économie
Challenge du siècle: Les États-Unis d’Afrique*
Divisés, les pays africains se livrent une concurrence acharnée, qui sert surtout les intérêts de leurs partenaires occidentaux. Il est temps de voir plus grand et de passer à autre chose.
Faire rencontrer l’Est et l’Ouest africains à Casablanca pour qu’ils puissent mieux se rejoindre sur le terrain partenarial. C’est la mission que s’est assignée le Forum international Afrique développement (FIAD) pour sa 6e édition. Parce que tout peut devenir possible après une bonne rencontre. En l’occurrence, c’est le rapprochement des idées, des points de vue, voire des stratégies qui est recherché. En se parlant sincèrement, comme on l’effet d’habitude sous le fameux arbre à palabres, les Africains pourront trouver les meilleurs moyens d’affronter, ensemble, les nombreux défis communs.
L’un des premiers défis à relever est celui de l’intégration continentale. Oui, intégration continentale et non seulement régionale. C’est vers cette nouvelle ambition qu’il faut désormais se tourner. Lancé le 21 mars 2018 à Kigali au Rwanda, avec la signature du protocole cadre du lancement officiel de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlec, Zleca ou Zlecaf), ce rêve est en train de devenir réalité. C’est Moussa Faki Mahamat qui vient de le reconfirmer. S’exprimant lors de la 34e session ordinaire du conseil exécutif de l'Union africaine (UA), tenue les 10 et 11 février dernier à Addis-Abeba en Éthiopie, le président de la commission de l'UA a déclaré que la mise en application de l’Accord sur la Zlecaf adviendra dans les « semaines à venir ». Cette zone devra inclure l’ensemble des marchés intégrés régionaux : le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté d'Afrique de l'Est (CAE), la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), l'Union du Maghreb arabe (UMA) et la Communauté des États sahélo-sahariens.
Pour que la Zlecaf commence à devenir réalité, l’Accord l’instituant doit étre ratifié par 22 pays membres sur les 44 l’ayant signé au départ, auxquels se sont ajoutés ensuite cinq autre pays dont le Nigéria, qui était l’un des plus réticents. Les cinq pays restants sont le Bénin, le Botswana, l’Érythrée, la Guinée-Bissau et la Zambie. Aux dernières nouvelles, 19 pays dont le Maroc l’ont ratifié. Il ne reste donc que 3 ratifications pour que le premier accord de libre-échange de l’Histoire de l’Afrique devienne applicable. Cette avancée, incroyable il y a quelques années, fera tomber, à terme, 84.000 kilomètres de frontières pour créer un marché commun de plus d’un milliard de consommateurs. Pour se rendre compte de l’immensité de ce marché, il faut savoir que celui de l’Union européenne ne pèse que 500 millions de consommateurs.
Ce n’est pas pour rien que dans le discours adressé au Sommet extraordinaire de Kigali, le Roi Mohammed VI a parlé de « la zone de libre_échange la plus large au monde, avec la population la plus jeune du monde ». Cette zone, a ajouté le Souverain, « catalysera les investissements, stimulera la croissance économique, développera les interconnections continentales et apportera un dynamisme nouveau à l’intégration en Afrique ». Selon les prévisions liminaires, il est prévu que, grâce à la Zlecaf, le commerce intra-africain bondisse à 51% à l’horizon 2022 au lieu de 18% actuellement.
Le Maroc pousse à la roue de la Zlecaf
L’intégration est un des axes majeurs du FIAD depuis son lancement. Il en sera aussi question cette année. En débattant pour faire avancer les choses en Afrique, les 1.500 chefs d’entreprise et décideurs de plus de 20 pays africains et pays partenaires attendus à cet évènement sont des acteurs clés de cette intégration tant souhaitée par les Africains.
