chroniques
GEOPOLITIQUE DU COVID -19 : Un livre de Pascal Boniface
Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Recherches et d'Etudes Stratégiques (IRES) de Paris, auteur de Géopolitique du Covid-19
Assurément, le monde de demain - d'''après'' - ne sera plus le même que celui d’avant". Avec cette pandémie, une chose est sûre : l'on est projeté ailleurs. Mais où ? Ce livre de Pascal Boniface, directeur de l'Institut de Recherches et d'Etudes Stratégiques (IRES) de Paris s'attelle à cette problématique. La face au monde est en train de changer ; l'évolution en cours paraît conduire à un monde post-mondialisation. Mais qui va en définir le cadre et les règles ? D'une autre manière, s'interroge l'auteur, "y a-t-il eu un "moment Covid-19", un tournant majeur dans les relations internationales ?".
Pour commencer, la sidération : personne n'avait prévu une telle pandémie. En un temps record, la vie quotidienne a été grandement modifiée avec le confinement puis un déconfinement brouillon et encore mal maîtrisé. Quant à l'économie mondiale, elle accuse une forte récession générant le chômage, mettant à l'arrêt - total ou partiel - des secteurs d'activités. Des mises en garde et des signaux d'alertes ont été pourtant multipliés par le passé. Voici une dizaine d'années, le nouveau rapport de la CIA - "Comment sera le monde de demain ", publié en 2009, fait état d'une possible épidémie basée sur des agents pathogènes similaires au Coronavirus –SARS. Bill Gates, en mars 2015, avait également averti sur le péril sanitaire. A ses yeux, 1"épidémie d'Ebola, à partir de 2014 en Afrique subsaharienne, avait constitué une alerte. En France, les deux derniers Livres blancs (2008 et 2013) ainsi que la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (2017) signalaient le risque d'une pandémie s'apparentant à celle du Covid-19.
Est-ce la fin du modèle occidental ? Il n'a pratiquement plus le monopole de la puissance. Et face à la pandémie, les Occidentaux se sont montrés démunis ; ils sont au même niveau que le reste du monde - la comparaison avec le tiers -monde a été faite... La mondialisation a déclassé une domination révolue - les pays membres du G7 ne représentent plus que 45% du PIB mondial, soit 20 points de moins par rapport à 2.000. L'auteur appelle le monde occidental à plus de modestie...
Pour autant, la Chine a-t-elle gagné ? Au début de l'année 2020, ce pays représentait 17% du PIB mondial. La chute de croissance de la Chine allait se répercuter sur la majorité des pays, y compris sur ses rivaux japonais et américain par suite notamment des interdépendances entre les économies. Le Covid-19 n'a pas remis en cause ni arrêté la poursuite de la marche en avant de Pékin. Avec la "diplomatie du masque", la Chine se distingue de manière activiste dans quelque quatre-vingt pays. La diplomatie sanitaire est un outil d'influence. Mais si cette instrumentalisation de l'aide, avec beaucoup de communication, se veut désintéressée ; elle dissimule mal cependant des appétits stratégiques. On a ainsi parlé d'une "route de la Soie de la santé".
Face à ce phénomène de redéploiement de Pékin, les réactions internationales ont été contrastées. En Europe, les critiques ne manquent pas. En Afrique, le discours "tiers-mondiste" de Pékin est souvent perçu comme un écran de fumée masquant des intérêts, comme celui d'ailleurs des Occidentaux à propos de la démocratie. En Amérique latine, la Chine, jadis absente, enregistre une montée en puissance en se classant dans le lot de tête en tant que partenaire commercial. Au Moyen-Orient, à la différence des pays occidentaux mais comme la Russie, la Chine a de bonnes relations avec l'ensemble des pays, de l'Iran à Israël en passant par l'Arabie saoudite, le Qatar ou l'Egypte – 40% de son pétrole vient de cette région. Là aussi, la "diplomatie du masque" a été mise en scène. De plus, les ambitions technologiques chinoises ont été réaffirmées par la 5 G. Celle-ci est au cœur de la bataille géopolitique entre Pékin et Washington pour le contrôle de la technologie mondiale.
