chroniques
Les Marocains du Monde, bienvenue et déconvenues
Marocains devant l’ambassade du Maroc à Paris et binationaux devant le consulat d’Espagne à Tanger
Ce n’est pour jouer l’oiseau de mauvais augure, mais il a suffi qu’un site marocain qualifie, le cas des 27000 Marocains bloqués à l’étranger « d’exception mondiale » pour, selon le principe qu’un témoignage de la tribu est plus accablant, qu’un autre site, algérien celui-ci, récupère l’info pour la brandir comme un point noir contre le Maroc, dans sa gestion de la pandémie. On peut bien mettre cela sur le dos d’une guerre de communication, bonne ou mauvaise, le drame de plusieurs milliers de nos compatriotes piégés par le confinement, demeure une vraie et poignante tragédie. Elle reste toutefois, si j’ose dire, une affaire de gestion purement marocaine.
Sans sombrer dans la surenchère, il y a, en plus d’être kafkaïenne, une situation plus pathétique. C’est le cas des Marocains du monde, européens pour la plupart et dont nombreux doubles binationaux, qui se sont retrouvés bloqués au Maroc, empêchés de rejoindre leurs lieux de résidence et familles. Ceux-là, puisque binationaux, ils ne savent plus, si j’ose dire, à quel saint se vouer. Leur double nationalité s’est presque retournée contre eux. Inaudibles au Maroc après exactement deux mois de confinement dans leur pays d’origine, ils en sont à se rassembler devant les différentes chancelleries, espagnoles ou françaises, dans l’espoir, d’être entendus. Et si, dans un sens, on peut bien comprendre qu’il y a une difficulté, pour l’État de faire face aux conditions d’hébergement en quarantaine et du suivi médical des 27000 marocains bloqués à l’étranger, ce puissant argument sanitaire devient caduc quand il s’agit de gens qui ne veulent, eux, que quitter le Maroc pour rejoindre les leurs. Comme l’a fait la France, pour ses citoyens caravaniers, on pouvait tout à fait imaginer, pour les Marocains d’Espagne du moins, de mettre à leur disposition un bateau entre Tanger et Algésiras. Où est le problème ?
Pour inédit, il est à parier que cet épisode restera comme une flétrissure, du moins sur la pléthore des acteurs impliqués dans la gestion des Marocains du monde, Ministère, les deux fondations, Mohamed V et Hassan II et le CCME (conseil de la communauté marocaine à l'étranger).
C’est devant le mur que l’on reconnaît le peintre. En temps normal, et ce depuis trente ans, on se gargarise, à gorges déployées, sur les Marocains du monde, sur l’attachement indéfectible du pays à ses enfants vivant dans la « treizième région » du Maroc, expression ambiguë léguée par Mohamed Ameur, aujourd’hui ambassadeur à Bruxelles, sur leur essentiel apport, grâce aux transferts, à l’économie du pays, sur leurs soutiens aux causes marocaines. La crise sanitaire est venue mettre à terre la faiblesse et la superficialité de ces types de discours, qui subitement paraissent relever de la piètre et cosmétique communication.
Le pire, c’est que cela continue. Personne ne parle de la tragédie des binationaux. Et dans le même temps-là, on nous exhibe Sara Bellil, une thésarde voilée, scalp du PJD, qui n’a rien avoir avec l’immigration mais parce qu’elle travaille sur le virus. D’autres ont trouvé, pour la même raison, une étudiante, Myriam Othmani, bien dévoilée celle-là, pour la brandir comme un trophée. Ces deux filles ont eu le quart d’heure warholien parce qu’elles figurent dans les équipes pléthoriques de Didier Raoult. En ces moment de doutes, et c’est compréhensible, tout peuple a besoin de héros. On a donc trouvé en la personne de Moncef Slaoui la figure totémique des compétences marocaines découvertes sur le tard. Et voilà comment on recycle des réussites individuelles en mythologie collective. Autre exemple, cocasse celui-ci. Pendant que n’en finissent pas les souffrances de milliers de Marocains du monde, otages d’obscurs tractations diplomatiques, le CCME, avec une communication grossière et indécente, n’a rien trouvé de mieux que d’organiser une dictée, avec un sous Bernard Pivot qui s’auto-qualifie de cancre et, qui, lui-même, s’est inspiré d’une action que mène, depuis 17 ans l’Institut français de Marrakech, ville où il vivait autrefois. On ne peut pas être plus hors sol. Heureusement que le ridicule ne tue pas.
Ainsi, la crise sanitaire a levé le voile sur les insuffisances criantes des organismes dédiés aux Marocains du monde. Par leur mutisme, et leur honteuse désertion face aux appels à l'aide et aux souffrances des bloqués, des enfants et des personnes âgées vulnérables compris, cette crise aura mis à nu, les incompétences, les limites et le manque d'imagination de ces institutions, devenues obsolètes et simple gouffre pour les finances publiques.