chroniques
Demain le Commonwealth ? Par Ahmed Faouzi
Le défunt Roi Hassa recevant à Rabat le Reine du Royaume Uni Elizabeth II et son époux le défunt Duc d’Edimbourg Philip, en présence du Roi Mohammed VI alors Prince héritier et le Prince Moulay Rachid.
L’un des bienfaits de la récente reconnaissance par les États-Unis de l’intégrité territoriale du Maroc est la mise à nue des contradictions de la diplomatie de certains pays européens à notre égard. Ce coup de fouet américain, indirect, à la fourmilière européenne a permis de mettre à nue le manque de stratégie et de vision communes de l’Union-européenne vis-à-vis de son voisinage immédiat.
Pour le Maroc, il n’y a jamais eu de pays qui s’appelle le Sahara dans son flanc sud durant les siècles passés, et il n’y en aura pas non plus aux siècles prochains. L’équation est simple limpide et ne peut prêter à confusion. Par contre, pour les anciens pays colonisateurs, qui ont créé de toutes pièces ce conflit, l’ont laissé insoluble, et s’en nourrissent parfois pour mieux servir leurs intérêts, leurs comportements sont, pour le moins, égoïstes. A nos dépends malheureusement et aux dépens de la stabilité régionale.
Ce n’est qu’avec cette crise qui nous a opposés récemment à l’Espagne que, de ce côté-ci de la Méditerranée, on commence à saisir les raisons qui ont poussé un grand pays comme le Royaume-Uni à quitter l’union-européenne pour retrouver son indépendance et le rôle international qui sied à son histoire. La Grande-Bretagne, que le Maroc connait bien depuis des lustres, était notre premier partenaire économique avant le débarquement des français en 1912.
Déjà au 12e siècle, le roi John d’Angleterre charge un ambassadeur pour se rendre auprès du Sultan Almoahade, Mohammed Alnassir, lui demandant une aide militaire et une assistance contre la France qui menaçait d’envahir son royaume. Le Roi John, protestant, était excommunié par le pape et faisait face à des rebellions intérieures. Le Sultan du Maroc n’a pas répondu favorablement à cette requête.
C’est à partir du 13e siècle que les relations maroco-anglaises commencent à se développer réellement avec l’échange d’ambassadeurs de part et d’autre. La présence des troupes marocaines en Andalousie renforçait les relations entre les deux pays. En 1551 Londres envoya le navire Lion to Morocco avec une mission auprès du Sultan Abdelmalek Saadi qui comprenait des diplomates un Bishop et des militaires, et dont l’objectif était d’établir une coopération bilatérale.
La fin de l’être musulmane en Andalousie d’un côté, et le développement du transport maritime britannique de l’autre, semble avoir donné une accélération aux relations bilatérales. En 1585, l’Angleterre établit l’entreprise Barbary Company pour développer le commerce entre les deux nations et renforcer leurs relations stratégiques. La reine Elizabeth I chargea même un de ses ministres pour séjourner au Maroc pendant une longue période aux fins de négocier des accords commerciaux. Pour l’Angleterre, le développement des relations bilatérales devait se faire au détriment de l’Espagne, leur ennemi juré.
De son côté le sultan Ahmed Al Mansour envoya son secrétaire principal Abdelouahed Ben Massaoud comme ambassadeur auprès de la reine en 1600. Il resta six mois à la Cour d’Angleterre pour y négocier des accords commerciaux et une alliance pour contenir les espagnols. Les deux monarques meurent dans les deux années qui suivent sans qu’ils puissent mettre en œuvre leur nouvelle alliance. Plusieurs ambassadeurs marocains séjournent en Angleterre où ils ont laissé marques et souvenirs repris à ce jour par les historiens.
