L’APRES-PETROLE

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L’urgence climatique et les progrès réalisés par les énergies renouvelables posent à la profession pétrolière la question de la pérennité de ses activités.

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Parler de l’après pétrole, c’est parfois parler de corde dans la maison d’un pendu. Pourtant, les faits sont têtus et la finance internationale en a tiré les conclusions qui s’imposent : elle n’investit plus dans ce domaine. La tentative d’introduction à la bourse de New York et de Londres, d’Armco, le pétrole saoudien, voulue par Riad, en a fait l’amère expérience.

L’année écoulée a bousculé les certitudes des états-majors de ce qui fut « l’or noir ».

L’urgence climatique et les progrès réalisés par les énergies renouvelables posent à la profession la question de la pérennité de ses activités. Cette prise de conscience s’est traduite, un peu partout dans le monde par une course vers les énergies renouvelables : l’éolien, le solaire, l’hydrogène et bien sûr le nucléaire qui fait un retour gagnant, un peu partout, parfois discrètement. 

Frank Lacroix, directeur général TER au sein de la société française de chemin de fer (SNCF) affirma déjà que : "Les premiers trains à hydrogène pourraient circuler en 2023".

Patrick Pouyanné , le président de Total, cite souvent le cheik Yamani, ministre de l’Energie de l’Arabie Saoudite : « L’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierres. De même, l’âge du pétrole ne s’arrêtera pas faute de pétrole ». Le pétrole va voir son règne prendre fin, non pour des raisons de pénurie, mais par la montée des nouvelles technologies dans tous les domaines regardant la production énergétique. L’éolienne comme le solaire ont fait des progrès incontestables dans les coûts, aussi bien d’investissements que de production. Les centrales nucléaires nouvelle génération, qui ont abandonné la fission pour la combustion et les efforts de miniaturisation dans le domaine, vont porter un coup fatal à la filière pétrole. La fin de la voiture à moteur thermique, diésel ou essence, achèvera le règne sans partage des pétroliers.

Total, dont l’ambition de se positionner comme leader de l’énergie bas carbone, annonce ainsi la mue de la profession.

Les pétroliers vont entamer une mutation profonde et irréversible sous la pression du monde de la finance et de la concurrence de ces nouveaux acteurs venus des énergies renouvelables. Cette mutation n’a rien à voir avec les théories écologiques, mais à une décision uniquement rationnelle économiquement. Il s’agit d’une question de survie des entreprises du secteur.

Bernard Pinatel, DG raffinage-chimie affirme que la question de l'économie d'énergie est indissociable de celle du climat. Quand bien même l'échéance de l'après-pétrole ne serait pas aussi imminente, il y a une nécessité de limiter la consommation d'énergies fossiles (pétrole donc, mais aussi charbon), responsables de l'émission de gaz à effet de serre, et de s'atteler au développement des énergies alternatives, moins polluantes.

Pour certains observateurs, l’Après-pétrole a déjà commencé, ce qui ne veut pas dire que celui-ci aura totalement disparu. 

Colin Campbell, fondateur de l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil and Gas) et ancien géologue pétrolier, rappelle ainsi que l’estimation des réserves a toujours été « un exercice collectif de myopie organisée et tacitement accepté. Parce que c’était bon pour le cours des actions ». 

Les questions géopolitiques accentuent les crispations   dans les grands centres productifs mondiaux. 

Pendant ce temps, le nucléaire fait un « come-back imposé » car il peut, à lui seul, répondre à la demande croissante en électricité, améliorer la sécurité énergétique et réduire leurs émissions de CO2. 

Il y a une cinquantaine d'années, les premiers réacteurs capables de produire de l'électricité à partir de l'énergie nucléaire ont été mis en service. 

La première génération de réacteurs, refroidis à l'eau et modérés au graphite, ont été conçus dans les années 1950 et 1960. 

Dans les années 1970-1980, la deuxième génération a été construite. Il s'agit des réacteurs que nous connaissons encore aujourd'hui. La plupart d'entre eux sont des réacteurs à eau pressurisée (REP), 

Les réacteurs de troisième génération - également connus sous le nom de génération évolutive - sont encore plus sûrs que leurs prédécesseurs et ont été conçus dès le départ pour durer plus longtemps (60 ans). Ils présentent des innovations qui ont été développées grâce à des décennies d'expertise avec les 400 réacteurs nucléaires du monde entier.

