L'annuaire 2019 du GERM : LA MEDITERRANEE DANS TOUS SES ETATS

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Fathallah Sijilmassi et Edgar Morin : Les "vertus du monde méditerranéen", s'il reconnaît aussi des "vertus " au Nord - droits, liberté, condition féminine, développement... - c'est pour mieux plaider pour une synthèse, une combinaison entre les deux hémisphères.

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Le GERM (Groupement d'études et de recherches sur la Méditerranée) vient de publier les actes de la rencontre annuelle, tenue à Rabat, le 7 décembre dernier, à Rabat, sur le thème : "La Méditerranée plurielle dans un environnement de mondialisation et de déséquilibre régional". Une quinzaine de participants- dont le sociologue Edgard Morin et le diplomate Fathallah Sijilmassi- ont ainsi débattu de l'état des lieux dans cette aire géostratégique ainsi que des hypothèques et des défis à l'ordre du jour.

Pour Habib El Malki, président du GERM, il importe de "repenser la Méditerranée" mais en incluant l'Europe et l'Afrique parce que c'est "un ensemble positivement interactif". L'avenir de l'Europe n'est-il pas aussi dans la rive Sud de la Méditerranée ? Ne faut-il pas à ce sujet revitaliser la Méditerranée alors que l'hémisphère Sud accuse des tensions, des guerres et pâtit d'une nouvelle rupture illustrée par la question migratoire ? Edgard Morin, pour sa part, commence par rappeler la "complexité de la Méditerranée", une et diverse. Dans une longue communication, il a mis l'accent sur la nécessité de "re-mythifier de nouveau la Méditerranée, de lui" donner une maternité ". 

Pourquoi ? Parce que, précise-t-il, "nous sommes tous fils de cette mer, à travers une diversité inouïe, d'une culture qui aime l'huile d'olive, qui aime le soleil, qui aime le bleu et qui aime les rapports humains de convivialité ". Plus encore, ajoute-t-il: les "vertus du monde méditerranéen", le Nord s’obstinant à considérer le Sud avec dédain... S'il reconnaît aussi des "vertus " au Nord - droits, liberté, condition féminine, développement... - c'est pour mieux plaider pour une synthèse, une combinaison entre les deux hémisphères. A ses yeux, il faut en même temps développer le meilleur de ce que produisent les civilisations méditerranéennes, référence étant faite à l'universalité, en particulier dans les religions monothéistes. 

Pour autant, il n'écarte pas deux perspectives préoccupantes à prendre en charge. La première est écologique qui risque à terme de provoquer bien des crises humaines, migratoires, sociales et politiques. Il faut ainsi prendre conscience de la communauté de destin, faute de quoi face aux mêmes problèmes et aux mêmes périls, le risque est grand de voir les esprits se refermer sur les particularités identitaires, religieuses et ethniques. Voilà pourquoi, pour conclure, il appelle à "repenser notre appartenance méditerranéenne". Quant à la seconde, elle a trait à un "besoin d'une réforme éthique", en ce sens qu'il y a une interdépendance dans une aventure qui est celle de l'humanité dans son ensemble.

Pour Fouad M. Ammor, la Méditerranée a vu et accuse encore un changement dans son statut géostratégique. Du Sud, elle est perçue comme un passage" vers ce qu'il appelle "la rive opulente du Nord; mais du Nord, elle est vue comme une "menace"". Durant la guerre froide, elle était appréhendée comme un espace appendice dans les rapports mondiaux. Puis, durant la décennie 1990 -2001, l'on voit dans cet espace le retour d'une centralité passablement problématique. A compter du 11 septembre 2001, voilà en effet les Etats-Unis qui déclenchent alors la guerre contre le terrorisme (war on terror) qui catapulte la Méditerranée au statut d'espace de menaces. Une phase qui s’achève en 2008 avec le déplacement du centre de l'économie mondiale vers l'Asie-Pacifique aux dépens de l'Atlantique et de la Méditerranée. Celle-ci comme espace se voit déclassée d’un point de vue économique et géostratégique. Aujourd'hui encore, les grandes fractures restent entre les deux rives de la Méditerranée ainsi que les politiques migratoires privilégiant le paramètre sécuritaire. Il faut y ajouter une situation qui voit la Méditerranée s'apparentant à une orpheline", sans grands relais ni vecteurs à l'international.

