''Cinéma, mon amour'' de Driss Chouika - LES FESTIVALS DE CINEMA N’ADMETTENT PAS D’OBEDIENCE POLITIQUE

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Habib El Malki (à droite) successeur du fondateur du Fesival du Cinéma Africain de Khouriga, le défunt Noueddine Saïl- Qu’un festival de cinéma, pionnier au Maroc et en Afrique, qui a plus de 45 ans d’existence, n’ait pas pu trouver dans son staff quelqu’un pour remplacer son défunt fondateur est une situation vraiment inédite, kafkaïenne même.

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika : Rapports Professionnels/Films

«Aujourd’hui, les festivals de cinéma sont comme les congrès de dentistes. C’est tellement folklorique que s’en est déprimant ». 

Jean-Luc Godard.

La plupart des festivals de cinéma dans le monde sont indépendants. Et, en général, ils ne sont assujettis à aucune obédience politique. Au Maroc, les festivals de cinéma, et artistiques en général, ne dérogent pas à cette règle. Ils ont en cela été fidèles à leur ancêtre et précurseur Le Festival du Cinéma Africain de Khouribga, né un certain mars 1977 sous la dénomination Rencontre du Cinéma Africain de Khouriga, initié par feu Noureddine Sail, alors président de la Fédération Nationale des Ciné-Clubs du Maroc (FNCCM). Et de cette première édition ce festival a défendu l’indépendance de sa ligne éditoriale jusqu’à la 21ème édition de 2019. 

Mais, le milieu du cinéma, professionnels et cinéphiles, a été bien surpris, quelques mois après le décès du fondateur, que ce dernier a été remplacé par un politicien ! C’est franchement ahurissant ! Qu’un festival de cinéma, pionnier au Maroc et en Afrique, qui a plus de 45 ans d’existence, n’ait pas pu trouver dans son staff quelqu’un pour remplacer son défunt fondateur est une situation vraiment inédite, kafkaïenne même.

Nous avons tout de même, en tant que professionnels et cinéphiles, une consolation de taille : La quasi-totalité des festivals de cinéma les plus prestigieux du pays gardent toujours une indépendance honorable, loin de toute obédience politique : Le Festival International du Film de Marrakech, Le Festival du Cinéma Méditerranéen de Tétouan, le Festival International du Film de Femmes de Salé, le Festival Cinéma et Migrations d’Agadir, le Festival du Court-métrage Marocain de Sidi Kacem...

Et j’ai bien peur que ce changement de cap ne se fasse sentir dès la 22ème édition. Déjà certains échos négatifs sont charriés par les vents de Khouribga : l’un des cinéastes marocains pionniers, dont un des films a eu le Prix du Jury de la 4ème édition du festival de 1990, hommagé lors de l’édition de 2018, qui a un nouveau film qui aurait pu représenter dignement le maroc dans ce concert africain, a été tout simplement ignoré ! Contacté à propos du pourquoi de la chose il a brièvement et sarcastiquement répondu : «Peut-être parce qu’il n’est pas affilié au parti du nouveau président, ou peut-être à cause de son amitié et collaboration avec Sail depuis 1970 !». Douleureux ! Après toute une vie de combat mené par N. Sail, secondé par les fidèles au cinéma et à la cinéphilie, en arriver là est vraiment douleureux et déprimant. Aussi, plusieurs membres du Conseil d’Administration de la Fondation du Festival, écartés d’une manière irrégulière, ont démissionné ! Un autre, parmi les plus fidèles soutiens du festival, a répondu à la question, un ton de profonde amertume dans la voix : «Ne pouvant pas cautionner une telle mascarade, j’ai démissionné. De son vivant, Sail a été bien combattu au CCM par le PJD. Et aujourd’hui, à titre postume, on essaie d’enterrer toutes ses actions pour un cinéma national viable, et de le faire oublier en tant que fondateur et cheville ouvrière de ce festival pendant près de 45 ans. C’est une honte». 

Et la question ne concerne pas exclusivement les festivals marocains. Le 75ème festival de Cannes a d’ailleurs suscité des réactions mitigées suite à la diffusion en vidéo-conférence, lors de son ouverture, d’un discours éminnement politique du président ukrainien V. Zelensky demandant l’exclusion de tout cinéaste russe du festival. Rien que cela ! Beaucoup ont été choqués par une telle intolérance sectaire qui n’a pas sa place dans un festival artistique. La plus virulente critique a été celle de Jean-Luc Godard :

« L’intervention de Zelensky au festival cannois va de soi si vous regardez ça sous l’angle de ce qu’on appelle « la mise en scène » : un mauvais acteur, un comédien professionnel, sous l’œil d’autres professionnels de leurs propres professions.

Je crois que j’avais dû dire quelque chose dans ce sens il y a longtemps. Il aura donc fallu la mise en scène d’une énième guerre mondiale et la menace d’une autre catastrophe pour qu’on sache que Cannes est un outil de propagande comme un autre. Ils propagent l’esthétique occidentale, quoi…

S’en rendre compte n’est pas grand-chose mais c’est déjà ça. La vérité des images avance lentement. Maintenant, imaginez que la guerre elle-même soit cette esthétique déployée lors d’un festival mondial, dont les parties prenantes sont les États en conflit, ou plutôt « en intérêts », diffusant des représentations dont on est tous spectateurs… vous comme moi.

J’entends qu’on dit souvent « conflit d’intérêt », ce qui est une tautologie. Il n’y a de conflit, petit ou grand, que s’il y a intérêt. Brutus, Néron, Biden, ou Poutine, Constantinople, l’Irak ou l’Ukraine, il n’y a pas grand-chose qui a changé, mise à part la massification du meurtre. »

Voilà où risque de mener la politisation des festivals artistiques.

Certains peuvent bien avancer la sempiternelle idée affirmant que “tout est politique“. Moi je continue à clamer haut et fort, comme l’a toujours fait Godard, qu’«un festival politisé est un outil de propagande comme un autre, qui propage une vision et une esthétique politiques» pouvant etre bien loin des véritables préoccupations et créations artistiques. Un festival artistique qui se respecte doit défendre jalousement son indépendance et n’avoir aucune obédience politique.

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