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Afghanistan : Rien n’indique une profonde transformation de la pensée talibane – Par Bilal Talidi
Photos de femmes dans les vitrines de salons de beauté taguées par des talibans après la chute de Kaboul
Analystes et observateurs se perdent en conjectures pour comprendre et expliquer la reprise du pouvoir par les talibans après 20 ans de guerre aux Américains en Afghanistan.
Pour certains l’abandon américain en dépit de sa puissance et le volume de son soutien au gouvernement afghan rappelle l’inéluctabilité de l’échec du soutien extérieur. L’effondrement rapide des élites de l’allégeance à l’étranger face à la détermination des élites locales en démontre l’inutilité. Tout au plus, ceux qui ont été portés aux pouvoir et aux postes de responsabilité par le soutien américain vont essayer de protéger quelques intérêts plus qu’ils n’adhéreront à la sauvegarde organisée de l’expérience de modernisation ou ne résisteront de l’intérieur pour la défense de leurs convictions.
D’autres, à l’instar du professeur tunisien de philosophie Abou Yaarab Marzouki qui considère que la chute du gouvernement afghan a confirmé ses prévisions, la chute de Kaboul est un indicateur sur le début de la régression occidentale et le signes précurseur de la reprise islamique.
Une perception tiraillée
En face, des éclairés et avec eux les décideurs des pays occidentaux ne cessent de mettre en garde contre les dangers de l’arrivée des talibans au pouvoir et la menace qu’ils représentent pour les droits et les libertés, notamment ceux des femmes et de la presse. Tout en admettant la nécessité de composer avec la réalité telle qu’elle se présente, et parfois même en préconisant, pour préserver leurs intérêts, l’ouverture de canaux de communication avec les talibans, les Etats occidentaux sont unanimes sur les graves conséquences prévisibles du retour taliban au pouvoir.
Les interrogations et les appréhensions prennent plusieurs formes. Certains disent craindre pour les libertés ou encore que leurs peurs se portent sur l’application de la charia. D’autres se concentrent sur les défis sécuritaires et se demandent si talibans ne vont pas renouer avec leur passé en abritant et supervisant le terrorisme.
Les déclarations de dirigeants talibans laissent entendre que leur version 2021 n’est pas le remake de celle de 1996 et insistent sur les propos rassurants pour les forces locales et étrangères. On assiste même à une importante coopération avec les puissances étrangères et les représentations diplomatiques à Kaboul pour facilite l’exfiltration des sujets étrangers et des employés de corps diplomatiques. Dans certaines déclarations, les talibans ont tenus à assurer que la liberté de la presse sera respectée et qu’aucun journaliste ne sera arrêté. De même ils affirment que les droits de la femme seront protégés y compris son droit au travail à la condition de l’observance des règles régissant l’habit islamiste.
Telle est l’image qui se construit actuellement autour des talibans, reflétant une perception tiraillée de leur mouvement et une divergence marquée quant à l’avenir qu’ils peuvent offrir au pays.
Le retour en arrière « exclu »
A ce jour, il est difficile de parler d’un changement générationnel au niveau de la direction du mouvement. Ceux qui le dirigent aujourd’hui occupaient des responsabilités importantes sous le règne de Mollah Omar. Qu’il s’agisse du chef du mouvement, du responsable du Bureau politique ou de ceux qui mènent la communication directe avec les élites locales ou les gouvernements étrangers, tous appartiennent à cette catégorie. Ce qui permet d’écarter de facto l’hypothèse d'une transformation intellectuelle chez-eux suite à des produire des interactions intergénérationnelles. Il n’y a donc, dans les limites des publications et études connues de et sur le mouvement, aucune littérature susceptible de laisser supposer une quelconque évolution dans la pensée des talibans.
En même temps, il faut aussi écarter l’hypothèse selon laquelle les déclarations rassurantes des talibans seraient d’ordre tactique et de tentatives de berner les élites locales et internationales en vue d’obtenir coopération et reconnaissance. Il est en effet inconcevable dans le contexte régional et international actuel que les talibans soient tentés de revivre l’expérience de l’isolement et du siège, de nature à aggraver les souffrances du peuple afghan alors même qu’ils aspirent à gagner l’autre légitimité, celle des cœurs pour consolider la légitimité de la victoire militaire.
Les talibans ont expérimenté l’isolement international et goûté aux conséquences du soutien à Al- Qaida. Ils sont conscients que l’environnement international autour d’eux a changé. Ils comprennent également que la position de l’Afghanistan dans la confrontation des intérêts régionaux revêt une importance particulière leur offrant des marges de manœuvres conséquentes dans l’exploitation de la tension entre les Etats Unis d’Amérique, la Russie, la Chine et l’Iran. Ils appréhendent ainsi correctement l’intérêt de la diversification de leurs partenariats, les implications d’un retour pur et simple en arrière et l’importance de ne pas placer l’ensemble de leurs œufs dans le panier d’Islamabad.
La condition du changement des talibans
Depuis plus deux ans, Qatar joue les intermédiaires pour faire aboutir les négociations entre les talibans et Washington. Doha semble bien avoir réussi cette mission en dépit des déclarations américaines, sur l’imprévisibilité feinte de l’effondrement rapide de l’armée afghane et des appareils sécuritaires de Kaboul.
Un point de vue, courant, avance que le retrait des Etats Unis s’explique par un changement de leurs stratégies. Cette analyse veut que les talibans sont désormais une carte entre les mains de Washington dont il va se servir dans la gestion de la confrontation dans la région sans avoir à en supporter l’énorme cout financier et le grand poids logistique. A cette fin, les Américains engageraient des discussions directes avec les talibans pour réaliser leurs objectifs dans la région sans toutefois leur offrir la reconnaissance internationale pour garder le mouvement dans sa sphère de pression. Cette analyse omet toutefois de tenir compte des cartes dont dispose le mouvement des talibans qui peut à son tour fructifier ses relations avec Washington pour faire aboutir ses enjeux et une partie de ceux de ses alliés dans la région qui lui ont fourni aide et soutien.
Pour l’instant et au vue des données disponibles, une juste appréciation de la situation ferait ressortir que les transformations, présentes ou attendues, ne seraient pas uniquement le produit de l’engagement dans le tout politique et de l’exercice de l’autocritique de la gouvernance précédente des talibans. Mais aussi la résultante des alliances conclues récemment et des engagements pris avec leurs partenaires. De ce fait, il faut écarter un changement à court et moyen termes dans les positions actuelles des talibans pour la simple raison que la réalisation d’une partie des objectifs espérés est tributaire de la stabilisation de leurs alliances et de leur statue. En définitive ce sont les changements qui interviendront sur leur place dans le contexte régional et international qui conditionneront dans le futur leurs positions.