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Les années bonheur, le Maroc à l'Eurovision, les coulisses d'un Prix...à ne pas gagner ! – Par Mhammed Bhiri
Débuts d’une décennie tumultueuse qui va envers et contre tout commencer pour nous par une aventure européenne unique soufflée par un des animateurs marquants de la Chaîne internationale de la Radio à l'époque, Kamal Irassi
Eloignons-nous un instant de la polémique autour d’un ‘’doigt d’honneur’’ et de qui a gagné quoi, qui marque ces lendemains de la dernière édition du fameux Concours de la chanson, Eurovision, adapté aux nouvelles tendances technologiques, sociales et médiatiques, pour ne nous souvenir que de l'ambiance bon enfant de cette compétition qui était régulièrement relayée par notre chaîne historique la RTM.
Un samedi par an, c'était une agréable et sympathique soirée de divertissement qui célébrait l'Europe et que les TV de notre région, à l’époque de ‘’l’entente fraternelle’’, avaient pris pour bon exemple en mettant en place, au début des années soixante-dix, quelques épisodes festifs en Maghrebvision.
Avril 1980. Maghrebvision n’est plus qu’un souvenir broyé par les tensions régionales sur le Sahara marocain. Les débuts d’une décennie tumultueuse qui va envers et contre tout commencer pour nous par une aventure européenne unique menée tambour battant par une petite équipe insouciante pour ne pas dire inconsciente : Le Maroc pouvait bien prétendre à une participation à cette grand-messe de la variété, née en Suisse. Si la Turquie y avait pris part en 1975, pourquoi pas nous ?
Pareille idée, visiblement saugrenue, ne pouvait germer que dans sa tête. Sa tête ? Celle de Jamal Irassi, un des animateurs marquants de la Chaîne internationale de la Radio à l'époque.
En 1979, l’idée est suggérée au Directeur Général de la RTM et donc de la Radio, Drissi Kaïtouni. D’abord dubitatif, puis séduit (fort probablement après avoir consulté), il a donné son feu vert pour saisir l’Eurovision et obtenir son accord pour une participation marocaine à l’édition prévue pour l’année suivante à La Haye, aux Pays-Bas.
La question qui tue
Le sésame en main, au pied-levé, l’équipe s’est mise en branle. Une contribution à hauteur de 10.000 Dirhams, pas une bagatelle pour le budget de l’époque,
frais de participation, transports et séjour des représentants, tout un dossier scrupuleusement suivi et ficelé par le directeur administratif et financier Mehdi Bouzekri.
Curieusement, ce n’est qu’une fois le dossier bouclé que la question qui tue tombe ! La participation c’est bien beau, mais qui va chanter, quoi chanter et qui va représenter le Royaume ? Longtemps, l'animateur Kamal Irassi a raconté à ses visiteurs à Marrakech, non sans amusement, l’épisode de la chanson qu’il nous fallait et de la voie pour l’interpréter à trouver.
On pensa au compositeur Abdelaâti Amenna (que je viens de croiser avec plaisir à Rabat). Ammena innovait en musique et osait, fort du succès populaire du Trio féminin portant son nom. On est en pleine mode Disco. Grease, Sturday night Fever et Dieu merci c'est vendredi..., des années qui respiraient la légèreté et l bonheur quelles que aient été les difficultés de la vie.
Dans le service Musique où il avait son bureau, pas très loin de celui du défunt Ahmed El Bidaoui, un monument de la chanson marocaine, Amenna s’est mis à la recherche de la perle rare parmi les centaines de textes émanant d'artistes ou de simples paroliers en herbe rêvant d'un succès qui dépend de la voix et passe par la voie incontournables de la Radio nationale, unique et exclusif diffuseur.
Le choix fut porté sur une sorte d'hymne à la paix signé Malou Rouane, enseignant à Kenitra et poète à ses heures.
Pour la musique, ce sera évidemment Abdelaati Amenna, sur un rythme Disco orientalisé.
Restait l'interprète ? On pouvait penser au Trio Amenna, mais là ce sera la voix montante et fraîche de Samira, encore Bensaïd, qui deviendra la super star de la chanson arabe que l’on sait, sous le nom raccourci de Samira Saïd.
A quatre mois de l'événement, on se devaient d’être fin prêts dans le respect des engagements pris, cahier des charges dit-on aujourd’hui, dont la production d'un 45 tours de la chanson, une activité commerciale qui n'entrait pas dans les attributions du service public.
Surtout ne pas… gagner
Un label européen était exigé et c'est vers Paris qu'on s’est naturellement tournés pour solliciter sans succès quelques grandes maisons avant de décrocher un contrat avec un producteur sensible aux sons venus d'ailleurs. Mais qui se demandait, sans s’en soucier vraiment, à qui il allait le vendre par la suite, sachant qu’en cette année de 1979, alors que s’annonçait à l’horizon le programme d’ajustement structurel, la production musicale figurait sur la célèbre liste C suspendant l'importation au Maroc de certains produits en raison de restrictions économiques draconiennes. Il en fallait toutefois un peu plus pour dissuader le producteur, tenté par l’aventure tout en priant et pariant sur une levée imminente de l’interdiction.
Exceptionnellement, on reçut quelques exemplaires du disque qu'on s’empressa de diffuser en boucle sur les ondes de la RTM : face A, version en arabe et face B, version en français, avec un arrangeur, des choristes et des musiciens Parisiens.
19 avril 1980, jour J à la Haye. Les Marocains patientaient en trépignant devant leur petit écran unique la prestation de leur gloire montante Samira Bensaid qui participait sans le savoir à une compétition qu'il ne fallait pas... gagner ! Car le cas échéant, la RTM se serait vu imposer l'organisation de l'édition suivante. Ce qui était loin d'être dans ses moyens.
Samira Bensaïd, elle, n'y pensait pas, tout à son bonheur de vivre ce moment inédit et qui ne se rééditera pas. Le vote du jury des pays Européens n'a pas suivi classant le Maroc avant dernier, au grand soulagement de la Direction de la RTM. Mais qui sait, peut-être que si l’on avait gagné les choses auraient pris un autre cours ; reste, vous le savez, qu’avec des Si, on peut mettre Rabat dans une bouteille.