Pandémie
Confiance et déconfinement
Le déconfinement ne veut pas dire la disparition du virus du corona, c’est une évidence. Mais encore faut-il le rappeler à un moment où l’on assiste partout dans le monde à des levées hésitantes de confinement qui varient selon un certain nombre d’indicateurs relatifs à l’épidémie dans le pays qui déconfine. Avec cette nouvelle phase, on n’est pas dans l’après-corona. On est seulement dans des processus variables d’allègements du train de mesures mises en place pour combattre la contamination à grande échelle par le Covid-19 qui menaçait et menace encore de submerger et de détruire les systèmes nationaux de santé. Mesures dont l’efficacité varie selon la réactivité des autorités, la disponibilité des équipements médicaux nécessaires, la mobilisation des populations, etc.
Le combat n’a pas encore abouti à la phase d’éradication de la pandémie, faute de traitements efficaces et de vaccins. A travers les différents mécanismes de levée du confinement, le monde ne fait que gérer une cohabitation avec le Covid-19. Une cohabitation qui ne s’adosse encore à aucune garantie contre de nouvelles et plus sévères vagues de la pandémie.
Ceci étant, comment les citoyens vont-ils aborder individuellement la transition entre confinement et déconfinement ? L’antienne omniprésente dans le discours public, rappelant et insistant sur les gestes barrières, est-elle suffisante pour rasséréner tous ceux qui sont appelés à quitter leurs foyers qui ont constitué un refuge plus ou moins fortifié contre les dangers de contamination ? Sortis d’un confinement tout à la fois honni et protecteur, ils se retrouvent en plein milieu de contradictions apparemment insolubles. Leur quête de normalité se heurte sans conteste aux bornes de leur libération conditionnée.
Avec le déconfinement, les citoyens peuvent donc vaquer progressivement à leurs occupations d’avant, mais tout en respectant les mêmes gestes barrières qui ont marqué les jours interminables de leur séjour forcé chez eux, sachant que la pandémie n’est pas derrière eux. En quelque sorte, ils sont appelés à continuer leur confinement en dehors de chez eux ! Mais ce dehors, comme on le constate à travers les expériences de déconfinement déjà entreprises par certains pays, est seulement entrouvert. Les lieux de la normalité de la vie d’avant ne sont pas tous accessibles, ou le sont sous des conditions plus ou moins drastiques. Le territoire national est parfois divisé en tranches et hérissé de frontières internes. La couleur rouge sur les cartes de certains Etats montre les endroits où la prévalence de la pandémie demeure menaçante.
Tout le monde se défend pourtant de faire du Covid-19 une maladie honteuse, mais tout concourt à installer la méfiance à l’égard des gens et des régions marquées, comme on marquait jadis les portes de croix qui signalaient les foyers pestiférés.
Les décisions publiques de déconfiner reposent elles-mêmes sur une démarche antithétique : reprendre le cours de la vie afin de sauver l’économie nationale et, en même temps, protéger la santé des gens. Mais il n’y a pas d’autres alternatives. La relance de l’économie est nécessaire. Quant à la protection de la santé, elle a été au cœur du confinement qui a coûté très cher aux économies nationales ; nul ne peut donc prétendre qu’elle a été sacrifiée au moment de l’arrivée de la pandémie. Cependant, avec la fin du confinement, elle est seulement garantie par les précautions dont s’entourent généralement les autorités avant d’entamer le déconfinement : baisse du volume des contaminations quotidiennes, des décès et du taux de reproduction (un Ro tournant autour de 0,7), diminution de la pression sur les hôpitaux, notamment en matière de réanimation, et poursuite de l’effort de lutte contre la maladie. Il ne s’agit donc nullement d’une assurance contre de nouvelles vagues d’infection.
Dans ces conditions très répulsives, comment le citoyen moyen, celui qui n’est ni kamikaze, ni rebelle, ni partisan du déni ou des thèses conspirationnistes, ni immunisé contre le virus… peut-il jouir d’un déconfinement en toute sérénité ? Comment peut-il se forger une confiance en présence de tous ces appels musclés à la prudence, de ces menaces à peine voilées de risques innombrables d’infection, de ces asymptomatiques qui transportent clandestinement le virus, de ces passants qui vous évitent, de ces visages cachés et de ceux qui ne le sont pas ? Comment lutter contre le doute, dans ce climat chargé de peur, d’angoisse et de méfiance ? Comment concilier toutes ces contradictions. Faut-il se résigner à rester chez soi ? Peu de gens peuvent accepter cette relégation forcée, épuisante et déprimante. La dépression, qui a accompagné l’enfermement, sévit dans le monde. Aux Etats-Unis, on parle d’un tiers de la population qui souffrirait de ce mal.
Beaucoup de témoignages de confinés expriment la nostalgie d’embrasser ceux qu’on aime, de serrer des mains, de partager des repas avec des proches ou des amis, de papoter autour de la machine à café du lieu de travail, d’appuyer sur un bouton d’ascenseur ou de cliquer sur le clavier d’un guichet automatique sans peur d’être infecté par le virus , de monter dans un transport public sans appréhender l’entassement et le frôlement devenu suspicieux du voisin, de se couler dans la foule compacte des souks et des marchés, etc. Combien de ces nostalgies se heurteront-elles au mur de la peur ? Combien de personnes risquent-elles de basculer dans la folie du doute causée par la terreur d’être contaminées ?
Ce sont juste des interrogations face au nécessaire mais, ô combien, complexe déconfinement. Il l’est déjà pour les autorités qui le gèrent, mais aussi et surtout pour les personnes lambda qu’on laisse libres d’affronter la rue après un si long enfermement. Il faudrait donc une véritable rééducation et un apprentissage de la liberté conditionnée, en attendant celle de la vie normale.
Ces questions doivent être évoquées clairement afin que les déconfinés prennent conscience de leur responsabilité individuelle devant ces difficultés. Les Marocains, pour leur part, ont fait dans leur écrasante majorité preuve de maturité et de solidarité au moment où ils ont affronté la nécessité du confinement. Il leur reste à réussir le déconfinement.
Rabat, le 27 mai 2020