Enfin, les réacteurs de génération IV vont être la base des centrales nucléaires de demain.

Actuellement, la recherche se concentre sur les réacteurs à fusion grâce notamment au tokamak (dispositif de confinement magnétique expérimental explorant la physique des plasmas et les possibilités de produire de l'énergie par fusion nucléaire).ITER, actuellement en construction, sera la plus grande et la plus puissante machine à fusion jamais construite.
 
L’ITER et sa fusion nucléaire c’est : le soleil sur terre. C’est un projet mondial. Il rassemble 35 pays qui construisent ensemble le plus grand tokamak jamais conçu. ITER va démontrer que la fusion nucléaire peut être utilisée comme source d'énergie pour produire de l'électricité, pratiquement illimitée. C’est un modèle de démonstration à grande échelle, dont la construction a commencé à Cadarache dans le sud de la France en 2010. Ce procédé ne pose aucun problème de déchets radioactifs, il n’y en a pas du fait qu’il s’agit de fusion.

     ; ux sans pétrole. Tous les secteurs sont concernés.

Dans son édition 2019, l’Energy outlook de BPévoque un pic de la demande mondiale de pétrole. Une première. Les analystes du groupe pétrolier rejoignent là d’autres prospectivistes, qui ont théorisé et daté ce "peak demand", qui succède au "peak oil" (pic de production) craint au temps où nous découvrions sement des matières fossiles. C’était en 2007, et  jh,       le fondateur du Cercle Cyclope Philippe Chalmin, reprenant Paul Valéry, titrait son rapport annuel sur les commodités "Le Temps du monde fini commence". Depuis, la révolution des pétroles de schiste américains, décrite par Goldman Sachs en 2015 comme le "nouvel ordre pétrolier", a balayé cette crainte de pénurie.

Bien que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) alerte régulièrement sur un risque de choc pétrolier dû à une tension sur l’offre faute d’investissements dans l’exploration-production, le sous-sol regorge de pétrole. Il resterait, rien qu’en Afrique subsaharienne, quelque 115 milliards de barils à découvrir, selon les Nations unies. Ces dernières années, des gisements géants ont été découverts à Bahreïn (80 milliards de barils), en Chine(1,24 milliard), dans le golfe du Mexique (1,5 milliard), en Alaska (1,2 milliard), dans le golfe de Guinée, au Kenya, au Sénégal…

Repenser l'usage de l'énergie

Quand le directeur exploration de Total, Kevin McLachlan, affirme qu’avec la découverte importante d’hydrocarbures en Afrique du Sud, "Total a ouvert une nouvelle province gazière et pétrolière de dimension internationale", la déclaration ne passe pas inaperçue. Les prévisionnistes s’écharpent donc, désormais, sur une autre forme de finitude : celle de la demande. La nature se rappelle à l’homme de bien des manières. Ayant échoué à nous convaincre de l’absolue nécessité d’exploiter la Terre et ses ressources avec parcimonie sous peine de les épuiser, elle nous démontre les conséquences de cette incurie. L’homme a cassé le climat, empoisonné les océans et percé une brèche dans l’atmosphère qui conditionne sa survie. Pour la colmater, il va falloir repenser notre usage de l’énergie et de la matière.

Si la pénurie d’or noir n’est pas pour demain, les compagnies pétrolières cherchent à développer des énergies plus propres.

Ce combat n’est pas gagné. Nous consommons toujours plus de pétrole, et la transition énergétique reste bien trop lente pour éviter le pire. Pourtant, il est un facteur de l’équation qu’il ne faut pas négliger, c’est le consommateur. Sensibilisé par les alertes du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) et par les campagnes des ONG sur les gaz à effet de serre, les particules fines, la pollution des océans par les plastiques, il devient exigeant. Il questionne l’empreinte environnementale des produits qu’il consomme, les entreprises dont il est le client, et soutient une réglementation environnementale accrue, tant qu’elle n’ampute pas trop son pouvoir d’achat. Via le risque d’image, tous les secteurs de l’économie sont concernés.

