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Crise de l'électricité : L’Afrique du Sud au bord du gouffre ? Par Hamid AQERROUT
En 2022, les Sud-africains ont subi plus de 1.900 heures de coupures de courant et jusqu'à présent, 2023 n'a pas eu un seul jour sans délestage
Par Hamid AQERROUT (Bureau de la MAP à Johannesburg)
Johannesburg - La crise de l’électricité en Afrique du Sud a été déclarée catastrophe nationale. Aux circonstances exceptionnelles des temps de délestages électriques récurrents, des mesures exceptionnelles.
C’était ce que le lekgotla du Comité exécutif national du Congrès National Africain (ANC), parti au pouvoir en Afrique du Sud depuis trois décennies, avait préconisé début février au Président Cyril Rampahosa. L’objectif est de se donner tous les moyens pour faire face à une crise énergétique qui a atteint un point de rupture, les citoyens et les économistes appelant à un certain sursis.
Rien qu'en 2022, les Sud-africains ont subi plus de 1.900 heures de coupures de courant. Et jusqu'à présent, 2023 n'a pas eu un seul jour sans délestage. L’impact sur les entreprises et les citoyens est catastrophique, la crise devenant ainsi une menace existentielle pour l’économie nationale et le tissu social du pays.
Et pour cause, la défaillance de la compagnie publique d'électricité "Eskom" qui fournit plus de 90% de l'électricité du pays et dont la dette s’est établie cette année à près de 400 milliards de rands (plus de 23 milliards de dollars).
Mais comment l'Afrique du Sud, pourtant considérée comme pays le plus industrialisé du continent, en est-elle arrivée là ? Et, l’état de catastrophe nationale était-il vraiment nécessaire ?
Dès l’annonce de cette décision par le chef de l’Etat lors de son discours sur l’état de la nation, les bancs de l'opposition ont éclaté en chahut. Cette mesure exceptionnelle a, en effet, suscité des inquiétudes chez les entreprises et la société civile, compte tenu de l'ampleur de la corruption dans les appels d'offres et les achats au cours de l'état de catastrophe instauré deux ans durant pour contrecarrer la pandémie de la Covid-19.
Des questions ont également été soulevées sur la contribution d'un état de catastrophe nationale à la résolution de la crise énergétique en Afrique du Sud, compte tenu de la disponibilité des voies législatives existantes pour le financement d'urgence et l'allègement de la réglementation des marchés publics.
Dès lors, les partis d'opposition ont dénoncé la gestion à l'emporte-pièce par le parti au pouvoir d’une crise paralysante qui n’a que trop duré, arguant que bon nombre de mesures pourraient effectivement être mises en œuvre efficacement sans état de catastrophe.
Le chef du principal parti de l’opposition, L’Alliance Démocratique (DA), John Steenhuisen, affirme à ce propos que l’instauration d’un état de catastrophe nationale, sous couvert de faire face à la crise du délestage, permettra de la même manière à l'ANC d'abuser des processus d'approvisionnement et d'émettre des réglementations absurdes qui n'ont rien à voir avec la crise de l'électricité. «La DA ne restera pas les bras croisés et ne permettra pas au parti au pouvoir d'abuser de la catastrophe électrique qu'elle a créée pour piller et abuser davantage du peuple sud-africain», a-t-il déclaré.
Un nouveau ministre ne pourra que compliquer encore davantage les choses
La nomination imminente d'un ministre qui supervisera tous les aspects de la réponse à la crise électrique du pays a également suscité de nombreuses critiques, beaucoup remettant en question la sagesse d’«ajouter un autre ministre au problème». Ils craignent une autre frénésie de pillage des deniers publics.
Pour de nombreux politiciens, la nomination d’un nouveau ministre ne pourra que compliquer encore davantage les choses et ne résoudra assurément pas ce problème épineux qui dure depuis des décennies déjà. «Nous pourrions nous retrouver avec un ministre des nids-de-poule, un ministre des toilettes sèches, un ministre des rails et un ministre des latrines à fosse, ironise le chef de l'IFP, Velenkosini Hlabisa.
Business Unity SA (Busa) est également de cet avis : "Nous sommes un peu incertains quant au rôle que jouera un ministre de l'électricité à la présidence et nous nous demandons pourquoi un état de catastrophe a dû être déclaré», a déclaré son PDG Cas Coovadia, arguant que «ce n'était pas une crise imprévue, mais c'est quelque chose que nous avons vu venir".
De son côté, Business Leadership SA (BLSA) s'est montré prudent, décrivant l'état de catastrophe comme «préoccupant dans le contexte de l'atteinte aux droits des citoyens qui s’est produite pendant l'état de catastrophe de la Covid-19, avec une corruption généralisée dans les appels d'offres liés à la pandémie».
Pour le PDG de l'organisation «Undoing Tax Abuse», Wayne Duvenhage, un nouveau ministre ne pouvait que semer la confusion. «Maintenant, nous avons trois ministères : le département des Entreprises publiques, le ministère es Minéraux et de l'Energie et celui de l'Electricité», ironise-t-il pour sa part.
L'analyste d'Intellidex, Peter Attard Montalto, l'a dit de façon on ne peut plus claire: «De nouveaux pouvoirs centralisés et de nouvelles voies de corruption devraient être surveillés lorsque les réglementations sur l'état de catastrophe seront publiées».
Mais pour Ramaphosa et ses partisans, l’état de catastrophe devrait surtout permettre au gouvernement de prendre les mesures qui s’imposent pour soutenir les entreprises de la chaîne de production, de stockage et d'approvisionnement de détail alimentaire, y compris pour le déploiement de générateurs, de panneaux solaires et d'une alimentation électrique ininterrompue.
Au regard des nombreux défis auxquels le pays est actuellement confronté, d’aucuns soutiennent que la gestion chaotique du secteur de l’énergie ne peut pas et ne doit pas continuer comme avant. Dès lors, la nouvelle mesure exceptionnelle prise par les tenants du pouvoir consiste à voir de l'espoir là où il y a du désespoir. Il s'agit, en fait, de montrer une issue à une grave crise énergétique.
Alors que l'état de catastrophe devrait être utilisé pour fournir à Eskom tout le soutien nécessaire, le budget devait finaliser les détails de la réduction de la dette de la compagnie publique de 50% et également habiliter le gouvernement à faire face aux cartels du charbon qui entravent le service public d'électricité avec leurs tendances corrompues.
A en croire le chef de l’Etat, la nouvelle mesure permettra également au gouvernement d'accélérer les projets énergétiques et de limiter les exigences réglementaires tout en maintenant des protections environnementales rigoureuses, des principes d'approvisionnement et des normes techniques.
Dans une tentative de dissiper les craintes suscitées par cette décision, la ministre de la Gouvernance coopérative, Nkosazana Dlamini-Zuma, a déclaré que l'état de catastrophe nationale aiderait le gouvernement à mettre en œuvre des mesures d'urgence pour mettre fin à la crise de l'électricité. "Il s'agit d'essayer de résoudre certains des problèmes qui ne sont pas faciles à résoudre avec la législation actuelle", a-t-elle expliqué.
L'économiste politique Lisa Thompson estime, de son côté, que l'état de la catastrophe protégerait le pays d'un effondrement économique complet. "Au moins, nous serons peut-être protégés d'un désastre économique total au cours de l'année à venir", note-t-elle.
La problématique reste cependant entière et le débat ouvert entre partisans et détracteurs de l’instauration d’un état de catastrophe nationale ne changera inéluctablement rien à la situation : L’Afrique du Sud continuera d’être plongée dans le noir à cause d’une gestion chaotique du parti au pouvoir, l’ANC.