Les relations semblent reprendre de nouveau en 1728 entre les autorités marocaines et anglaises par la signature d’accords de protection des nationaux anglais vivant au Maroc. Entre temps, les anglais en possession de Gibraltar par l’accord d’Utrecht de1713, sont déjà nos voisins. Ces rapports n’empêchent pas le Sultan Mohammed Ben Abdellah, ou Mohammed III, de faire du Maroc le premier pays à reconnaitre l’indépendance des États-Unis en 1777. En 1856 c’est un autre traité d’amitié qui est signé pour relancer la coopération maroco-anglaise.
Au 19e siècle une grande communauté marocaine s’installa à Manchester et joua un rôle considérable dans le commerce de produits variés comme le thé, sucre, coton, blé, huile d’argan, et textile. Les relations semblent évoluer positivement mais les convoitises des autres nations européennes n’ont pas cessé. La conférence d’Algesiras en 1906 allait celer le sort du Maroc qui, à partir de 1912, sera sous protectorat franco-espagnol.
Avec quelques récompenses au Moyen-Orient et en Afrique, la Grande Bretagne perd définitivement pied au Maroc et n’est plus le partenaire privilégié qu’elle fût. Il faut attendre l’indépendance en 1956 pour voir une reprise des relations entre les deux royaumes. Entre temps, la colonisation française a fait son œuvre. Le Maroc est devenu en l’espace de 44 ans de protectorat, impacté par la culture et la langue françaises.
Pourtant tant de choses auraient pu rassembler le Maroc et la Grande-Bretagne, à commencer par les institutions monarchiques et cet esprit insulaire propre aux deux pays et relevé à juste titre par notre cher historien Abdellah Laroui. Selon lui le Maroc est un pays insulaire, une île fermée au sud par le désert, la méditerranée au nord, un adversaire à l’Est et l’atlantique à l’Ouest. Pour lui, il faut tirer toutes les conclusions de cette insularité qui a donné la forte personnalité historique du Maroc.
Si le brexit était un réel soulagement pour l’union-européenne, pour le Maroc c’est, à coup sûr, une opportunité à saisir. Elle permet, d’un côté de reprendre notre coopération stratégique bilatérale avec Londres, et de l’autre s’approcher d’avantage des pays anglo-saxons comme ceux du Commonwealth. C’est au sein de cet ensemble que l’incompréhension demeure quant aux enjeux liés à notre intégrité territoriale, et où beaucoup reste à accomplir sur le plan économique.
La reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis est venue nous rapprocher davantage du monde anglophone, aidée en cela par la prise de conscience des marocains de l’importance de maitriser cette culture. Contrairement à leurs aînés, la nouvelle génération privilégie, pour leur progéniture, les études en langue anglaise. On ne compte plus les écoles américaines et britanniques qui ouvrent leurs portes dans les grandes villes marocaines et l’engouement constaté des marocains pour cet enseignement.
Alors allons-nous sortir doucement de la francophonie, habit qui devient si étriqué pour nous, pour s’inscrire dans une mondialisation régie par le monde anglo-saxon ? La reconnaissance de la marocanité du Sahara par les États-Unis, la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, les investissements et les grands projets marocains dans des pieds africains anglophones, ne militent-ils pas pour revoir nos alliances et priorités ?
Tout prête à croire qu’il est peu probable que le Maroc soit un jour membre du Commonwealth. La culture française fait partie, et sans complexe, de notre histoire et de notre mémoire collective. Elle est désormais notre butin de guerre, pour reprendre l’expression de Kateb Yassine. Mais l’impact des débats en France sur l’Islam et les musulmans et sur les théories du grand remplacement n’aide en rien la nouvelle génération à se rapprocher davantage de la France.
Reste, que pour notre survie aussi, l’adaptation au monde nous oblige à nous inscrire dans la mondialisation menée par le monde anglophone. C’est ce monde-là qui nous permettra d’accéder aussi bien à des marchés qu’aux connaissances et savoirs dont aura besoin le Maroc de demain.
18 juillet 2021.