Du primaire au tertiaire

Il y a ceux qui sont en première ligne. Les compagnies pétrolières, bien sûr. Puis leurs meilleurs clients. Six barils de pétrole sur dix sont brûlés dans les moteurs thermiques de nos moyens de transport. Une grande partie du reste part vers l’industrie chimique pour fabriquer toute une gamme d’engrais, de détergents, de matériaux de construction, mais surtout de résines plastiques que l’on retrouve partout – des chewing-gums aux bouteilles en passant par les vêtements, les adhésifs, les médicaments, les bonnets de bain… Il y a aussi ceux auxquels on pense moins. De la pétrochimie dépendent ainsi les porte-drapeaux de la transition énergétique : vélos, panneaux solaires, pales d’éoliennes (en composites), batteries… 

En amont, les compagnies qui assurent l’exploration-production de pétrole opèrent leur mutation. Pratiquement toutes diversifient leur activité en renforçant l’extraction de gaz au détriment du pétrole, mais aussi dans les énergies renouvelables. À l’image de Total qui a racheté le fabricant de batteries Saft et deux électriciens alternatifs, Lampiris et Direct Énergie. Shell a également marqué les esprits, en annonçant vouloir devenir "le premier fournisseur mondial d’électricité". Autre fait nouveau, les pétroliers classiques deviennent persona non grata dans certains pays. C’est le cas de la France et du Danemark, qui ont acté l’arrêt de la délivrance de permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures sur leur territoire.

Les fonds et établissements financiers sortent du pétrole

Leur financement même est menacé. Après une vague d’annonces de sortie du charbon de la part de banques acculées par les ONG, certains fonds et établissements financiers entament une sortie du pétrole. C’est le cas de la Banque mondiale et du fonds souverain norvégien (1 000 milliards de dollars en portefeuille), qui ironiquement s’est construit lui-même sur le pétrole, mais vient d’annoncer son intention de sortir de l’amont pétrolier et gazier. Ce qui suppose la vente de 37 milliards d’actifs, non par conviction mais parce que le secteur est trop risqué à son goût.

BNP Paribas a annoncé dès 2017 qu’il arrêterait de financer les entreprises dont la principale activité est l’extraction, le transport ou le commerce de pétroles de schiste ou issus de sables bitumineux, ainsi que les projets d’extraction dans l’Arctique. Une région également bannie par Commerzbank, ABN-Amro, HSBC, Standard Chartered et le Lloyds. Et Natixis a exclu les pétroles extra-lourds et ceux de l’Arctique de son périmètre.

Du côté du transport et des engins motorisés, les véhicules particuliers (27 % du pétrole consommé dans le monde) ne doivent pas occulter les autres modes de transport – routier (bus, camions) et non routier (avions, bateaux) et les engins miniers, agricoles et du BTP – qui totalisent 29 % de la demande. "Une substitution totale des véhicules particuliers par de l’électrique n’affecterait la demande que de 20 Mbj", abonde Francis Duseux, le président de l’Union française des industries pétrolières (Ufip).

Explosion de la demande d'électricité

L’électrification, pour l’instant, ce sont 2,7 millions de voitures (en 2018) sur un milliard en circulation. Dans ce secteur, BP considère que l’efficacité énergétique croissante des véhicules compense en grande partie la hausse de leur nombre. À la faible augmentation prévue (5 % entre 2020 et 2040) de la demande de pétrole du secteur transport vient s’ajouter une explosion de la consommation d’électricité (+ 344 %), de gaz (+ 184 %) et d’autres énergies (agrocarburants, charbon et hydrogène : + 54 %). La transition est plus rapide dans certains pays. En Norvège, au mois de mars, 58,4 % des véhicules neufs vendus étaient des modèles 100 % électriques. À la faveur du changement de réglementation sur la teneur en soufre du carburant maritime, les armateurs qui en ont les moyens convertissent leurs navires au gaz (20 % de la flotte) plutôt que d’installer de coûteux scrubbers ou de les propulser avec un carburant plus propre, proche du gazole.

Les énergies renouvelables dépendent de la pétrochimie, à l'image de la fabrication de pales d'éolienne en composites

C’est sur la pétrochimie qu’enfle la polémique entre analystes. Les différentes résines (PET, PEHD, PVC, composites…) consomment aujourd’hui 13 % du pétrole mondial (13 Mbj). BP affirme dans son Energy Outlook 2019 que la guerre contre les plastiques va être le principal facteur à même de réduire la demande pétrolière. La part du pétrole non consumé (usage non-énergétique) sur le total de la demande passerait de 15 % en 2017 à 22 % en 2040, voire 25 % sans régulation accrue, de type interdiction mondiale des objets en plastique à usage unique. L’AIE, à l’inverse, prévoit que le net ralentissement de la croissance de la demande des transports compensera en partie la forte hausse de la demande de plastiques. L’agence estime que la pétrochimie représentera plus d’un tiers de la hausse de la demande en 2030, et près de la moitié en 2050 (+ 7 Mbj).

