Eugène Delacroix à l’Académie du Royaume

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Du 11 au 13 septembre l’Académie du Royaume du Maroc organise un congrès international sur LA PALETTE D’EUGENE DELACROIX  1832 – 1863. La séance d’ouverture sera animée par Mme Dominique De Font-Réaulx, conservateur général du Musée du Louvre. Elle parlera de Delacroix au Maroc avec un grand point d’interrogation pour savoir si c'est une aventure moderne. En janvier 2013, celui qui n’était pas encore Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdejlil Lahjomri, publiait dans le Quid une chronique sur Delacroix, au Maroc, tel qu’en lui-même… Il y écrivait : « A quand, « Messieurs de la Culture » cette exposition – retour des toiles de ce peintre qu’un journaliste a qualifié de marocain, qui l’est sûrement autant que le seront plus tard Matisse, et Majorelle mais qui, le premier, par l’ampleur de la révélation qu’avaient suscitée ses toiles immortalisa l’âme d’un peuple fier de sa grandeur dans la simplicité de ses mœurs, les saveurs de son accueil, et les parfums de sa diversité ? » A la lecture de ces mots, six ans après, on a envie d’écrire quel meilleur cadre que ce congrès international pour reposer cette question, forcément lancinante, restée sans réponse. N K 

Delacroix, au Maroc, tel qu’en lui-même….

Il y a quelques années Tahar Benjelloun publiait une « lettre à Delacroix » qui est plus que l’hommage d’un immense écrivain à un peintre encore plus immense, mais qui se veut une reconnaissance esthétique pour un coloriste percutant que Baudelaire a su merveilleusement « chanter » en critique d’art lucide et délicieux, pour surtout célébrer un peintre – écrivain qui dans ses carnets de voyage a eu cette exclamation émouvante à propos du pays qui l’accueillait en 1832 « la Beauté court les rues ».  La meilleure étude universitaire sur la relation « Delacroix – Baudelaire » n’est pas marocaine mais tunisienne. Elle est l’œuvre de Fayza Benzina, professeur à la faculté de lettres de Tunis, dont la documentation, la finesse des analyses offrent des fulgurances séduisantes et surprenantes. Je ne connais pas, de ce côté-ci de la méditerranée, d’étude aussi exhaustive que cet essai intitulé « Une poétique de l’œuvre d’art » et que vient de publier cette éminente chercheuse tunisienne. 