Preuve que le Maroc pousse à la roue de la Zlecaf, quelques jours aprés le FIAD, le Royaume abritera, du 20 au 26 mars, la 52e session de la conférence des ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement Economique (CoM) de la Commission économique pour l’Afrique « CEA ». La conférence offrira aux participants l’occasion d’examiner les politiques fiscales nécessaires à la mise en œuvre de la Zlecaf, peut-on lire dans le communiqué d’annonce de cette conférence.
Le processus semble donc s’accélérer. Et pour cause ! l’Union Africaine (UA) vient tout juste de réactualiser le chantier de l’établissement d’institutions financières et monétaires africaines. Un projet qui a été lancé en 2005 lors du Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'organisation d'Abuja au Nigeria. L’UA prévoit, à l’horizon 2045, la mise en marche d’une Banque centrale africaine (BCA) qui aura son siège au Nigeria, d’une Banque africaine d'investissement (BAI) qui sera établie en Libye et d’un Fonds monétaire africain (FMA) qui prendra place au Cameroun. Tous ces mécanisme sont nécessaires pour accompagner la dynamique d’intégration africaine.
Les décideurs politiques africains doivent accélérer la cadence, surtout qu’ils ambitionnent d’avoir, à terme, non seulement un marché commun, mais la monnaie unique et le passeport commun qui vont avec.
Lors de la réunion tenue, du 4 au 8 février dernier à Yaoundé au Camerou, de la 3e session du Comité technique spécialisé de l'organisation sur les finances, les affaires monétaires, la planification et l'intégration économiques, Moussa Faki Mahamat a adressé un message fort aux ministres des Finances, gouverneurs des banques centrales et experts économiques africains présents. Le président de la Commission de l'UA leur a rappelé l’ensemble des défis à relever pour que l'Agenda 2063 de l'organisation africaine soit respecté. La création des institutions financières a été cité en tête de liste des priorités. « Le projet relatif aux institutions financières de l'Union africaine est l'un des vecteurs qui guidera le secteur financier du continent en vue de faciliter sa transformation et son développement productifs », a insisté Moussa Faki.
Une Banque centrale africaine pourquoi faire ?
La BCA devra permettre la mise en place d’« une politique monétaire commune et une monnaie unique africaine afin d'accélérer l'intégration économique sur le continent », a expliqué Naglaa Nozahie. Cette représentante de l'Association des banques centrales africaines (AACB) a présenté un rapport sur l'état d'avancement de la convergence des critères en marge de la réunion de Yaoundé.Nozahie rappelle que chaque pays voulant adhérer à la Zlecaf doit maintenir le taux d’inflation à un niveau inférieur ou égal à 3% d'ici 2038. Le déficit budgétaire global ne doit pas lui non plus dépasser 3% d'ici 2033. Ce n’est pas tout, le ratio de financement de la banque centrale au gouvernement devait être nul d'ici 2038 et chaque pays devait disposer de réserves de change qui couvriront au moins six mois d'importation d'ici 2038.Autres critères exigés :un ratio dette publique/PIB inférieur à 65%, et un ratio recettes fiscales totales/PIB qui doit être supérieur à 20%, avant l'échéance. « Le rapport entre les investissements en capital du gouvernement et les recettes fiscales doit être supérieur à 30% », ont également souligné les experts qui ont travaillé sur les critères de convergence, qui ont aussi convenu que les pays membres devaient maintenir la stabilité du taux de change nominal à plus ou moins 10% de variation.
Parce qu’il ne s’agit pas de critères lancés dans le vent, la commission de l’UA a développé dernièrement un indice multidimensionnel de l’intégration régionale africaine (IMIRA). Le but est de mesurer, avec précision, les efforts et les progrès réalisés en matière d’intégration et de déceler les obstacles en vue d’y apporter les mesures correctives nécessaires. Le même travail est aussi réalisé avec l’Association des bourses africaines des valeurs mobilières (ASEA) pour la réalisation du projet de la Bourse panafricaine. Sur la base de cet travail minutieux d’évaluation, le point sera fait sur les efforts fournis par les différents pays membres lors du prochain sommet de l’UA qui réunira les chefs d'État et de gouvernement du continent à Niamey au Niger le 6 juillet prochain. Le jour-même de l’entrée en vigueur de la Zlecaf. Cette date serait-elle le début de la transformation du rêve de la libre circulation des personnes et des biens sur tout le continent en réalité ? On verra bien.
