Politique
Nouveau contrat social pour l’éducation : aucune technologie ne remplacera les bons enseignants ! - Par Abdeslam Seddiki
Pour une fois notre pays s’est doté d’une vision à long terme couvrant la période 2015-2030. Mais sa mise en œuvre trébuche. Alors que nous sommes déjà à mi-parcours, nous n’avons pas l’impression d’avoir avancé suffisamment. L’essentiel de « l’effort » est consacré aux batailles de seconde zone, aux polémiques stériles et aux surenchères politiciennes.
La question éducative a été et demeurera pour toujours une question centrale dans la vie des peuples dans la mesure où l’éducation constitue la base du progrès humain et de la mobilité sociale. L’école n’est pas simplement un lieu où on apprend à lire et à écrire et où on « ingurgite » des connaissances ! L’école a des fonctions beaucoup plus larges.
C’est un lieu de socialisation par excellence où on apprend le vivre ensemble, le travail en commun, un lieu où on acquière les valeurs fondamentales qui cimentent une nation et qui créent le substratum d’un peuple… C’est à juste titre qu’un enseignant est considéré aussi comme un éducateur.
Qu’abandonner et que garder ?
Le document publié par l’UNESCO en novembre 2021, intitulé « Un nouveau contrat social pour l’éducation » constitue un apport indéniable à cette problématique. Ce rapport, dont la préparation s’est étalée sur deux années, est le fruit d’une Commission Internationale constituée de personnalités appartenant à différents domaines de la connaissance et à différentes aires géographiques. Une diversité qui traduit parfaitement les principes fondateurs de l’UNESCO tels qu’ils sont stipulés dans sa charte constitutive : « plusieurs voix, un seul monde ».
Trois questions fondamentales ont retenu l’attention des experts. « Que devons-nous conserver des pratiques éducatives ? Que devons-nous abandonner ? Et que devons-nous entièrement réinventer ? ». Ce sont les réponses apportées à ces questions qui constituent la quintessence de ce nouveau contrat social pour l’éducation. Lequel contrat « doit être enraciné dans les droits humains et être fondé sur les principes de non-discrimination, de justice sociale, de respect de la vie, de la dignité humaine et de la diversité culturelle ; il doit aussi s’appuyer sur une éthique de la sollicitude, de la réciprocité et de la solidarité ; il doit enfin renforcer l’éducation comme projet public et un bien commun de l’humanité ». Tout est dit dans ce paragraphe !
Bien sûr, la crise du covid oblige, il n’a pas échappé à la Commission d’examiner l’impact de cette crise sur l’éducation. Celle-ci, comme on a pu le constater ici et ailleurs a montré une grande fragilité face à la crise covid. C’est ainsi qu’au plus fort de la pandémie, 1,6 milliard d’élèves et d’étudiants ont été touchés par des fermetures d’écoles à travers le monde. Quant à l’enseignement à distance, on sait également qu’il n’est pas vécu de la même manière partout. Ce sont généralement les enfants vivant dans pays pauvres et à l’intérieur de chaque pays, ceux issus des familles démunies qui ont rencontré le plus de difficultés à s’y adapter.
D’ailleurs, le rapport a pointé du doigt l’effet des inégalités de richesse sur l’éducation. Elles se traduisent par l’exclusion des pauvres, laquelle sape la cohésion nécessaire à la prospérité et à la bonne gouvernance des sociétés. Elles rendent également plus difficile la mission des écoles, qui doivent uniformiser les règles du jeu pour des publics issus de situations hétérogènes et chez qui le niveau de soutien à l’éducation est très différent – problème d’autant plus crucial que la garantie pour tous d’une égalité des chances à l’école est une condition préalable pour des futurs plus justes et équitables.
L’éducation, un projet public et un bien commun
Tout nouveau contrat social doit se fonder sur les grands principes que supposent les droits humains : inclusion et équité, coopération et solidarité, responsabilité collective et interdépendance. Il doit aussi respecter les deux principes fondamentaux suivants : garantir le droit à une éducation de qualité tout au long de la vie ; renforcer l’éducation comme un projet public et un bien commun.
Pour ce qui est des propositions pour un renouvellement de l’éducation, elles se résument comme suit : une pédagogie novatrice, devant s’organiser autour de principes de coopération, de collaboration et de solidarité ; le curriculum doit mettre l’accent sur des apprentissages écologiques, interculturels et interdisciplinaires en mesure d’aider les élèves et les étudiants à accéder et à contribuer au savoir, tout en développant leur capacité à mettre ce savoir en pratique, mais aussi à le remettre en cause ; le renforcement des dimensions professionnelles des enseignants dans un cadre collaboratif, en reconnaissant les enseignants à la fois pour leur travail de création de savoir et pour leur rôle de premier plan dans le processus de transformation sociale et éducative ; les écoles doivent être préservées, mais aussi réinventées, afin de mieux promouvoir la transformation du monde vers des futurs plus justes, plus équitables, plus durables ; l’existence est jalonnée d’opportunités éducatives qui se déploient dans différents espaces culturels et sociaux. Il appartient aux individus de les saisir et aux collectivités de les développer ; consacrer le droit à l’éducation tout au long de la vie ; les universités, en tant que lieux dédiés à la créativité, à l’innovation et au renforcement de l’éducation comme bien commun , doivent jouent un rôle crucial dans les futurs de l’éducation ; la participation de toutes les composantes de la société au développement des futurs de l’éducation – enfants, jeunes, parents, enseignants, chercheurs, militants, employeurs, guides culturels et religieux.
Ce rapport doit être lu dans cet esprit : non comme un plan d’action, mais plutôt pour inciter à la réflexion, à l’imagination et au dialogue. « C’est aux communautés, aux pays, aux écoles et aux programmes et systèmes éducatifs de toutes sortes, partout à travers le monde, qu’il appartient de se saisir de ces questions », appellent les rédacteurs.
L’éducation à l’horizon 2050, c’est maintenant qu’elle se prépare et s’imagine. S’il y a un domaine dans lequel il faut faire preuve d’anticipation, c’est bien celui de la formation-éducation. L’ingénieur, le médecin, l’enseignant de 2050 c’est l’enfant qui vient au monde aujourd’hui et dans les 5 années à venir ! Au Maroc, on se plaint, à juste titre, du manque de médecins, d’infirmiers, d’enseignants, de spécialistes dans plusieurs domaines. La faute c’est de ne pas avoir anticipé suffisamment les transformations de notre société, d’avoir abandonné toute idée de planification en se contentant de parer au plus pressé et d’une gestion au jour le jour. Ainsi, les réformes conduites dans l’éducation depuis notre indépendance politique ont eu lieu dans l’urgence et l’improvisation. Le « plan d’urgence » en est une illustration éclatante. Pour une fois notre pays s’est doté d’une vision à long terme couvrant la période 2015-2030. Mais sa mise en œuvre trébuche. Alors que nous sommes déjà à mi-parcours, nous n’avons pas l’impression d’avoir avancé suffisamment. L’essentiel de « l’effort » est consacré aux batailles de seconde zone, aux polémiques stériles et aux surenchères politiciennes. Nous sommes aujourd’hui au pied du mur. C’est l’avenir de notre pays et de celui de nos jeunes qui est en jeu. Que chacun assume ses responsabilités.