Culture
L’Académie du Royaume du Maroc, entre héritage et renouveau au service du savoir et de l’éthique en santé

Le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdejlil Lahjomri, prononçant au son allocution actant le partenariat entre l’institution marocaine et l’Académie Nationale de Médecine de France
Un nouveau jalon a été franchi dans la coopération médico-scientifique entre le Maroc et la France avec la signature d’un accord-cadre entre l’Académie du Royaume du Maroc et l’Académie nationale de médecine de France. Scellé à Paris à la veille de la Journée franco-marocaine de la santé, ce partenariat vise à renforcer les échanges entre institutions académiques, hospitalières et de recherche des deux pays. Dans son discours, le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, Abdejlil Lahjomri est revenu sur la naissance et la mue de cette institution, rappelant que fondée par Hassan II en 1977, l’Académie du Royaume du Maroc s’ouvre aujourd’hui à de nouveaux horizons sous l’impulsion de Mohammed VI. D’un cénacle prestigieux de réflexion, elle devient, a notamment souligné M. Lahjomri, un espace vivant de savoir, de recherche et de dialogue interdisciplinaire. Elle a ainsi intégré dans ses multiples missions celle d’initier, en partenariat avec l’Académie nationale de médecine de France, des projets ambitieux mêlant médecine, sciences humaines et enjeux éthiques contemporains. A noter qu’en marge de cette rencontre, le Pr. Najia Hajjaj-Hassouni, membre de l’Académie du Royaume, a été honorée par la médaille de membre associé de l’Académie Nationale de Médecine française, saluant ainsi son engagement exceptionnel
D’un cénacle pour personnalité marquantes…
Si je prends la liberté de faire une présentation de l’Académie du royaume du Maroc, c’est que cette institution fondée par Sa Majesté Le Roi Hassan II, que Dieu l’ait en sa miséricorde en 1977 connaît actuellement une refonte qui, tout en s’inspirant des principes premiers qui ont présidé à sa création, élargit les champs de son action, redéfinit sa position dans l’espace scientifique, éducatif et politique du pays, la dotant des moyens nécessaires pour une confirmation affirmée dans la dynamique culturelle innovante initiée par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI que Dieu l’assiste.
Elle fut à ses débuts un cénacle qui réunissait une à deux fois par an au cours d’une session dont le souverain choisissait le thème de grandes personnalités, chefs d’Etat (Léopold Sédar Senghor, Ahmadou Ahidjo, Mario Soares…), de gouvernement (Edgar Faure…), hommes illustres (Maurice Druon, René Jean Dupuy, Jean Yves Cousteau, Michel Jobert… Amado Mokhtar Mbow, le Cardinal Parolin, Henry Kissinger). Se joignaient aux membres associés des membres nationaux, des figures importantes issues aussi bien de la vie politique, qu’économique, culturelle, que scientifique. Cette assemblée avait comme objectif l’étude du thème proposé par le souverain, dans sa portée, son apport et sa plu value dans la réflexion et si possible dans l’action. Mon prédécesseur fut un médecin de grande envergure le Professeur Abdellatif Berbich, que Dieu l’ait en sa miséricorde, qui fut médecin personnel du Roi défunt. Je me dois de citer aussi, par devoir de reconnaissance, le regretté Professeur Yves Pouliquen, qui fut membre de notre Académie et de l’Académie Française, et qui a œuvré inlassablement au rapprochement des deux Académies. L’opportunité m’est donc offerte dans ces journées d’études de rendre hommage à mon prédécesseur à qui l’Académie a dédié des « Mélanges » autour du thème (La médecine entre les exigences de la recherche scientifique et l’engagement éthique). Ont contribué à ces débats des personnalités aussi marquantes que les professeurs Luc Montagnier, Hervé Chneiwess, Claude Griscelli, René Frydmann et Jacques Testart. Un de nos projets dans le cycle habituel de nos hommages est d’organiser à la mémoire du Professeur Yves Pouliquen un colloque qui rendrait un témoignage de fidélité pour son œuvre accomplie dans les deux Académies qu’ils servaient avec enthousiasme, attachement et constance.
… à un espace libre ouvert pour une réflexion libre
Sa Majesté le Roi Mohammed VI a souhaité une reconstruction de cette institution dont il est le protecteur attentif pour qu’elle ne demeure pas ce cénacle clos mais devienne un espace libre ouvert pour une réflexion libre, aux acteurs de la pensée, chercheurs, philosophes, sociologues, anthropologues, politologues, savants, médecins, autorités scientifiques, experts reconnus dans leurs domaines. Ils mettraient à la disposition d’un public de doctorant avancés, mais aussi du grand public averti les résultats de leurs travaux, leurs ambitions, leur projet et leur compétence. Tout en maintenant la première structure identique en cela à une académie classique comme l’est l’Académie Française, le souverain a tenu à ce que par la nouvelle loi qui régit cette relance soit introduite une dimension qui la rapprocherait des attributions du Collège de France.
C’est ainsi que ce nouvel instrument qui a vu le jour, tout en maintenant le noyau des soixante académiciens (30 nationaux et 30 étrangers associés), permet par ce renouvellement législatif l’institution et la création de chaires et d’instituts dans tous les domaines de la vie intellectuelle, culturelle, et scientifique.