Un marché pétillant de jeunesse
Comptant 1,2 milliard d’habitants en 2017, le continent devrait avoisiner les 2,5 milliards en 2050. Selon un nouveau rapport du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU « The World Population Prospects: The 2017 Revision », la population africaine devrait même atteindre 4,5 milliards d’habitants en 2100. Un chiffre qui représentera près de 40% de la population mondiale, contre 1,3 milliard (17% de la population mondiale) actuellement. A titre indicatif, entre 2017 et 2050, les populations de 26 pays africains (dont le Nigeria, l’Éthiopie, la RDC, la Tanzanie, et l’Ouganda) devraient, au minimum, voir leur population doubler. Autre indicateurs clés : 1,8 milliard de naissances auront lieu en Afrique au cours des 35 prochaines années, et d’ici 2050, le continent noir comptera près d’un milliard de jeunes de moins de 18 ans.
Bien sûr, le grand défi des pays africains est de trouver des projets de vie à tout ce monde, surtout aux jeunes. Dans ce sens, la Zlecaf n’est pas une option, mais une obligation vitle. Les décideurs politiques doivent bien le comprendre. De l’avis général, la priorité des priorités doit être la création d’emploi et l’ouverture de nouvelles perspectives à la jeunesse. Pour ce faire, de nombreux pays africains doivent combler leur déficit en infrastructures routières, autoroutières, portuaires, aériennes et de télécommunications, sans oublier le déficit en établissements scolaires, universitaires et de formation, etc. C’est là un immense chantier.
L'Allemagne a bien compris qu’il y a beaucoup à faire en Afrique. A travers son initiative « Compact with Africa », le pays de Merkel veut attirer des investissements privés en terre africaine. Le Global Infrastructure Hub, une initiative du G20, a estimé le besoin en investissement dans l'infrastructure, d'ici 2040, au Maroc, en Tunisie, en Égypte, en Éthiopie, au Sénégal, en Guinée, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Bénin à pas moins de 2.400 milliards de dollars.
« Ces chiffres démontrent clairement le désir des investisseurs de dépenser davantage sur les marchés émergents. Cependant, attirer les investissements du secteur privé dans les pays africains reste un défi majeur », a déclaré Chris Heathcote, PDG de Global Infrastructure Hub. « La clé pour résoudre ce problème est de créer l'environnement adéquat pour encourager les investisseurs à transformer leur intérêt en action », a-t-il ajouté.
Principaux challenges
Dans son rapport présenté aux chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres réunis lors du 32e Sommet à Addis Abeba, le président de la Commission de l'Union africaine (UA), a rappelé que les conflits et la violence demeurent une réalité qui affecte la vie de larges couches de la population africaine. « Les processus de démocratisation et la promotion de la bonne gouvernance sont encore semés d’embûches », a-t-il poursuivi, affirmant que la pauvreté et la misère sont le lot quotidien de centaines de millions de personnes, même si le continent est doté de richesses et de talents. Moussa Faki Mahamat a souligné aussi que la voix de l’Afrique sur la scène internationale n’est pas encore suffisamment prise en compte, même si le continent représente plus du quart des membres de l’ONU. Du reste, Moussa Faki a prévenu que le taux de croissance actuel de l’Afrique ne lui permet pas de réaliser ni les objectifs de l’Agenda 2063, de l’Agenda 2030 ni les Objectifs de développement durable (ODD). Il a soulevé également le problème des flux financiers illicites en provenance du continent africain. Lesquels constituent, selon lui, un problème africain nécessitant une solution mondiale.
Avec l'Observateur du Maroc et d'Afrique*