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‘‘Femmes politiques au Maroc d’hier et d’aujourd’hui’’ d’Osire Glacier : Un goût d’inachevé
Unies dans le tragique : Aïcha Mekki, journaliste, morte dans la solitude et l’indifférence n’a aps laissé de photo, on en a pas trouvée, mais en souvenir d’elle les ratures de ses écrits, quand le journalisme se conjugait au manuscrit. Touria Chaoui, icone des lumières, on peut encore, pour le bonheur de l’histoire, en admirer le regard déjà ailleurs.
Sans 8 mars, Abdejlil Lahjomri s’est intéressé à Aïcha Mekki, une des journalistes qui ont fait les jours heureux du quotidien L’Opinion. Une journaliste que le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume a découvert post mortem, décédée en 1992 de « ses blessures propres ». Pendant 17 ans, elle a, «inlassablement et dans une solitude impensable, consacré sa vie à défendre les démunis, les déshérités, « les damnés de la terre […] », Tous ceux qui, titre de sa chronique, survivaient Au Ban de la Société. Touria Chaoui, l’autre femme de cette chronique, au destin tragique, elle, a connu les lauriers de son vivant et ne l’ont plus quittée. « Beaucoup [en] étaient dans leur solitude affective secrètement amoureux ». « Elle représentait pour nous, dit A. Lahjomri : l’entrée résolue de notre société, dans la modernité du siècle, et sa rupture définitive d’avec l’ignorance, la clôture de l’esprit, l’obscurantisme et le despotisme idéologique. » Tout séparait les deux femmes, l’extraction sociale et la vocation finale pour vivre, chacune à sa façon, une mort précoce. L’une sous les balles d’une main haineuse, l’autre dans l’indifférence et la solitude d’une chambre où elle était enterrée avant de mourir. C’est à elles et pour ce qu’elles représentent dans le combat au féminin, que A. Lahjomri rend hommage. Pour que ce que charrie leur souvenir continue de vivre en nous.
Elles s’appelaient Tin Hinan, Sobh ou Aurora, Itimad, Caida Chamsi, Sayda Elhorra, Zaydane, Touria ou Aïcha…, toutes femmes d’exception qui ont vécu dans le bonheur ou dans la souffrance, surtout dans les souffrances des vies d’exception. Osire Glacier dresse le portrait d’une trentaine d'entre elles, qu’elle fait surgir de notre lointain ou proche passé. Elle a publié chez ‘‘Tarik-Editions’’ « Femmes politiques au Maroc d’hier et d’aujourd’hui ». Pourquoi la lecture de ces portraits laisse au lecteur un goût d’inachevé ? Non parce que l’étude annoncée en titre sur « la résistance et le pouvoir au féminin » est, elle, inachevée, que l’introduction et la conclusion sont extrêmement généralistes et ne brassent que des vérités communément admises, mais parce que l’exploitation des références bibliographiques n’a pas été heureuse.
Elle n’a produit que des portraits peu aboutis de femmes dont la personnalité devait être unique pour que la postérité légendaire s’empare d’elles, et rappelle leur force symbolique, les fait échapper à l’oubli qu’une histoire écrite par les hommes pour la gloire des hommes exerce encore sur l’histoire officielle. Elles imposent leur présence malgré la marginalisation et parfois le dénigrement de la misogynie déprimante des hommes. C’est un livre hommage, certes nécessaire et utile, mais non l’étude attendue et espérée de l’histoire des femmes et de leur place occultée par l’histoire des hommes. Ce qui fait dire à un chroniqueur que « l’auteure n’offre pas une véritable analyse transversale et s’en tient à de courts récits » qui écornent le sens de leur résurrection et frustre la curiosité toute admirative du lecteur en attente.
Je commenterai deux de ces portraits : celui de Touria Chaoui, première femme pilote assassinée aux lendemains de l’indépendance, qui fut pour notre génération « princesse des nuées », dont beaucoup étaient dans leur solitude affective secrètement amoureux, et celui de Aïcha Mekki, journaliste et écrivain martyr, morte dans la misère d’autres solitudes affectives.
Pourquoi le portrait que fait Osire Glacier de Touria Chaoui laisse ce goût amer d’inachevé
Les événements de sa courte vie sont connus. Se contenter de les rappeler ne suffit pas. En cerner la symbolique profonde aurait permis de prendre conscience que ce que le meurtrier, dont la main fut armée par l’occupant, ou par d’autres forces obscures, (on ne l’a jamais su,) a assassiné, ce n’est pas une femme, belle, attirante, libre et émouvante. Mais ce qu’elle représentait pour nous : l’entrée résolue de notre société, dans la modernité du siècle, et sa rupture définitive d’avec l’ignorance, la clôture de l’esprit, l’obscurantisme et le despotisme idéologique.
