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En Afrique du Sud, des sans abri remplace les feux rouges
Des jeunes souvent sans domicile fixe accourent de partout pour proposer leur aide moyennant quelques «rands» jetés à la hâte par certains navetteurs
Par Ilias Khalafi (Bureau de la MAP à Johannesburg)
Johannesburg - En Afrique du Sud, ils sont des milliers à prêter main forte aux policiers pour réguler la circulation routière lorsque les feux de circulation s’éteignent à cause des délestages électriques récurrents.
Des jeunes portant des gilets jaunes et souvent sans domicile fixe (SDF) accourent de partout pour proposer leur aide moyennant quelques «rands» jetés à la hâte par certains navetteurs à travers les fenêtres de leurs véhicules. Ils contribuent de la sorte à remédier à la confusion créée par des feux de circulation hors service pendant de longues heures, à cause des pannes électriques et le manque d’agents de circulation.
Dans le pays de Nelson Mandela, les délestages électriques sont à leur comble depuis plusieurs mois. Et très souvent, les automobilistes se retrouvent pris dans des bouchons monstres qui s’étendent parfois sur plusieurs kilomètres. Ces coupures électriques programmées peuvent atteindre jusqu’à douze heures par jour, provoquant un chaos dans les grandes avenues.
La cause de cette situation est que ce pays d’Afrique australe, considéré comme l'un des plus industrialisés du continent, opère depuis plus d'une décennie des coupures de courant, appelés localement «loadshedding», pour éviter l’effondrement de ses centrales thermiques vieillissantes et incapables d’assurer un approvisionnement stable et suffisant en électricité.
Ainsi, les délestages imposés par la société publique d’électricité «Eskom» affectent non seulement les foyers et les entreprises, mais provoquent également des embouteillages qui ralentissent énormément la circulation dans les artères des grandes métropoles.
En principe, chaque conducteur sait qu'une intersection normalement gérée par des feux de circulation devient un arrêt à quatre voies lorsque les feux sont éteints. Cependant, de nombreux conducteurs ne suivent pas cette règle, créant ainsi une situation de désordre.
Dans le faubourg huppé de Sandton comme au township d’Alexandra, situés au nord de Johannesburg, des jeunes aux prises avec le chômage de masse qui règne dans ce pays africain, interviennent pour mettre un peu d’ordre dans le chaos causé par l’arrêt des feux de circulation et, au passage, ramasser quelques pièces de monnaie pour survivre.
Fringués de gilets jaunes et parfois portant des perruques colorées, ces «bons samaritains» occupent en maîtres les grands croisements de la ville, s’agitant dans tous les sens pour permettre aux automobilistes pressés de rejoindre leur lieu de travail ou rentrer chez eux.
Souvent à deux ou quatre pour maîtriser les flux des voitures, ces SDF jouent un rôle essentiel pour diminuer les risques des accidents qui pourraient aggraver davantage la situation dans les grands carrefours de la ville.
Selon Syabonga, un Sud-africain qui n'a cessé d’enchaîner les petits boulots depuis la crise du coronavirus, ce «métier» de circonstance lui permet de subvenir aux besoins de sa famille tout en lui procurant un sentiment de satisfaction après avoir facilité la vie à ses concitoyens.
En revanche, il a reconnu que les risques inhérents à cette activité peuvent être graves pour son intégrité physique, certains conducteurs sans scrupule ayant à plusieurs reprises mis sa vie en danger.
Les mêmes inquiétudes sont partagées par les conducteurs sud-africains. L'Association sud-africaine de l’Automobile (AA) s’est dite, à cet égard, préoccupée du fait que «les mendiants, les gardiens des voitures et les vendeurs de rue prennent sur eux la tâche de réguler la circulation, ce qui constitue un danger, aussi bien pour eux que pour les conducteurs»
Déplorant le fait que les agents de police sont presque souvent introuvables aux intersections, elle a estimé que les autorités de la circulation doivent déployer plus de personnel pour assurer la fluidité de la circulation et la sécurité des automobilistes.
«Bien que les intentions de ces personnes soient nobles et contribuent souvent à assurer une meilleure fluidité du trafic routier, il ne faudrait qu'un seul accident pour se rendre compte de la gravité de ces interventions», met en garde l’association. Elle a expliqué, dans ce sens, que puisque ces "aiguilleurs" ne sont pas légalement autorisés à exercer cette fonction, aucun recours légal n’est possible en cas de problème.
Même son de cloche chez le Service de police métropolitain de Johannesburg (JMPD) qui a averti que les autorités ne pouvaient assumer aucune responsabilité pour les dommages subis dans les accidents de la circulation survenus après de mauvaises consignes données par ces individus.
Décidément, conduire durant les heures de «loadshedding» s’avère très compliqué, voire dangereux. N'ayant d'autre choix que de se conformer aux instructions des aiguilleurs improvisés, les automobilistes se doivent de redoubler de vigilance pour éviter les accidents qui deviennent plus fréquents en l’absence des feus de circulation.