Actuellement elle s’est enrichie de 8 entités : l’Institut Royal dans la recherche de l’histoire du Maroc, (institut hautement stratégique s’il en est), la Haute Instance de traduction, l’institut académique des arts (un peu comme une Académie des beaux-arts arts), la Chaire d’Al Andalus, la chaire des littératures comparées, la Chaire des Littératures et des Art africains, la chaire de Géopolitique des cultures et des religions, et l’Institut d’études et de recherche sur les troubles de l’apprentissage qu’anime avec une conviction et efficacité remarquables notre consœur
Equité, Genre, et souveraineté sanitaire à la 50ème session
Pr Najia Hajaj Hassouni. Cette initiative est née du constat que les découvertes récentes dans le domaine des Neurosciences ne sont prises en compte ni dans les politiques éducatives, ni dans la formation des enseignants. Nombreuses sont les victimes d’un système éducatif mu par une priorité moralement incompréhensible et inadmissible qui ne se préoccupe que d’une population définie comme normale, seule apte à bénéficier d’une illusoire normalité éducative.
L’Académie du Royaume a joué dans ce contexte le rôle de lanceur d’alerte. Elle l’a joué de plus au niveau africain par l’organisation d’un colloque de haut niveau en conviant des autorités politiques et des acteurs sanitaires de ce continent d’avenir à débattre d’un thème d’actualité (Equité, Genre, et souveraineté sanitaire). Le nouvel instrument est à l’instar de L’Académie de médecine qui nous reçoit, chargé de répondre en toute indépendance aux demandes des autorités gouvernementale, de les prévenir sur les dysfonctionnements et attentes dans tous les secteurs de la vie culturelle, académique, scientifique du pays. L’Académie renouvelée se veut en outre un lieu d’intelligence collective, de production des savoirs, de publications et échanges interculturels et multidisciplinaires dédiés aux grandes questions contemporaines, aux innovations qui bouleversent notre monde tel qu’en lui-même l’accélération vertigineuse du monde le change. Le thème que l’Académie du Royaume traitera dans sa 50ème session en Avril prochain sera en effet cette révélation qui n’est pas nouvelle, mais qui s’affirme comme d’une très grande actualité et que le philosophe allemand Hartmut Rosa a appelé « La Grande Accélération de l’Histoire ». Nous assistons à une évolution effrénée des connaissances et des découvertes dans tous les domaines dont la conséquence est l’impérieuse nécessité de répondre avec rapidité, compétence et justesse à des situations impérieuses par des prises de décisions, politiques, économiques, culturelles, éducatives, médicales, voire familiales, probablement plus décisives dans l’intimité de nos vies, tout court. Le changement du rythme du changement lui-même que le savant Oppenheimer signalait en son temps submerge nos vies et affecte dans leur modernité immodérée tous les domaines de recherche, axes d’études qui ambitionnent de contribuer au progrès dans l’art de vivre. Tentatives souvent bousculées dans l’ivresse des découvertes, pour imaginer des clés, des solutions qui susciteraient, dans cet univers agité et calciné, l’espérance d’une maitrise sereine et salutaire de cette accélération exponentielle du temps.
Un heureux et bienvenu rapprochement
C’est dans ce moment où cette accélération risque de devenir critique et néfaste, que j’ose espérer voir l’heureux rapprochement et la bienheureuse rencontre qui se dessinent aujourd’hui entre nos deux institutions, être le point de départ d’une action permanente de coopération hospitalière, qui au-delà de l’enseignement, de la formation, se voudrait prospective, prévoyant les dangers, imaginative, humaine, très humaine, à l’écoute des autres sciences dites sociales, qui ont beaucoup à apporter à la science médicale. Le malade, nous le savons tous, cherchant soins, aide et soutien, est porteur d’une culture, d’une langue ou de plusieurs langues, de traditions, de croyances, de convictions qui peuvent aussi être du domaine médical, d’habitudes, de certitudes, d’une éthique, d’une histoire que l’acte de soigner, de guérir ne peut et ne doit ignorer. Les éclairages que ces sciences peuvent apporter, faciliteraient pour le médecin praticien ou le chercheur l’accompagnement qu’il va vivre tout un temps court, ou long, avec un être souffrant, désemparé mais surtout confiant.
Si l’Académie du Royaume a engagé depuis plus d’un an une étude approfondie sur l’état des lieux et l’élaboration d’un bilan des productions dans toutes les sciences humaines et sociales telles que la philosophie, la sociologie, la linguistique, l’anthropologie, la théologie, la psychologie, l’ethnologie, les sciences du droit au Maroc depuis l’indépendance c’est pour qu’un ajustement soit opéré le plus urgemment possible dans tout domaine d’éducation, de formation, tout domaine d’enseignement : en technologie, en ingénierie, en médecine, en sciences architecturales, urbanistiques, en écologie, en sciences de l’environnement, en économie, en sciences politiques, administratives, pour que toute formation académique acquise soit irriguée dans la pratique par des valeurs issues d’une compréhension intime des sociétés dont les futures élites dirigeantes auront la charge, une plus fine et plus intelligente appréhension des identités des populations qui leur font confiance dans la gestion de leur vie quotidienne.
