Tunisie : Départ de laboratoires pharmaceutiques, radioscopie d’une crise annoncée et mal gérée

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Les pouvoirs publics, qui n’ont pas fait les anticipations nécessaires pour éviter ce verdict, ne font que constater les dégâts

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Tunis - Le départ annoncé de trois multinationales pharmaceutiques de la Tunisie a été durement ressenti dans le pays, provoquant questionnement, inquiétude, sans surprendre outre mesure.

Depuis plus de six ans, représentants de laboratoires et syndicats professionnels n’ont pas cessé d’alerter les pouvoirs publics sur de graves dysfonctionnements pouvant conduire à un mouvement de désinvestissement et à de sérieux problèmes d’approvisionnement du pays en médicaments.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics, qui n’ont pas fait les anticipations nécessaires pour éviter ce verdict, ne font que constater les dégâts se trouvant dans l’incapacité totale de fournir des arguments convaincants capables d’arrêter cette spirale et de restaurer la confiance des opérateurs.

Le départ annoncé de ces trois laboratoires constitue un nouveau coup dur que subit le site tunisien des affaires, en perte de compétitivité.

Depuis 2011, l’environnement des affaires dans le pays ne cesse de se détériorer et la compétitivité du pays ne fait que perdre du terrain en raison de l’instabilité politique mais aussi et, surtout, de l’instabilité fiscale, d’une administration lourde, des procédures fastidieuses et très peu transparentes, d’une crise sans fin des finances publiques et d’une visibilité incertaine.

D’ailleurs, l’investissement direct étranger dans le pays ne fait que baisser d’une année à l’autre. A l’exception des projets d’extension promus par les entreprises étrangères installées dans le pays, très peu de nouveaux investisseurs étrangers sont venus en Tunisie.

L’information confirmée par les autorités du pays sur le départ de trois laboratoires pharmaceutiques n’a fait qu'accroître un malaise jusque-là sous-jacent que vit le secteur de la santé dans le pays depuis un certain temps.

Ce dernier trouve son illustration la plus parfaite dans les dettes colossales accumulées depuis plus de 14 mois par la Pharmacie Centrale de Tunisie envers les laboratoires pharmaceutiques (environ 234 millions d'euros), l’incapacité manifeste du ministère de la santé d’établir un dialogue sérieux avec les professionnels du secteur et de fournir des réponses à leurs doléances notamment au sujet de l'enregistrement de nouveaux médicaments et son inaction vis-à-vis du non-respect de la propriété intellectuelle et des brevets.

Le coup de semonce a été donné par le Syndicat des Entreprises Pharmaceutiques Innovantes et de Recherche (SEPHIRE), qui rassemble 20 laboratoires pharmaceutiques de recherche et de développement. Cette situation nouvelle risque d’aggraver la crise dans laquelle végète le secteur de la santé en Tunisie, cela est d’autant plus vrai qu’actuellement les laboratoires étrangers fournissent en valeur, deux tiers des médicaments dans le secteur hospitalier et un tiers dans le secteur officinal et que 52% des médicaments fournis par ces laboratoires n’ont pas d’équivalent sur le marché local.

Pour désamorcer la bombe, le ministre tunisien de la Santé, Ali Mrabet, tout en prenant acte de ces départs, a cherché à rassurer l’opinion publique en soutenant que les médicaments produits par ces laboratoires sont et demeureront disponibles.

Il a néanmoins estimé qu’ils "ont dû la quitter pour plusieurs raisons, notamment à cause de restructurations internes", ajoutant que la nouvelle donne "ne peut que nous pousser à compter sur nous même dans les industries pharmaceutiques".

Cet optimisme mesuré du ministre n’est pas partagé par le président de la Chambre nationale de l’industrie pharmaceutique, Tarek Hammami, qui s’attend à un quatrième départ du pays d’un laboratoire motivé essentiellement par l’augmentation des dettes de la Pharmacie centrale auprès des sociétés pharmaceutiques étrangères et qui estime que ce mouvement ne sera pas sans conséquences au plan de l’approvisionnement du pays en médicaments que sur le plan social.

Il faut noter que la Tunisie compte à ce jour 41 fabricants de médicaments humains, en plus des fabricants de médicaments vétérinaires et autres. Le secteur emploie 9.000 personnes avec des investissements s'établissant à environ 438 millions d'euros à fin 2021.

Le départ des laboratoires pharmaceutiques est loin d’être un cas isolé. Les données récemment annoncées par l’Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation (APII) donnent le tournis. En effet, en l’espace d’un an (de septembre 2021 à septembre 2022), on déplore la fermeture de 121 entités industrielles en Tunisie, dont 13 fermetures sur le seul troisième trimestre de l'année en cours.

Ces fermetures ont concerné 44 entreprises totalement exportatrices. Sur les 121 entreprises industrielles qui ont fermé définitivement, 24 sont en partenariat avec l'Italie et 9 avec l'Allemagne. Au total, 6.000 personnes ont perdu leur travail.

Aujourd’hui, les raisons qui ont conduit à cet exode restent occultées, voire non solutionnées, ce qui augure d’une accélération de ce mouvement qui se nourrit de l’érosion de la confiance dans le site tunisien des affaires.

 

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