Neuf observations liminaires sur les propositions de réforme de la Moudawana - Par Bilal TALIDI

5437685854_d630fceaff_b-

Confié à des parties dotées de suffisamment d’expertises juridiques et sociologiques, le dossier connaitra certainement une gestion patiente et apaisée où les questions controversées seront traitées de manière sereine et ouverte sur les différentes composantes du corps social

1
Partager :

 

En confiant au Chef du gouvernement l’élaboration de la réforme du Code de la famille (Moudawana), et le pilotage des concertations avec les composantes de la société marocaine à une commission ad hoc, composée du Ministère public, du Conseil supérieur du Pouvoir judiciaire et du ministère de la Justice, la Lettre que le Souverain a adressée à Aziz Akhannouch remet cette opération sensible sur la bonne voie .

La méthode avec laquelle le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a géré ce dossier allait, en effet, à rebours de la méthodologie royale ayant présidé à l’élaboration, puis à l’adoption de la Moudawana en 2004. M. Ouahbi s’est donné une marge de manœuvre bien plus grande que ne lui permet son rôle dans ce genre de dossiers qui requière une large adhésion des différentes institutions concernées et des différentes composantes de la société.

La décision royale est un redressement de la situation et un retour à la même méthodologie qui avait facilité l’adoption de l’actuelle Moudawana. Elle peut même être considérée comme un retrait de ce dossier des mains d’un ministre porté sur la volubilité, ne résiste jamais à son inclinaison à vouloir imprimer ses propres orientations à des sujets délicats exigeant un degré élevé de sagesse, de pondération, de concertation et d’adhésion.

Confié à des parties dotées de suffisamment d’expertises juridiques et sociologiques, le dossier connaitra certainement une gestion patiente et apaisée où les questions controversées seront traitées de manière sereine et ouverte sur les différentes composantes du corps social, faisant grand cas du respect de l’ascendant religieux de l’Etat et des fondamentaux qu’induit la Commanderie des croyants (Imarat Al Mouminine) et son souci de doter le royaume d’un Code de la famille en phase avec les finalités de la charia et les attentes de la famille marocaine.

Désormais la balle est dans le camp des parties concernées par les concertations, en l’occurrence les différentes forces porteuses de projets de réformes pour aborder le sujet selon une démarche qui exclut les extrémismes d’où qu’ils viennent.

Mais dès maintenant on peut émettre neuf observations fondamentales qui se dégagent d’un survol des projets de réformes, qu’ils soient consignés dans un document ou dans une brochure, présentés sous forme d’appel, livrés sous forme de revendications, formulés en initiatives au gré des débats, ou proposés par des acteurs influents sur les réseaux sociaux.

La première est la tentation de relier les projets de réformes à l’interprétation (Ijtihad) des textes canoniques selon les finalités de la Charia, en vue de leur conférer un enracinement dans la jurisprudence islamique (fiqh). Cette tendance traduit une quête d’adaptation avec la structure de l’Etat, sa légitimité religieuse et son référentiel constitutionnel, ou encore avec la réalité sociologique du terrain (le caractère religieux et conservateur de la société).

 La deuxième consiste en une double appréhension du référentiel islamique. Il s’agit du recours à des formulations destinées à conférer, sans fondement, une empreinte religieuse aux référentiels internationaux, pour leur trouver un simulacre de parenté avec les finalités de la Charia à travers une démarche sélective, quêtant dans le fiqh des arguments susceptibles de légitimer une position préconçue, éludant souvent les différences des contextes et des situations. Elle est peut aussi recourir à une démarche segmentaire qui ne tient compte que d’une partie de tel ou tel avis de jurisprudence, en occultant la partie qui ne les arrange pas, comme c’est le cas avec l’instrumentalisation des interprétations de certains oulémas au sujet de la polygamie, de son interdiction et de sa limitation.