Dans tout cela, la superpuissance américaine a été passablement erratique. Pour Donald Trump, dans cette crise du Covid-19, l'horizon a-t-il été sanitaire et diplomatique ? Personne ne peut le croire : il n'a eu pour motivation que sa réélection le 3 novembre prochain. Il a longtemps nié ce virus, le qualifiant même de "gripette "; il a même recommandé de le traiter avec de l’eau de javel... Or ce risque pandémique a figuré depuis longtemps parmi les principales menaces définies par les services secrets américains. Il mettra en cause la Chine et il fermera les frontières avec ce pays le 31 janvier. Depuis, les Etats-Unis sont devenus le principal foyer de l'épidémie. L'OMS n'est pas épargnée pour avoir été bienveillante sur la responsabilité de Pékin. Si bien que la crise du Covid-19 a accru la rivalité, à des niveaux inégalés, entre les deux pays. La mise en accusation de la Chine devient un argument électoral, Biden étant à ses yeux trop mous.
La relation sino-américaine illustre-t-elle le concept de "pièce de Thucydide", l'historien des guerres du Péloponnèse (465-400 av. J-C) ? A cette époque, Sparte ne pouvant accepter la montée en puissance d'Athènes ni la perspective d'être dépassée, s'était lancée dans une guerre qu'elle a gagnée mais qui l'a affaiblie. Que se passe-t-il quand la puissance numéro un voit surgir une puissance numéro deux qui s'apprête à lui ravir le leadership, régional ou Global ? La rivalité Washington - Pékin est en train de structurer les relations internationales - c'est l'un des grands défis stratégiques des années à venir. Face aux ambitions de la Chine, les craintes des Etats-Unis, la crise du Covid-19 n'a sans doute pas créé cette rivalité, mais elle sort certainement exacerbée. Sauf à noter que Xi Jinping s'inscrit dans une perspective à long terme, alors que Trump a l'œil sur l'élection présidentielle du mois prochain. Dans les débats publics occidentaux, la Chine est souvent présentée - et de plus en plus - comme une menace pour leurs démocraties. L'altérité est radicale aux Etats-Unis et de plus en plus insistante en Europe," Péril rouge ? Plutôt" péril jaune" en ce que la Chine est plus chinoise que communiste.
Pascal Boniface appelle à une sortie du manichéisme, une vision binaire du monde. S'en prenant à ceux, nombreux, qui veulent délivrer des leçons de morale " lorsqu'ils évoquent les questions stratégiques, il appelle à la prise en compte de "la complexité des réalités". Il corrige une certaine vision idéalisée des Occidentaux à propos ... de l'Occident, laquelle peut "nous décrédibiliser aux yeux des autres et diminuer fortement notre capacité d'analyse". Il recommande de reconnaître que les autres, aussi, ont des intérêts nationaux et que l'Occident n'a plus les moyens des siens.
Est-ce pour autant la fin de la mondialisation ? On annonçait, il n'y a pas si longtemps encore, la fin des frontières ; elles se redressent partout. Comment vont évaluer les grands flux internationaux de personnes et de biens ? Et avec la crise du Covid-19, l'Etat-nation a été revitalisé. Il était jugé obsolète, inefficient et ringard par certains théoriciens de la mondialisation ; le voilà devenu le rempart et le refuge vers lequel se tournent désormais les citoyens. Il reste que l'hypothèse d'un contrôle plus étroit des peuples n'est pas à écarter : tant s'en faut. La pandémie n'a-t-elle pas été un effet d'aubaine pour des régimes autoritaires mettant en avant alors des motifs sécuritaires? De quoi raviver le débat sécurité /liberté.
Le multilatéralisme est sous pression ; il est même en crise ; mais seul le multilatéralisme peut prévenir de nouvelles crises. Les Etats-Unis de Trump incarnent le refus du multilatéralisme ; y prévaut de plus en plus une diplomatie unilatéraliste, s'attaquant aux institutions multilatérales (ONU, OMS, UNESCO et même OMC). La crise du Covid-19, est "une crise du multilatéralisme et de la solidarité", écrit l'auteur pour conclure. Il reste très interrogatif sur les conclusions à en tirer par suite, en grande partie, de la rivalité aiguisée entre les deux premières puissances mondiales. Des signaux d'alarme sont lancés sur le changement climatique, l'avenir de l'humanité. Demain, l'on ne pourra pas dire que "nous ne savions pas...".
* "Géopolitique du Covid-19" , Pascal Boniface, éditions Eyrolles, 2020, 128 p.