économie
L’investissement public, moteur de développement ?-Par Seddiki Abdeslam
Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Economie et des Finances lors de la passation des pouvoirs avec Mohammed Benchaaboune, désormais ambassadeur du Royaume à Paris (France). A droite, Fouzi Lakjaa, le patron du budget, ministre délégué éponyme
Un projet de loi de finances s’apprécie essentiellement par l’importance accordée aux dépenses de l’investissement. Ce sont ces dernières qui exercent plus d’impact sur l’économie et la société de par leurs « effets d’entrainement » tant à l’amont qu’à l’aval.
Qu’en est-il dans le cas du Maroc ? C’est à cette question que nous tenterons modestement d’apporter des éléments de réponse dans la perspective de prolonger le débat qui se déroule actuellement au sein de l’enceinte parlementaire sur les orientations du PLF 2022. Un débat que nous voulons serein, sans parti-pris et sans agitation inutile.
Il serait bon de rappeler de prime abord cette évidence : la loi de finances, dont le budget de l’Etat constitue une composante fondamentale, n’est pas un « amas » de ressources et de dépenses. Comme une maison n’est pas un amas de pierres et de béton. C’est une construction scientifique bien élaborée dans le cadre d’une discipline académique portant le nom de « science des finances publiques ». Ainsi, un budget est soumis au respect de quelques principes généraux comme l’annualité, la spécialité, l’universalité et l’unité. A ces quatre principes de base se sont ajoutés deux autres : la sincérité et l’équilibre budgétaire. Tout cela pour permette plus de visibilité et une meilleure lisibilité, afin que les gouvernements s’astreignent à respecter la volonté populaire et à gérer sainement les biens publics et l’argent du contribuable, une fois qu’ils aient obtenu l’autorisation parlementaire pour lever l’impôt et créer la dépense. D’ailleurs, on a instauré au niveau international un classement de pays selon le niveau de leur transparence budgétaire. Le Maroc se retrouve dans une position proche de la moyenne mondiale.
Le budget est donc un ensemble de ressources face à une série de dépenses. Intéressons-nous à ces dernières. Celles-ci sont de trois sortes : les dépenses de fonctionnement, les dépenses relatives au service de la dette et les dépenses d’équipement. Les deux premières, surtout celles relatives au fonctionnement, sont incompressibles et indispensables. Les dépenses de fonctionnement, constituées par les salaires versés aux fonctionnaires de l’Etat, les frais de fonctionnement de l’administration et un certain nombre de charges communes relatives au soutien des prix de produits de base, appelées également dépenses ordinaires, n’ont qu’un effet limité, qui s’exerce au niveau de la demande et du pouvoir d’achat de la population. Bien sûr, un accroissement de la demande a un effet favorable sur l’investissement et donc sur l’offre inversant une loi selon laquelle « chaque offre crée sa propre demande » (Jean Baptiste Say).
En revanche, les dépenses d’investissement sont celles qui ont le plus d’impact sur l’économie. C’est à leur aune que l’on juge un budget d’expansionniste ou d’austéritaire. C’est en fonction de l’importance de l’investissement public, que l’on apprécie la nature de l’Etat : libéral ou interventionniste, gendarme ou providence. Cet investissement public pourrait constituer un véritable moteur de l’économie et un stimulant au développement d’une complémentarité avec l’investissement privé dans une stratégie de développement autocentrée et intégrée. L’on sait en effet que l’investissement public, de par l’effet du « multiplicateur keynésien » produit une augmentation multiple du revenu. Un dirham investi aujourd’hui pourrait générer, à terme, un revenu de 5 DH ! Ce revenu additionnel sera affecté, à son tour, soit à la consommation, soit à l’épargne et donc à l’investissement. Il s’agit, dans ce cas, de l’effet accélérateur. Ces deux effets, multiplicateur et accélérateur, ne jouent parfaitement que dans une économie autocentrée et intégrée. Car, dans les économies dépendantes et désintégrées, ces effets sont très réduits et s’exercent dans les économies du « Centre » pour utiliser une notion chère à l’Economiste Samir Amin. C’est pour cela que l’investissement public au Maroc, malgré son importance relative, ne produit pas tous les effets escomptés. Il faut pour cela des réformes de structure et un changement de méthodes de gouvernance.
D’abord, il convient de lever un certain nombre d’équivoques autour des chiffres avancés par le PLF. On parle d’une enveloppe globale de 245 MM DH au titre de l’investissement public qui comprend l’investissement inscrit dans le budget général, de l’investissement des CST (comptes spéciaux du trésor), des SEGMA (services économique gérés de manière autonome), des collectivités territoriales (communes et régions), des EEP (entreprises et établissements publics) et du Fonds Mohamed VI pour l’investissement. Tel qu’il est annoncé, ce montant de 245 MM DH nos parait énorme. Il représente plus de 20% du PIB ! Mais en décortiquant ce chiffre à la lumière des faits, on revient à des proportions beaucoup plus modestes. D’abord, il y a une différence entre le prévu et le réalisé. Le taux de réalisation oscille dans une fourchette de 60 à 80 %. En nous plaçant dans une hypothèse optimiste, celle de 7O%, ce chiffre est ramené à 170 MMDH. Ensuite, ce qui est réalisé ne se fait pas dans les règles saines de gestion en raison de multiples dysfonctionnements et anomalies telles quelles ont été relevées dans les rapports de la cour des comptes et d’autres organismes. Enfin, on rencontre plusieurs zones d’ombre dans les chiffres et les transferts du budget soit vers les EEP ou vers les CST et surtout vers ces derniers appelés, non sans exagération « caisses noires ». C’est pour remédier à ces insuffisances et améliorer l’efficacité de la dépense publique et le rendement de l’investissement public que des réformes sont lancées notamment au niveau du secteur public. Les choses sont encore à leur début. Mais l’intention est bonne : on préconise une gestion axée sur les résultats, une reddition des comptes, un redimensionnement et une restructuration du secteur public …. La création de l’Agence Nationale de gestion stratégique des participations de l’Etat a comme mission de vieller d’assurer la cohérence et la convergence entre les parties du puzzle.
Ces réformes de fond, comme celles devant intéresser le secteur privé en lui coupant les ponts avec les sources de la rente et les positions monopolistiques, pour le ramener à jouer sur le terrain de la rationalité et de la concurrence, sont des préalables à la mise en place effective d’un NMD. Ce faisant, on donnera confiance aux citoyens dans l’avenir en leur montrant que le changement n’est pas une fiction, encore moins une parodie. C’est un changement voulu et assumé. C’est du sérieux. Tout atermoiement dans ce sens ne ferait que courir à notre pays des risques dont il faut bien se passer. Nous avons d’autres défis à relever. D’autres chats à fouetter.