement qui cumulent à 245 MM DH, soit 20% du PIB !! Ce chiffre, à lui seul,  traduit le  sens de « l’Etat social ».  Bien sûr, il y a beaucoup à dire sur  la pertinence de cet investissement public, sur son efficience et son efficacité.   Surtout quand on constate cette grande anomalie entre l’expansion de l’investissement public d’une part et le taux de croissance prévu,  somme toute modeste, de 3,2% d’autre part. Ce taux demeure inférieur aux taux prévus chez nos principaux partenaires d’après les dernières estimations.

Fragilités budgétaires

Mais le changement de cap ne se fait pas en une année. Il se réalise dans la durée. Ce qui suppose courage et persévérance.   Pour cela, il faut œuvrer pour dépasser nos fragilités budgétaires structurelles.  Celles-ci résident   dans le maintien  du déficit budgétaire   (et du déficit commercial) à des niveaux élevés mettant en cause notre souveraineté économique et réduisant nos marges de manœuvre.  En effet, il est inquiétant de constater que les recettes ordinaires (courantes) n’arrivent toujours pas à couvrir les dépenses ordinaires (courantes).  Autrement dit, l’Etat dégage une épargne négative.  Par conséquent, une partie de la dette, heureusement limitée, sert à couvrir les dépenses courantes au lieu de leur affectation  à l’investissement. Qui plus  est,  on emprunte pour rembourser le service de  la dette contractée précédemment.  Ainsi, sur les 105,3 MMDH  prévus comme emprunt en 2022, 90 MM DH, soit plus de 85%, seront consacrés au service de la dette : amortissement plus intérêts. Pour simplifier, il ne restera dans la caisse que la modeste somme de 15 MM DH. Ainsi,   le pays, avec un taux d’endettement du trésor de 76%, et un endettement public de 92%, est rentré de plain-pied dans le cycle  infernal de l’endettement. Comment s’en sortir ? C’est à ce niveau qu’il faut actionner le principe de la RCB (Rationalisation des choix budgétaires). 

 

lire aussi