Et si la jeune Fondation des Musées au Maroc a à juste titre programmé des expositions de peintres marocains au Louvre afin de promouvoir un ambitieux projet de dynamisation de nos musées existants ou à créer, elle ne semble pas avoir pris connaissance du vœu de Tahar Benjelloun de voir les toiles de Delacroix présentées dans le pays qui les a inspirées. Ce retour de Delacroix, que Tahar Benjelloun dit opérer par la « magie du verbe » il me semble que la Fondation des Musées devrait le tenter par une manifestation à la dimension de ses ambitions, de ses promesses et des attentes d’un public avide de découvertes en donnant à voir ces toiles qui ont révélé à une société précoloniale une émotion esthétique nouvelle, qui transcendait l’idéologie dominante de l’époque, en les exposant, ici dans le pays qui en constitue la trame essentielle.  En attendant, que ce vœu que tous les amoureux de la peinture au Maroc et sur le Maroc devraient s’approprier, puisse se réaliser, Maurice Arama vient par la magie des mots, des reproductions, de révélations inattendues de le réussir en faisant revenir le peintre dans les contrées qui l’ont tant fasciné. Il fait découvrir au public chez Mémoarts, galerie dynamique et maintenant maison d’édition, une dimension originale de l’œuvre picturale de Delacroix au Maroc, tel qu’en lui-même enfin la curiosité passionnée et inlassable de cet ancien direction de l’école des Beaux Arts de Casablanca le révèle dans ses mystères insondables. Si ce « Delacroix au Maroc, les Heures Juives » est aussi important que le « Cri d’Alger » du même auteur, c’est parce qu’au-delà de la simple astuce ethnique qui a permis au peintre de pénétrer plus facilement les espaces interdits par l’aniconisme religieux, c’est parce que les couleurs, les habits, les maisons, les salons, les attitudes, les décors de la vie quotidienne, les spectacles qui s’offraient  lui, à de rares exceptions près avaient la même tonalité que s’il avait pu les « fixer » en accédant aux harems jalousement protégés des notables musulmans de Tanger et de Meknès. Maurice Arama emprunte ce titre aux frères J.J. Tharaud qui avaient intitulé le premier tome de leur trilogie sur le Maroc commandée par le résident Lyautey « Rabat ou les heures marocaines ». Cet essai va enfin dévoiler l’identité des personnages que peint Delacroix et qu’Alexandre Dumas cherchera fébrilement à retrouver lors de son bref séjour à Tanger. Si toutefois Maurice Arama a choisi de dissocier cette dimension juive, c’est je crois tout simplement parce que c’est la seule voie que ce peintre a trouvée pour s’imprégner des « splendeurs orientales » féminines, non parce qu’il voulait privilégier une communauté par rapport à une autre et qui avait été marginalisée. Elle jouait un rôle prépondérant dans ce Maroc ancien, et l’Orient qu’elle offrait au peintre ne présentait aucune résonance ethnique. Il est l’Orient, l’Orient vrai, puissant par ses hommes, sa flore, sa faune, fascinant par ses femmes.  Cette publication va fort heureusement par les précisions minutieuses qu’elle apporte infléchir d’une manière sincère et convaincante les jugements, quelques peu sévères que Maurice Arama portait sur les écrits de Delacroix sur le Maroc. Il affirmait dans une plaquette de 1963, que nous avons affaire à « un touriste pressé, empêtré dans ses parti-pris…. parisiens» qui semble démuni de ce don de sympathie indispensable à l’étude de ce qui ne nous ressemble pas », qui est « un moraliste conservateur » dont la peinture tourne le dos résolument à un Orient de pacotille mais dont « la littérature par contre nous y ramène sans cesse ». Dans cette nouvelle étude Maurice Arama cependant allait dire tout autre chose. Il nous confie que les écrits de Delacroix « sont portés par un regard empreint d’humanité » et que les notes sont d’un observateur soucieux de vérité, et qui accompagnent avec empathie « les Maures et les Juifs » qui sur ses toiles et ensemble, poursuivent leur dialogue plusieurs fois millénaire ». Il est donc loin le temps où Maurice Arama écrivait que dans ses observations Delacroix jugeait « cette humanité avec l’assurance de vingt cinq siècles de civilisation ».  Il fallait pour oser ce fléchissement d’analyse et d’approche aussi intellectuellement audacieux une persévérance dans la recherche et une probité dans le jugement. C’est rare. Il fallait le signaler. Cette nouvelle publication vient à point nommé pour nous rappeler, comme l’a fait remarquer Jacques Berque que nul mieux que Delacroix n’avait compris les Arabes, et aussi les juifs comme le prouve cette plongée dans les heures juives au Maroc. La jouissance esthétique que provoquent ses toiles marocaines préfigurent cette course à l’enchantement oriental qui fera naître le genre du « voyage en Orient » qu’affectionneront les romantiques de Châteaubriand à Gérard de Nerval en passant par V. Hugo qui tout en n’ayant jamais fait ce déplacement donnera comme titre à un de ses recueils « Les Orientales ». Toutefois leur Orient sera un Orient mythologie. Celui des Mille et une nuits. Celui de Delacroix sera un Orient qui détruit le mythe de l’Orient, qui exalte les couleurs vraies, de la lumière épanouie qui assassine le visiteur de sa réalité, l’Orient des élans qui vibrent devant le superbe qui remplit les rues. 

A quand, « Messieurs de la Culture » cette exposition – retour des toiles de ce peintre qu’un journaliste a qualifié de marocain, qui l’est sûrement autant que le seront plus tard Matisse, et Majorelle mais qui, le premier, par l’ampleur de la révélation qu’avaient suscitée ses toiles immortalisa l’âme d’un peuple fier de sa grandeur dans la simplicité de ses mœurs, les saveurs de son accueil, et les parfums de sa diversité ?

Ce que le « stupide XIXème siècle » et son exotisme à la canonnière ne comprirent jamais. Il est étonnant de constater de nos jours qu’une curiosité de plus en plus insistante s’intéresse  à cet exotisme là, dérisoire, et à ce romantisme tout colonial. L’on voit ainsi fleurir sans discernement des rééditions anarchiques pour la satisfaire. La publication de l’ouvrage de Maurice Arama vient rappeler qu’en marge de cet exotisme de distraction existe un courant de rapport à l’Autre qui a su ériger le Maroc en un thème littéraire et pictural puissamment objectif et suggestif à la fois.  Il se trouve que ce courant là est peu investi par les rééditions et les expositions. Celle, qui pourrait un jour donner à voir au Maroc les toiles de Delacroix sur le Maroc, (mais ce n’est peut-être qu’un rêve), montrera peut-être que la curiosité esthétique qui s’éveille chez nous n’est pas simplement une curiosité de pacotille.

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