Cheveux au vent, visage découvert en ces temps peu propices à tout dévoilement, sanglée dans son uniforme de pilote, majestueuse et fière d’être citoyenne d’un pays libéré, elle accueille son Roi le jour de son retour triomphal de l’exil, défiant les nuages et leurs turbulences dans son monoplace comme pour nous dire à tous : rien n’est impossible aux forces qui nous propulsent vers les défis de l’avenir, qui nous élèvent vers ces hauteurs azurées où elle navigue avec espérance en compagnie de l’avion de toutes les espérances.
Mars 1956 : Les funérailles de Touria Chaoui, sur son passage, des femmes, inédit à cette époque.
C’est ce portrait que j’attendais. Il reste à faire, à écrire. Je crains fort que nous ne devrions attendre encore longtemps l’auteur(e) inspiré(e) qui l’entreprendra, les temps d’aujourd’hui étant encore rétifs comme par le passé à l’écriture de la dimension féminine de notre histoire.
Quant au portrait de Aïcha Mekki, morte d’avoir été la première journaliste et probablement la dernière à avoir pratiqué courageusement un journalisme de vérité que donne à voir Osire Glacier, il est l’illustration parfaite de cet inachèvement, de cette si regrettable illusion d’écrire la vérité d’un personnage.
Il arrive, qu’en restant dans l’inachevé, et qu’en ne faisant qu’effleurer leur sujet des auteurs nuisent à la plus belle des aventures de l’écriture : dévoiler ce que nous fûmes pour être fiers de ce que nous serons.
Et pour notre écrivaine canadienne, dévoiler ce que furent nos femmes d’antan pour être fiers de ce qu’elles deviendront et feront de nous demain.
Mr Michel Jobert disait dans son émission « Point de vue » consacrée à Aïcha Mekki :
« Combien de fois ai-je signalé la qualité de ses articles, le son vrai et généreux qu’ils rendaient à des amis, au Maroc ? Ah, oui vraiment !
me répondait-on avec politesse ».
« Ah ! Oui vraiment !
Mais pourquoi donc une œuvre, sur une journaliste inconnue, morte depuis longtemps, et dont les chroniques sont depuis longtemps « inactuelles » ?
Pour répondre à cette question, et un peu aux sarcasmes de ceux qui ne voient aucun intérêt à « évoquer » une inconnue, qui dissertait sur des faits divers sans importance, j’aimerais d’abord faire un aveu : je n’avais jamais rien lu, de cette journaliste, je ne connaissais rien d’elle, je n’avais jamais entendu parler de ses chroniques, de son combat. Il fallait d’abord aller à sa découverte. Ce fut laborieux, puisqu’il fallait réunir 800 chroniques, les lire, les classer, s’en imprégner.
A la fin de cette lecture, une certitude s’était imposée à moi : pendant 17 ans cette journaliste, inlassablement et dans une solitude impensable, a consacré sa vie à défendre les démunis, les déshérités, « les damnés de la terre », la petite bonne exploitée, l’épouse violentée, chassée, les jeunes filles abusées, abandonnées, les enfants des rues, Ali Zaoua et les autres, ceux que l’injustice accablait, une décennie avant que ce qu’on appelle actuellement « la société civile » ne découvre avec horreur toute la misère des marginaux, des laissés pour compte.
Le tragique de la situation de A. Mekki est dans ce décalage.
Ne faut-il pas rappeler à tous ceux qui aujourd’hui découvrent cette situation, que cette journaliste avait, il y a longtemps, dans l’indifférence générale lutter seule pour la défense de ceux qui aujourd’hui obsèdent la société civile ?
Ce n’est que justice de rappeler à la conscience nationale que 800 chroniques ont été écrites décrivant cette fracture sociale sans que la justesse de leur ton ne l’ait en ce temps-là ni touchée, ni émue, ni mobilisée.
C’est rendre justice, à cette journaliste que d’affirmer que c’est peut-être grâce à son engagement précurseur qu’aujourd’hui l’indifférence est ébranlée, bien que de nos jours encore, tout un pan de la société continue à dire « Ah ! oui vraiment !» et à retourner à son indifférence et à son égoïsme naturel.
Aïcha Mekki est morte de ce décalage-là.
Aujourd’hui, la question sociale est au cœur du projet de société. Je ne pourrais pas ne pas penser que cette journaliste en a eu l’intuition, et qu’évoquer son parcours, et en rappeler les moments forts aujourd’hui, c’est lui permettre de participer un peu à titre posthume, à ce grand débat sur les démunis, les déshérités, les marginaux, qu’elle a toute sa vie assistés auprès des tribunaux, allégeant leurs douleurs, avec une infinie compassion et une tendresse infinie.
Voilà le pourquoi de cette chronique qu’on pourrait croire de circonstance. Voilà, pourquoi le combat de cette journaliste est d’une grande actualité, et pourquoi elle et ses confrères, dans leur profession souvent difficile sont « la mémoire de leur peuple ».
Pourquoi aussi les portraits de ces deux femmes sont inachevés dans l’essai d’Osire Glacier et qu’ils restent à faire pour l’édification des générations présentes et futures.