Les robots, précieux alliés dans la crise sanitaire, mais à quel prix pour l'emploi?

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Le robot "serveur" du bar Gitana Loca, le 17 mai 2020 à Séville, en Espagne

Quand les contacts humains doivent être limités au maximum, ils peuvent sauver des vies et des usines. Mais les robots, plus visibles que jamais depuis le début de la pandémie de coronavirus, vont-ils aussi amplifier le chômage de masse provoqué par la crise ?

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A Bangkok, un chien-robot distribue du gel hydroalcoolique dans un centre commercial

C'est un bras articulé qui sert des demis dans un bar de Séville, un humanoïde qui prend la température et oriente les patients à hôpital universitaire d'Anvers, un chien-robot qui distribue du gel hydroalcoolique dans un centre commercial de Bangkok, une glacière télécommandée qui livre ses courses à une famille de Washington...

Ces images se sont multipliées au fur et à mesure que le virus se répandait, et que le monde se confinait.

 "Les résistances disparaissent" 

"A partir du moment où il y a une menace pour l'homme, il faut envoyer un robot", estime Cyril Kabbara, cofondateur de Sharks Robotics, une start-up française.

Son robot Colossus, qui a contribué à sauver Notre-Dame-de-Paris des flammes en 2019, a été adapté pour pouvoir décontaminer des locaux.

 "Il y a 4-5 ans, quand on présentait Colossus, on nous riait au nez parce que les pompiers se disaient: +ces gars-là vont nous faire perdre notre emploi+", se souvient l'entrepreneur. Colossus a depuis été adopté par les pompiers parisiens et marseillais. "Plus on avance, plus les résistances disparaissent."

Il n'y a pas que dans les secteurs de l'hygiène et du médical que les robots ont gagné leurs galons. "Cette crise a été un peu un démonstrateur qu'il faut avoir une continuité d'activité même si une crise sanitaire ou autre intervient", retient Cyril Kabbara. "On a pas mal d'industriels qui nous le disent: les robots nous permettent de continuer notre business et si on ne les avait pas, on serait à l'arrêt." 

Mais de sauveur d'activité, le robot peut vite prendre le costume plus sombre de destructeur d'emplois. "La récession aggravée pourrait entraîner une poussée d'automatisation à la place de l'emploi", estime Mark Muro, du centre de recherches Brookings de Washington, dans une note pour le site Economist Intelligence Unit.

La "robophobie" gagne la Chine 

"Ceux qui suggèrent que l'automatisation ne supprime pas des emplois dans le secteur manufacturier ont tort", estime Carl Frey, chercheur à l'université d'Oxford, dans un entretien à l'AFP. Il avance ainsi ces chiffres concernant la Chine, pays qui s'automatise à grande vitesse, avec 650.000 machines installées en 2018. Et où 12,5 millions d'emplois dans la production ont disparu entre 2013 et 2017... 

Or, c'est justement en Chine que la "robophobie" a explosé avec la crise sanitaire, selon une étude d'IE University, basée en Espagne: de 27% avant le début de la pandémie, le soutien à la limitation de l'automatisation a doublé pour atteindre 54%, rejoignant presque la France (59%) qui détient le record de méfiance.

Plus le sondé est jeune, moins il est diplômé, et plus la peur de l'automatisation est forte, souligne l'étude. "Historiquement, le progrès technologique a permis de créer beaucoup d'emplois mais c'est moins le cas dans le monde numérique", d'aujourd'hui, à l'exception notable d'Amazon, estime Carl Frey.

Personne à l'abri ? 

Les emplois plus qualifiés, eux, pourraient être menacés par l'essor de l'intelligence artificielle, capable d'effectuer des projets de classement, évaluation ou planification, estime Mark Muro pour qui "aucun groupe de travailleurs ne serait à l'abri cette fois-ci", contrairement aux précédentes crises économiques.  

Si la corrélation entre forte robotisation et faible chômage existe, notamment à Singapour et Corée du Sud, pays les plus densément robotisés au monde, Carl Frey n'en prédit pas moins une montée de "l'angoisse de l'automatisation" une fois que le nouveau coronavirus ne fera plus la Une.

Pour autant, il est peu probable de voir un mouvement mondial s'opposer aux machines, estime le chercheur britannique, car les principales victimes en seront les régions industrielles, déjà affectées par des décennies de déclassement économique.