Centré sur son économie, Washington ne freinera pas l'envolée du dollar, au grand dam des pays en développement - Par Jihad BENCHEKROUN

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"Le Département du Trésor pourrait bien craindre que la flambée du dollar ouvre la voie à des plaintes de l'étranger et à des pressions protectionnistes aux États-Unis, mais à court terme, la meilleure stratégie est de ne rien faire" ( Mark Sobe, ancien du Trésor américain)

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Par Jihad BENCHEKROUN (MAP)

Washington - Les décideurs politiques américains ne prendront probablement pas de mesures pour ralentir la hausse rapide du dollar malgré les risques croissants de turbulences financières mondiales, estiment plusieurs économistes, qui soulignent qu'un billet vert fort aide à lutter contre l'inflation. Une situation qui pénalise particulièrement les pays en développement, déjà aux prises avec les problèmes liés à la hausse des prix des produits alimentaires et une inflation galopante.

La valeur du dollar américain a grimpé en flèche au moment où la Réserve fédérale (Fed) relève les taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation la plus élevée depuis des décennies aux Etats-Unis et que les investisseurs transfèrent de l'argent vers des actifs libellés en dollars.

En août dernier, la Banque mondiale a indiqué que les devises des pays émergents avaient perdu en moyenne 11 % de leur valeur comparée au dollar depuis janvier.

Le WSJ Dollar Index, qui mesure le dollar par rapport à un panier d'autres devises, a augmenté d'environ 16 % jusqu'à présent cette année. La flambée du dollar par rapport aux autres devises exerce une pression sur de nombreux pays dans le monde, augmentant les coûts des importations libellées en dollars. Cela est particulièrement difficile pour de nombreuses économies en développement qui sont aux prises avec de lourdes dettes et importent une grande partie de leurs carburants, de leur nourriture et d'autres produits de base.

La flambée du billet vert alourdit, en effet, le fardeau de la dette des pays émergents. L’envolée du dollar, combinée à la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie observée depuis le début de la guerre en Ukraine, alimente la flambée des prix dans les pays en développement, fragilisant encore davantage les catégories les plus pauvres et posant des risques quant à l’émergence de tensions sociales.

Les économies les plus riches ne sont pas épargnées par cette situation en raison de l’augmentation de leurs coûts d'importation. Le Japon, troisième économie mondiale, est récemment intervenu sur les marchés des changes pour soutenir le yen.

La secrétaire au Trésor américaine, Janet Yellen, a récemment souligné que les États-Unis soutiennent les taux de change déterminés par le marché, ajoutant que la force du dollar est en grande partie le résultat des politiques de la Fed et des entrées de capitaux aux États-Unis.

Aux Etats-Unis, la Fed gère la politique monétaire tandis que le département du Trésor supervise le taux de change américain. Les économistes et les anciens responsables du Trésor américains soulignent deux raisons pour lesquelles il est peu probable que le département du Trésor prenne des mesures de sitôt pour réduire la valeur du dollar ou pour ralentir sa hausse, indique la même source.

Premièrement, la Fed va continuer à augmenter les taux d'intérêt et toute intervention américaine sur le marché des changes n'aura probablement qu'un impact limité sur la valeur du dollar. Deuxièmement, un dollar fort contribue à faire baisser l'inflation, et il est peu probable que le Trésor veuille prendre des mesures qui pourraient saper les efforts de la Fed pour maîtriser l'inflation.

"Le Département du Trésor pourrait bien craindre que la flambée du dollar ouvre la voie à des plaintes de l'étranger et à des pressions protectionnistes aux États-Unis, mais à court terme, la meilleure stratégie est de ne rien faire", a déclaré Mark Sobel, un ancien haut fonctionnaire du Trésor qui est actuellement le président américain du Forum officiel des institutions monétaires et financières.

La vice-présidente de la Fed, Lael Brainard, a affirmé vendredi que la banque centrale surveille les développements financiers mondiaux tout en restant déterminée à réduire l'inflation en augmentant les taux suffisamment assez pour ralentir la croissance économique américaine. "La politique monétaire devra être restrictive pendant un certain temps pour s’assurer que l'inflation revienne à l'objectif fixé", a-t-elle déclaré.

Un dollar fort contribue généralement à réduire l'inflation américaine en réduisant les prix des biens et services importés aux États-Unis. Il freine également les exportations américaines en les rendant plus chères sur les marchés mondiaux, ce qui ralentit la croissance économique, et donc atténue les pressions sur les prix.

Toutefois, les risques que le renforcement du dollar fait peser sur l'économie mondiale pourraient toutefois s'accélérer. Les banquiers centraux du monde entier pourraient avoir le sentiment qu'ils doivent augmenter les taux d'intérêt plus rapidement que prévu pour lutter contre l'inflation dans leur propre pays et empêcher une nouvelle dépréciation de leur monnaie. Leurs efforts combinés pourraient aggraver le ralentissement économique mondial. Les investisseurs peuvent de plus en plus choisir de trouver un refuge en dollars américains, ce qui augmente encore la valeur du billet vert et risque d'aggraver l'instabilité du marché.

Même si ces risques s'accumulent, Eswar Prasad, économiste à l'Université Cornell, estime que les États-Unis ne prendraient aucune mesure pour ralentir la hausse des taux d'intérêt ou modifier autrement la trajectoire du dollar jusqu'à ce qu'il pose un risque direct pour l'économie américaine.

Jusqu'à présent, les risques pour les États-Unis sont limités, alors que les avantages sont tangibles. "Je ne vois pas le Trésor ou la Fed faire quoi que ce soit d'important pour atténuer les paniques financières dans d'autres parties du monde", souligne Prasad.

 

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