La coopération hospitalière Maroco- française
Permettez-moi de signaler que le hasard ou le destin a voulu que se déroule le jour même de notre rencontre au Collège de France, la conférence inaugurale que donnera Mme Le Professeur Natalie Bejos sur le thème : « La production sociale des inégalités de santé », thème proche des préoccupations de l’Académie du Royaume et de son rôle lanceur d’alerte, conséquent au bilan du parcours des sciences sociales et humaines depuis l’indépendance.
Dans notre journée qui renforce la coopération hospitalière Maroco- française riche d’une histoire académique exemplaire seront rappelées les avancées qui ont eu lieu et seront tracées des perspectives d’avenir. Je suis persuadé qu’elle démontrera sans aucun doute que notre coopération scientifique et médicale peut être un levier puissant pour relever les défis qui se présentent dans la célérité, l’augmentation précipitée des savoirs. Des spécialistes de haut niveau feront l’état des lieux de cette coopération hospitalière, présenteront les succès stories, rendront compte des Wébinaires qui ont œuvré en matière de formation dans un partenariat des plus efficace. Je me réjouis de découvrir et d’apprendre qu’au cours de ces dernières années des programmes d’échanges ont favorisé un enrichissement mutuel et un transfert de compétences efficients. Mon propos est de vous assurer que l’Académie du Royaume du Maroc dans sa nouvelle configuration plus souple, plus opérationnelle, plus libre parce que, indépendante de toute autorité gouvernementale, relevant uniquement des orientations et instructions royales, accompagnera, tous les projets d’études, de recherches et toutes les actions à entreprendre, avec toutes les Institutions, établissements, facultés, universités qui ont bénéficié de la coopération passée ou envisagent d’y adhérer. Aujourd’hui le programme de notre rencontre rappellera opportunément le partenariat réalisé dans le domaine des maladies infectieuses comme le Sida, en pédiatrie avec le retour de la rougeole, les avancées dans le traitement du cancer, le retard dans le domaine de la santé mentale et de la psychiatrie, la problématique complexe des dons d’organe.
Toutefois, au-delà de cet engagement, l’Académie du Royaume souhaite retenir pour une action permanente commune le thème de la clôture de nos travaux d’aujourd’hui et qui concerne l’éthique en santé. Elle a entrepris déjà sur instructions royales lors de sa précédente session l’étude des valeurs. Le thème lui est familier puisque, elle s’y est investie, dans le domaine de l’évolution de la famille, de l’éducation surtout, du statut de la femme dans une perspective plus égalitaire. Une avancée qui se veut révolutionnaire dans ce temps désaxé. Ce serait présomptueux et prétentieux de ma part qui ne suis pas médecin d’affirmer ici en ce prestigieux espace de la recherche et de la réflexion que la science médicale a souvent recours dans le domaine éthique aux conclusions des sciences sociales et humaines communément appelées les Humanités. Il y a et il doit y avoir une urgente nécessité à élaborer un axe, à inventer une discipline qui s’intitulerait « Les Humanités Médicales », si elle n’existe pas et n’est pas prévue dans le dictionnaire scientifique. Nos deux Académies en seraient transversalement les initiatrices et les fondatrices. L’Académie du Royaume propose pour que nos journées d’études ne restent pas aujourd’hui sans suite à l’Académie de médecine de France une rencontre en 2026 dédiée à une réflexion éthique interdisciplinaire sous le titre : « Ethique en santé et bioéthique au cœur de l’Humain : entre sciences et conscience ». L’Académie du Royaume du Maroc serait heureuse de vous recevoir pour cette rencontre à Rabat, capitale du Royaume.
Les Humanités Médicales et l’apport des Neurosciences appliquées à l’éducation
J’ai le plaisir, en conclusion de mon propos de remettre une note conceptuelle préliminaire à Mr Le Président de l’Académie de médecine de France, précisant que cette note conceptuelle préliminaire devrait être soumise à un groupe conjoint pour une étude de faisabilité de l’importante rencontre sur l’éthique en santé à envisager. Ce groupe élaborerait aussi et surtout un programme annuel prévu à l’intention des doctorants, l’élite médicale de demain en formation, choisis dans les universités concernées pour bénéficier des enseignements présentés par les personnalités internationales reconnues pour leurs travaux scientifiques dans le thème retenu. L’Académie du Royaume invite ce groupe d’études de faisabilité à la date qui conviendrait aux personnalités qui le composeraient pour prendre connaissance de ce concept déjà en œuvre dans d’autres disciplines comme la théologie, la traduction, l’histoire, les civilisations africaines, la géopolitique des cultures et des religions. Et étudier comment l’affiner pour les sciences médicales en particulier dans les deux domaines que l’Académie du Royaume privilégie et estime prioritaires, les Humanités Médicales et l’apport des Neurosciences appliquées à l’éducation, qui ont inspiré l’Académie du Royaume pour fonder « l’IERA - Institut d’études et des recherches sur les troubles de l’apprentissage ».