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Cinéma, mon amour de Driss Chouika: FESTIVALS DE CINÉMA ET CINÉMA DES FESTIVALS
Face à la prolifération des festivals, certains critiques et réalisateurs remettent en question cette évolution jugée négative, et amènent d’autres à se demander si les festivals continuent de jouer un rôle constructif dans le développement du cinéma ou s'ils ne sont devenus que de véritables marchés commerciaux.
« Aujourd'hui, les festivals de cinéma sont comme les congrès de dentistes. C'est tellement folklorique que c'en est déprimant ». Jean-Luc Godard.
Les festivals de cinéma ont longtemps été des événements marquants dans le paysage cinématographique mondial. Ils constituent des plateformes essentielles pour la mise en avant de nouveaux talents, la promotion de films indépendants et l'encouragement des échanges artistiques. Cependant, à mesure que le nombre de festivals augmente, leur crédibilité et leur rôle dans le développement du cinéma suscitent des interrogations.
Les premiers festivals de cinéma ont vu le jour au début du 20ème siècle, avec le Festival de Cannes en 1946 comme symbole emblématique. À cette époque, les festivals avaient pour but de célébrer l’art du cinéma, de promouvoir des films de qualité et d’encourager les échanges culturels. « Le cinéma n’est pas seulement un divertissement, mais un art qui mérite d’être reconnu et célébré » avait dit Pierre Lescure, ancien président du Festival de Cannes. Cette époque a également vu l'émergence de festivals comme la Berlinale et la Mostra de Venise, chacun cherchant à valoriser des œuvres cinématographiques de différentes cultures tout en favorisant le dialogue entre les réalisateurs et le public.
Au fil des décennies, l’essor du cinéma commercial et l’explosion des chaînes de télévision et des plateformes de streaming ont conduit à une multiplication des festivals de cinéma. Dans les années 1990 et 2000, des festivals tels que le Tribeca Film Festival, Sundance Film Festival et le Toronto International Film Festival ont commencé à attirer une attention croissante, notamment en servant de tremplins pour des films destinés à un large public. Cela a marqué un changement dans l’objectif des festivals, qui sont devenus plus orientés vers la commercialisation des films que vers leur appréciation artistique. « Dans certains cas, les festivals sont devenus des outils de marketing pour Hollywood », affirme la réalisatrice Jane Campion, ce qui souligne l’importance de revenir à une vision plus artistique et moins commerciale d’un cinéma mondial indépendant, riche et diversifié.
DES FESTIVALS DE CINÉMA À UN CINÉMA DES FESTIVALS
Aujourd'hui, il existe des milliers de festivals à travers le monde, chacun se spécialisant dans divers genres, thématiques, formats et catégories. Cette diversité a permis de faire émerger de nouvelles voix et des histoires qui auraient pu être négligées par les circuits traditionnels. Le festival de Sundance, par exemple, est reconnu pour sa capacité à promouvoir des films qui défient les normes du cinéma commercial. Cependant, cette prolifération soulève des questions. Certains critiques et réalisateurs remettent en question cette évolution jugée négative, comme le scénariste et réalisateur David Mamet, et affirment que le monde du festival est devenu un endroit où le bon sens et l’art se perdent dans un océan d'opportunisme. Cela pousse même certains à se demander si les festivals continuent de jouer un rôle constructif dans le développement du cinéma ou s'ils ne sont devenus que de véritables marchés commerciaux. Le commercialisme de ces événements a conduit certains à les considérer comme des produits marketing plus que comme des célébrations de l'art cinématographique. Les grands studios investissent désormais des budgets importants pour assurer la présence de leurs films dans ces festivals, rendant parfois difficile pour les films indépendants de se faire une place. Le réalisateur finlandais Aki Kaurismäki a un jour déclaré : “Les festivals de cinéma ne devraient pas devenir des foires commerciales”.
Ainsi, la question de la crédibilité des festivals de cinéma demeure posée. Alors que certains festivals réussissent à maintenir une réputation d’intégrité et de véritable appréciation artistique, d'autres semblent sacrifier ces valeurs à des fins commerciales. Le défi pour les organisateurs de festivals est de trouver un équilibre entre l'aspect commercial et la mission originale de promouvoir l'art cinématographique. Comme l’a si bien dit la réalisatrice Agnès Varda, « L'art doit trouver sa place dans un monde inondé de divertissements, et les festivals de cinéma doivent nous rappeler pourquoi nous sommes tombés amoureux du cinéma en premier lieu ». Les festivals de cinéma doivent continuer à être des lieux d'échanges, de découvertes et de célébration de la créativité cinématographique.
Espérons que nous n’allons pas passer de l’époque glorieuse des prestigieux festivals de cinéma qui ont bien enrichi et développé le domaine à une époque de cinéma de festivals, où il y a de tout sauf du vrai cinéma.
LES NOUVEAUX DEFIS DES FESTIVALS DE CINEMA
Un des enjeux majeurs actuels est la question de la diversité et de la représentation au sein des festivals. Beaucoup s'accordent à dire que les festivals historiques ont longtemps favorisé des films issus des mêmes cercles de production. Des voix s’élèvent pour réclamer une plus grande inclusion des perspectives féminines et des minorités ethniques. Sans diversité réelle dans la programmation, il ne peut pas y avoir de diversité dans la création cinématographique en général.
L'émergence des plateformes de streaming comme Netflix et Amazon Prime a également perturbé le paysage des festivals. Ces plateformes proposent des options inédites de distribution qui remettent en question le modèle traditionnel. De plus en plus de films qui pourraient auparavant être lancés dans des festivals se retrouvent directement en ligne. Cela pose la question du rôle des festivals dans l’avenir dans un monde où les films peuvent être visionnés à tout moment et en tout lieu ? L’acteur, réalisateur et cofondateur de Sundance Film Festival, Robert Redford, souligne que “les festivals doivent évoluer pour rester pertinents, en intégrant les nouvelles technologies tout en préservant leur essence de célébration du cinéma”. À l'aube de la prochaine décennie, les festivals de cinéma doivent trouver un équilibre entre tradition et innovation. Pour rester crédibles, ils doivent s’adapter aux nouvelles réalités du marché et aux attentes du public. Cela peut signifier repenser les formats des films présentés, tout en conservant l'esprit de découverte qui les caractérise.
Un autre aspect crucial pour l’avenir des festivals sera leur engagement envers la durabilité. Les événements cinématographiques ont un impact environnemental significatif, souvent négligé. Certains festivals, comme le Festival de Cannes, commencent à mettre en œuvre des pratiques écologiques, incitant les autres à faire de même.
Quoi qu’il en soit, les festivals de cinéma restent essentiels pour l'évolution du cinéma, invitant le public à s'engager dans cette forme d’art qui continue d'évoluer et de surprendre. Célébrer le cinéma collectivement, c'est non seulement promouvoir des films, mais aussi favoriser un dialogue nécessaire sur les enjeux contemporains, et ainsi, garantir un avenir riche et diversifié pour cet art particulièrement précieux. Enfin, comme le souligne Martin Scorsese, “Le cinéma est une expérience collective, et les festivals doivent rester au cœur de cette expérience, célébrant ce qu’il y a de meilleur et de plus audacieux dans l’art cinématographique”.