La troisième observation concerne la manière erronée d’approcher la réalité sociale et l’évaluation des impacts tangibles de certaines dispositions de la Moudawana. C’est le cas du mariage des mineures et du pouvoir discrétionnaire accordé au magistrat pour autoriser ces mariages, compte tenu de l’adéquation avec l’intérêt de la société et des spécificités typiques à certaines régions. Faut-il dans ce cas précis une révision du texte de la Moudawana en vue de prohiber ces unions sans possibilité de recours. Ou, au contrare, la mise en œuvre de politiques publiques en vue de qualifier les zones de précarité exposées au mariage des mineures, d’améliorer le revenu des familles pour les libérer de ce genre de mariage par nécessités économiques et les prédisposer ainsi à réajuster le regard porté sur les mineures afin de les orienter vers l’éducation plutôt que le mariage.  

La quatrième a rapport a rapport La prééminence du parti-pris idéologique sur l’objectivité. A travers ce prisme, l’évaluation de l’efficience d’un texte de la Moudawana et de son impact social, sont mus par des aprioris hégémoniques. Les projets qui en découlent tentent de présenter une lecture idéologique de la réalité en vue de justifier l’amendement d’un texte pour le mettre en phase avec leur référentiel juridique international.

 La cinquième observation touche aux raisons réelles qui militent en faveur d’une interprétation du texte de la Moudawana. Nombre de propositions, adossées à des données tangibles issues de l’expertise sociale, révèlent de véritables problèmes en lien avec l’application du texte juridique, sa mauvaise application ou les tentatives sociales d’en détourner le sens et/ou d’en dévitaliser l’effet. Ceci implique une interprétation proportionnée au problème pour déterminer s’il faut amender le texte concerné, préciser ses contours par des dispositions juridiques, diminuer son application par la réduction des pouvoirs discrétionnaires qui en limitent (ou étendent) des fois la portée, ou renforcer certaines dispositions pour juguler les contournements du texte juridique.

La sixième a trait aux limites imposées à la critique du dispositif législatif et les tentatives d’en faire des textes irréfragables qui échappent à l’évaluation de leur impact sur la société. Ainsi en est-il de la procédure du divorce par consentement mutuel que nombre d’associations considèrent comme un acquis définitif sans considération pour les statistiques officielles révélant des chiffres terrifiants qui posent un défi réel à la cohésion de la structure familiale. 

La septième est l’absence de la novation de la thèse conservatrice. Ses défenseurs se contentent de se barricader derrière des textes de la Moudawana, de mettre en garde contre toute atteinte à la religion et de dénoncer une subordination supposée des associations féminines et droits-hommistes à des agendas internationaux. Ils n’offrent que le recroquevillèrent sur des questions très limitées, en rapport notamment avec les questions de la filiation ou encore le mariage des mineures.

 

La huitième a une adhésion frileuse du milieu académique au débat sociétal. Le champ académique censé enrichir le débat avec des contributions juridiques et des analyses comparées sur la Moudawana, après deux décennies de sa mise en œuvre, reste pratiquement en marge du débat. Hormis quelques universitaires connus pour leur engagement droit-hommiste et civique, le monde académique ne s’invite plus en acteur central dans l’encadrement du débat sociétal public, comme ce fut le cas autrefois avec Ahmed Khamlichi et Rajae Naj Mekkaoui.

 

La neuvième et dernière observation se concentre sur la faiblesse du rendement scientifique du ministère de la Justice. Ce constat se fonde sur la régression des données scientifiques et statistiques de ce Département, ainsi que sur la rareté des études réalisées sur nombre de questions législatives. Il en a résulté une diminution des données officielles pouvant servir de tableau de bord pour l’analyse et l’interprétation de certains problèmes et l’évaluation des textes juridiques en conséquence. Preuve en est que la majorité des projets de réforme proposés ne renvoient que rarement à des études et statistiques qui, jusqu’à naguère, étaient une pratique incontournable. 

 

lire aussi