La norme en première ligne

Dans le BTP, la réglementation énergétique joue à plein. En France, le label E+C-, qui préfigure la future réglementation thermique RT2020, exige que les nouvelles constructions produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment et affichent un bilan bas carbone sur leur cycle de vie. Au niveau mondial, BP prévoit une baisse de la part du pétrole parmi les sources d’énergie (de 447 millions de tonnes équivalent pétrole en 2020 à 380 Mtep en 2040), l’électricité comblant la demande additionnelle. Les fabricants de matériaux cherchent également à substituer les produits pétroliers non consumés (non énergétiques), à l’instar de Soprema. Ce spécialiste de l’étanchéité a mis au point des panneaux et revêtements isolants à base de fibres de bois et de papier journal recyclé, ainsi qu’une membrane de "bitume vert" constituée de résine de pin et d’huile de colza et une mousse d’isolation en polyuréthane de micro-algues.

L’agriculture est concernée à plusieurs titres. Certains de ses engrais, dont elle peine à faire baisser la consommation, sont dérivés du pétrole, qu’elle consomme aussi comme carburant dans ses tracteurs et autres moissonneuses. Les agriculteurs sont en revanche en première ligne pour fournir la biomasse de la transition énergétique, tant à destination des agrocarburants que, plus récemment, de biogaz.

Convertir les mines au solaire

Le secteur mines et métaux alloue de 14 % à 25 % de ses coûts de fonctionnement à l’énergie. Défié pour le manque de durabilité de son modèle et les risques pesant sur la santé de ses travailleurs (notamment dans les mines souterraines), il se préoccupe depuis peu d’électrifier ses engins et de convertir ses mines au solaire, devenu plus compétitif que le fioul. Il mesure, surtout, l’effet de la transition énergétique à l’aune de la demande en métaux destinés aux réseaux, comme le cuivre, à l’électronique qui les pilote, comme l’étain, et au stockage électrique, comme le cobalt, le nickel et le lithium dont les cours ont tous profité de ce contexte. Son pendant, le recyclage, détient l’un des leviers pour faire baisser à la fois la consommation de pétrole et la pollution. Un levier susceptible de faire passer le recyclage des plastiques dans une autre dimension. Confronté aux limites du recyclage mécanique, dont les matières régénérées ne satisfont pas tous les utilisateurs potentiels, il se penche à nouveau sur le recyclage chimique, longtemps resté dans les cartons de la R & D en raison de son coût et de sa complexité.

Quelle que soit leur activité, toutes les entreprises doivent rendre des comptes et réduire leur empreinte environnementale. Elles n’ont pour cela que trois moyens : la sobriété, tant du point de vue des matières que sur le plan de l’énergie, le recours aux renouvelables et l’écoconception, condition du recyclage. L’après pétrole a vraiment commencé !

Dater (ou pas) l’inversion de la courbe...

Le monde n’a jamais consommé autant de pétrole : 100 millions de barils par jour. Une hausse qui ne durera pas toujours. "Nombre de nos clients reconnaissent que le pic de la demande est une réalité, déclarait l’an passé Ed Rawle, expert du pétrole brut chez Wood Mackenzie. C’est une question de date." Dater cette inversion de la courbe, c’est le périlleux exercice des prévisionnistes. Pour BP, qui historiquement a sous-estimé la demande, elle interviendra en 2030. Goldman Sachs évoque 2024, une date assortie de conditions. Wood Mackenzie différencie le plateau dans les transports, vers 2030, et le plafonnement global, six ans plus tard. D’autres repoussent l’idée même, comme les compagnies américaine ExxonMobil et saoudienne Aramco. L’Agence internationale de l’énergie défend une croissance solide, bien qu’affaiblie, jusqu’à 125 millions de barils par jour en 2050. La seule certitude est le net découplage entre économies matures et en développement. L’Europe a réduit sa consommation de 4,1 % entre 2011 et 2016, le monde augmentant la sienne de 16,1 %. Le plafonnement est déjà une réalité au Japon, en Allemagne, en Italie et en France. La Chine pourrait franchir ce cap dès 2025, selon la banque Morgan Stanley.

 

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