Ambassadeur, ancien secrétaire général de l'UPM (Union pour la Méditerranée) de 2012 à 2018, Fathallah Sijilmassi se demande si la Méditerranée est un concept dépassé où une centralité retrouvée. Les objectifs d'intégration régionale proclamés - et souhaités ? - n'ont pas été atteints. Mer africaine, la Méditerranée l'est; mais elle est aussi une mer... européenne. D'où la nécessité d'une nouvelle vision ajustée et d'une mise à jour du "logiciel Europe - Méditerranée qui devient naturellement un logiciel Europe- Méditerranée- Afrique". Une coordination et une complémentarité donc, illustrée en particulier par la crise migratoire. Un autre paramètre regarde, lui, les grands enjeux internationaux-changements climatiques, digitalisation, mobilités humaines. Il voit dans la présente situation trois opportunités pouvant porter leurs fruits: une nouvelle Commission à Bruxelles et de nouvelles institutions (Président du Conseil, parlement) et un nouveau budget 2021-2027; le rôle d'impulsion et d'aiguillon du Maroc dans la relations entre l'UE et la rive Sud de la Méditerranée; enfin, l'atout majeur de la jeunesse, et ce dans un agenda positif qu'il appelle de ses vœux depuis des années.

Abderrahmane Tenkoul a abordé une autre problématique : "Repenser la Méditerranée à la lumière de son imaginaire". Elle est "tellurique", inquiétante,  citant l'islamologue Mohamed Arkoun, pour qui "le mot "Méditerranée est encore impensé". Il formule dans cette même ligne plusieurs hypothèses: l'héritage encore vicace de la domination de certaines puissances européennes sur leurs voisins de la rive Sud durant le XIXème siècle et le XXème siècle; la fissure entre le Nord et le Sud par le choc de l'Islam dans son rapport à la civilisation occidentale - un paramètre géopolitique et culturel; la montée en puissance des idéologies nationalistes et de leurs prolongements populistes, enfin l'absence en Méditerranée d'un récit supranational avec ses mythes, ses projets, ses promesses et ses visions. Rien d'étonnant que l'imaginaire méditerranéen soit handicapé, en panne de créativité, par suite de cette coupure entre les peuples méditerranéens et leur mémoire culturelle et civilisationnelle.

L'axe II de cette rencontre a été centré sur "La Méditerranée dans le nouveau contexte mondial", avec les communications de Houdaifa Ameziane, de Maria Augustrias Parejo Fernandez, professeur à l'Université de Grenade. Elle a présenté le "Processus de réforme constitutionnelle en Méditerranée: avancées et limites du changement au Maghreb"? Elle a expliqué et soutenu que les processus constitutionnels sont "certes pertinents, mais ne sont pas déterminants des changements politiques dont la nature reste complexe". Il faut aussi signaler l'intervention de Louis- Simon Boileau (Fondation Jean Jaurès, Paris) sur "La Méditerranée dans la politique étrangère de la France : Frontière ou horizon politique ? ". Il a relevé à cet égard quatre tendances: la première concerne le rapport au temps et la prise en compte du passé et de son héritage mémoriel; la deuxième intéresse le rapport à l'espace méditerranéen - une "Grande Méditerranée" (Chirac, Sarkozy) ou une "petite Méditerranée " réduite à son espace occidental ( 5 + 5); la troisième regarde la distance, en ce sens que les deux rives tendent à s'éloigner par le bas ; enfin, la dernière est relative au sens donné à la Méditerranée, un espace de progrès et de convergence post-1989 mais redevenue un espace de conflictualité. Il a appelé à une politique méditerranéenne renouvelée de Paris articulé autour d'un véritable projet régional d'avenir (mobilité et communication, un programme jeunes, un espace de sécurité, un espace naturel protégé de lutte contre la pollution marine, un espace de coprospérité, lui, le professeur la Xialin (Université Kuang Cong) s'est attaché à mettre en relief les potentialités de la coopération entre la Chine et les pays de la Méditerranée.

Enfin, l’axe III a porté sur "Les perspectives méditerranéennes à la lumière de la nouvelle politique africaine du Maroc" (Driss Khrouz,  Mhammed Echkoundi et Hicham Hafid) et sur "L'Afrique à la croisée des chemins" (Moustafa Bousmina), président de l'Université EUROMED de Fès). Une approche stimulante pour montrer la connexion entre l'espace méditerranéen et le continent, laquelle est au cœur de la vision royale initiée et mise en œuvre par le Maroc. 

Des pistes donc, une étape dans une réflexion collective à poursuivre à prolonger par le monde académique dans une dynamique de recherche et d'investigation. De quoi aider à éclairer les décideurs politiques et les opérateurs économiques.

 

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