chroniques
L’acceptation et la soumission
Nour-Eddine Sail
IL EST CERTAIN que le départ de Nour-Eddine Sail laissera un vide abyssal. Pour sa famille et pour ses amis, d’abord. C’est naturel. Mais aussi dans le champ culturel dont il était un des promoteurs et un des piliers crédibles. Il était un intellectuel exigeant, honnête et dédié aux débats d’idées. Il avait une grande ambition culturelle pour son pays avec une projection africaine pionnière et féconde. C’est vrai qu’il a combattu avec rudesse parfois la médiocrité, l’imposture ou l’ignorance satisfaite d’elle même : “Sus à l’infâme” comme disait Voltaire. Mais il restait fondamentalement un philosophe qui portait un regard intraitable sur sa société et ses mœurs. Rien ne l’amusait plus, lui un lecteur constant de Balzac, que nos Rastignac souvent incultes qui se prévalaient de leur bonne fortune indue pour prétendre à des statuts usurpés. Un tempérament tranchant, une intégrité totale et une rhétorique chirurgicale : Nour-Eddine Sail ne tolérait pour les autres que ce qu’il pouvait accepter pour lui-même. C’est pour moi l’une de ses vérités.
Nour-Eddine Sail était le fils d’un Fkih de Tanger dont il est natif, qui est devenu professeur de philosophie. Son père avait veillé à ce qu’il connaisse bien le Coran, le Hadith et la Sira. Ce fut chose faite. Mais cela ne l’a jamais empêché, par exemple, de trouver la Somme d’Al Boukhari surfaite, tardive ou parfois apocryphe. Un jour, je lui ai donné à lire “la Perle de la perfection, (Jawharatu Al Kamel)”, une prière fondamentale chez les Tijanis, pour lui faire oublier Al Boukhari et sa singulière vérité, et le recentrer sur la voie essentielle de l’unicité, il m’avait répondu alors d’un laconique : “C’est puissant”. Pas plus. Mais depuis, ce sujet est devenu un thème régulier de nos conversations. Dans son combat contre le salafisme, il était redoutable du fait de sa grande connaissance de l’Islam. Les intégristes eux-mêmes voyaient en lui un adversaire supérieur.
Nous étions un groupe d’amis. Nous avions la joie de nous retrouver en partage. Des amis complémentaires, sincères, loyaux et désintéressés. Nous l’appelions le Président. L’ordre du jour de nos régulières réunions où régnait une grande complicité intellectuelle était l’air du temps et une franche camaraderie. L’humour venait à bout de tous les sujets. Notre cercle a des valeurs dont celle cardinale de l’amitié. Notre Cercle ne sera plus jamais le même sans Le Président.
J’ai perdu un ami avec son départ. Je le faisais souvent rire quand il me posait la question : “Alors comment ça va aujourd’hui ?”, Je lui répondais : “Arrida wa Taslim”. L’acceptation-complaisance et la soumission. Il éclatait de rire. Lors de notre dernier échange il m’a dit: “Prie pour moi, toi qui aime le Dikr (le souvenir), je sais que les voies sont différentes mais la destination est Unique”. Adieu NourEddine Sail. Ton souvenir mon ami restera impérissable.