Culture
A Venise, un Almodovar politique pour solder les pages jamais ouvertes du franquisme en Espagne
L'actrice espagnole Milena Smit, le réalisateur Pedro Almodovar et son actrice fétiche Penelope Cruz à la Mostra de Venise le 1er septembre 2021, pour présenter "Madres paralelas".
Il n'avait pas tout dit sur les mères : en compétition à Venise, Pedro Almodovar retrouve ses sujets de prédilection, la filiation et les figures féminines, avec un film qui ambitionne d'aider l'Espagne à panser les plaies de la Guerre civile au bout de laquelle les espagnoles subiront près de 40 ans de franquisme.
Dans "Madres Paralelas", qui a ouvert la course au Lion d'Or, le cinéaste de 71 ans retrouve son actrice fétiche, Penelope Cruz, 47 ans, à qui il confie un nouveau premier rôle.
La star espagnole incarne Janis (un clin d'oeil à la chanteuse américaine engagée Janis Joplin), une photographe quadragénaire. Elle tombe enceinte d'un ami archéologue et marié, qui lui a promis de l'aider à retrouver la sépulture de son arrière-grand-père, disparu aux débuts de la guerre civile espagnole, et l'exhumer, dans son village natal.
Un thème d'actualité en Espagne, où le gouvernement travaille [timidement] à faire avancer dans le travail de mémoire et sortir des fosses communes les milliers de victimes de la dictature franquiste.
Selon les estimations d'historiens et de descendants des victimes, plus de 100.000 victimes de la Guerre civile (1936-1939), remportée par Franco, qui a ensuite dirigé l'Espagne d'une main de fer jusqu'à sa mort en 1975, se trouvent dans des fosses communes.
"Nous ne pouvons pas solder définitivement notre histoire tant qu'on n'aura pas payé notre dette envers les disparus", a déclaré à la Mostra l'ancien enfant terrible de la Movida.
"Dans les foyers espagnols, chez moi par exemple, personne ne parlait de la guerre". Aujourd'hui, en Espagne, "ce sont les générations des petits enfants qui demandent l'addition", a-t-il poursuivi.
"Mères imparfaites"
Celui qui filme les femmes et la libération des mœurs depuis ses débuts dans les années 1980 ("Pepi, Luci, Bom et les autres filles du quartier") reste fidèle à ses thèmes et à son style, même s'il est assagi. Il tisse autour de cette mère qui recherche son ancêtre une intrigue à tiroirs.
Aux côtés de Penelope Cruz, le réalisateur a embauché une jeune actrice, Milena Smit, 24 ans. Elle incarne Ana, une jeune femme qui accouche en même temps que Janis, dans la même maternité.
Pour elles, comme pour la génération de leurs mères ou de leurs grands-mères, qui ont perdu un père ou un mari lors de la guerre civile, le monde se construit sans les hommes, lâches, absents ou violents.
Toutes deux verront leur destin bouleversé : Ana, parce que son bébé succombe de mort subite, Janis parce que les tests ADN prouvent qu'elle n'est pas la mère de son enfant. Sur fond de secret inavouable, une relation amoureuse va se nouer entre ces deux mères célibataires, rattrapées par le passé.
L'auteur de "Volver", "Parle avec elle" ou "La mauvaise éducation", qui s'inspire une nouvelle fois d'une enfance "entourée de femmes", sa mère comme ses voisines, a choisi cette fois de mettre en scène des "mères imparfaites, discutables, ou au moins qui traversent des périodes très difficiles", et non des personnages maternels "omnipotents".
L'intrigue s'imprègne aussi de questionnements récents : renouveau du féminisme (Penelope Cruz arbore chez elle un T-Shirt "We should all be feminists"), ou harcèlement sur les réseaux sociaux.
Penelope Cruz, en tout cas, n'a pas hésité à dire une nouvelle fois "oui" au plus iconique des réalisateurs espagnols : "c'est un personnage difficile", a-t-elle expliqué, mais ce film "a été tout un voyage, très intense mais très bon", a-t-elle expliqué.