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Le phénomène ''Ampelmann'', un rescapé de la RDA devenu culte
Les feux de signalisation Ampelmann dans le magasin de la marque berlinoise Ampelmann au centre de Berlin, en Allemagne, le 19 juillet 2024. Trente-cinq ans après la chute du mur de Berlin, le petit homme au chapeau du feu de signalisation s'est transformé en un improbable symbole de l'Allemagne réunifiée, l'AFP. (Photo par RALF HIRSCHBERGER / AFP)
Trente-cinq ans après la chute du Mur de Berlin, le petit bonhomme au chapeau des feux de circulation s'est mué en symbole de l'Allemagne réunifiée, une histoire inédite pour une création "made in RDA".
Vert en marche, rouge les bras écartés pour avertir les piétons, l'"Ampelmann" est un personnage incontournable dans les rues de la capitale allemande.
Il est l'un des rares signes de la République démocratique allemande (RDA) à avoir survécu dans le paysage urbain bouleversé par la chute du Mur, le 9 novembre 1989, dont l'Allemagne célèbre samedi le 35e anniversaire.
Cette figure "est devenue tellement populaire qu'elle s'est imposée comme un symbole de la réunification" scellée en 1990, assure à l'AFP Markus Heckhausen, l'entrepreneur qui l'a transformée en marque commerciale lucrative.
L'Ampelmann a pourtant bien failli sombrer avec le pays qui l'a vu naître, tout comme les blocs d'immeubles gris repeints de couleurs vives, les chiches magasins d'Etat remplacés par d'opulentes enseignes occidentales, les petites voitures polluantes, les "Trabant", progressivement envoyées à la casse.
"Perte d'identité"
Alors que les feux étaient démontés dans les années 1990, abandonnés sur les bords des routes, Markus Heckhausen a eu l'idée de les récupérer et de les transformer en lampes d'intérieur. Parallèlement, il a lancé un appel, relayé par les médias, au maintien du bonhomme au chapeau dans les feux.
La campagne touche un nerf sensible à un moment où les Allemands de l'est réalisent qu'ils sont "en train de perdre leur identité" au fur et à mesure que leur environnement quotidien disparaît, explique ce sexagénaire originaire de l'ouest de l'Allemagne.
L'Ampelmann -littéralement l'homme des feux de circulation- est finalement progressivement réintégré dans l'est du pays et dans tout Berlin. On en trouve aussi parfois dans des villes de l'ouest.
Créé en 1961 par un "psychologue du trafic routier", Karl Peglau, il était déjà une star sous le régime communiste, étant alors aussi un personnage de dessins animés.
"J'ai l'impression qu'il était toujours là dans mon enfance", témoigne Torsten Föste, 53 ans, originaire de Greifswald, dans l'ex-RDA, qui vit désormais à Berlin.
L'attachement à ce personnage, partagé dans l'est comme dans l'ouest de l'Allemagne, est largement lié à son "imperfection" qui le rend particulièrement sympathique, analyse le graphiste Fons Hickmann, professeur à l'université des Arts de Berlin.
"La jambe arrière est un peu trop grande, celle de devant un peu trop courte, le personnage est volumineux", dit-il à l'AFP, évoquant l'Ampelmann vert.
"On pourrait dire que c'est un signe très moderne dans le sens du body positivisme", qui prône l'acceptation de soi.
Produits dérivés
Son créateur avait volontairement dessiné un personnage mignon et bien visible, propre à attirer l'attention des piétons à un moment où le nombre des accidents de la route augmentait.
"Je trouve cette idée de base si importante, visant à dire que la circulation routière n'appartient pas seulement aux voitures", souligne Fons Hickmann. C'est au fond "un problème très actuel".
S'il poursuit sa mission dans les feux, l'Ampelmann est aussi un business : depuis la lampe, une multitude de produits sont apparus, du mug au T-shirt, de la peluche au stick usb.
L'exploitation commerciale d'une création est-allemande par un "Wessi" -un terme un brin péjoratif désignant les Allemands de l'ouest- ne choque en rien l'"Ossi" Torsten Föste : "je dis félicitations, c'est une super idée !"
Markus Heckhausen a d'ailleurs convaincu Karl Peglau d'utiliser son personnage et de travailler avec lui jusqu'à sa mort en 2009. Aujourd'hui, l'entrepreneur dirige une société dont le chiffre d'affaires est de plusieurs millions d'euros et employant quelque 80 salariés, dit-il sans vouloir en dire plus sur les bénéfices.
A Berlin, les magasins Ampelmann sont un passage obligé des touristes. "Ils sont chics", s'enthousiasme Petra, une femme d'une quarantaine d'année originaire d'Essen (ouest), rencontrée dans une de ces boutiques. "Moi, par exemple, j'ai déjà acheté de petits verres à schnaps et des magnets pour le frigo".
A la recherche d'un cadeau pour sa mère, Silas, arrivé de Suisse, hésite devant un paquet de pâtes en forme d'Ampelmann rouge, jaune, vert.
L'Ampelmann "est unique à Berlin", estime l'adolescent. Et, "historiquement, un personnage qui se développe ainsi, c'est tout simplement passionnant". (AFP)