La résistance désespérée des Afghanes, chroniquée dans un documentaire poignant

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Malala Yousafzai, militante de l'éducation et productrice, et la réalisatrice Sahra Mani (à droite) à la première de « Bread and Roses » au Hammer Museum de Los Angeles, le 14 novembre 2024. (Photo de Robyn Beck / AFP)

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Un témoignage rare, filmé smartphone au poing, au cœur de l'arbitraire du gouvernement taliban: "Bread & Roses", documentaire sur le calvaire des femmes afghanes, est le genre de films dont on ne ressort pas intact.

Soutenu par l'actrice Jennifer Lawrence ("Hunger Games") et la prix Nobel de la paix Malala Yousafzai, ce long-métrage immerge le spectateur dans l'asphyxie quotidienne subie par la moitié de la population en Afghanistan, depuis le retrait des troupes américaines et le retour au pouvoir des talibans.

"Lorsque Kaboul est tombée en 2021, toutes les femmes ont perdu leurs droits fondamentaux. Elles ont perdu le droit d'être éduquées et de travailler", a rappelé jeudi à l'AFP Jennifer Lawrence à Los Angeles, venue promouvoir ce film qu'elle a aidé à produire. "Leur vie a été complètement bouleversée du jour au lendemain."

Présenté à Cannes en mai 2023, ce documentaire réalisé par la cinéaste afghane Sahra Mani sort sur Apple TV+ le 22 novembre.

Après la chute de Kaboul, la réalisatrice exilée a joint une dizaine de femmes restées sur place et leur a appris à se filmer avec leur téléphone, pour documenter leur résistance.

Il en ressort un film bouleversant, où les destins entrecroisés de trois Afghanes reflètent la déchéance des femmes du pays.

"Enorme silence" 

On rencontre ainsi Zahra, une dentiste dont le cabinet est menacé de fermeture par les autorités talibanes, soudainement propulsée en cheffe de file des manifestations contre le pouvoir.

Puis Sharifa, une ex-fonctionnaire privée d'emploi et cloitrée chez elle, réduite à étendre le linge sur son toit pour avoir une bouffée d'air frais.

Et enfin Taranom, militante en exil au Pakistan voisin, qui regarde avec impuissance sa patrie s'enfoncer dans l'obscurantisme.

"Les restrictions sont de plus en plus sévères", regrette auprès de l'AFP Mme Mani, en dénonçant "l'énorme silence" de la communauté internationale. Pour la cinéaste, "les femmes afghanes n'ont pas reçu le soutien qu'elles méritaient".

Depuis leur retour au pouvoir, les talibans ont instauré un "apartheid de genre" en Afghanistan, selon la terminologie de l'ONU.

Les femmes sont progressivement effacées de l'espace public: actuellement, les Afghanes ne peuvent plus étudier au-delà du primaire, aller dans les parcs, les salles de sports, les salons de beauté, ni quasiment sortir de chez elles sans chaperon.

Une récente loi leur interdit même de chanter ou déclamer de la poésie en public. Tout cela au nom d'une application ultra-rigoriste de la loi islamique.

"Les talibans prétendent représenter la culture et la religion (de l'Afghanistan), alors qu'ils ne sont qu'un petit groupe d'hommes qui ne représentent pas la diversité du pays", a déclaré à l'AFP Malala Yousafzai, productrice exécutive du film.

"L'islam n'interdit pas à une fille d'apprendre, l'islam n'interdit pas à une femme de travailler", rappelle cette militante pakistanaise, que les talibans pakistanais - un groupe distinct des talibans afghans, mais à l'idéologie similaire - avaient tenté d'assassiner lorsqu'elle avait 15 ans.

Bravoure inouïe 

Tourné pendant un an après la chute de Kaboul, le documentaire capture des moments d'une bravoure inouïe.

"Vous avez fermé les universités et les écoles, vous feriez aussi bien de me tuer!", lance ainsi une manifestante à un taliban qui la menace lors d'une manifestation.

Rythmés par le slogan "Travail, pain, éducation !", ces rassemblements de femmes sont méthodiquement écrasés par les autorités. Les manifestantes sont battues, certaines sont arrêtées, d'autres kidnappées.

Petit à petit, la résistance se fait plus discrète, sans pour autant s'éteindre: certaines Afghanes tentent aujourd'hui de s'éduquer grâce à des cours clandestins.

Trois ans après l'arrivée au pouvoir des talibans, leur gouvernement n'est officiellement reconnu par aucun pays.

Les diplomaties internationales protestent régulièrement contre le sort qu'ils réservent aux femmes, sans grand effet.

Dans la foulée de l'élection de Donald Trump, les dirigeants afghans ont fait savoir qu'ils espéraient "ouvrir un nouveau chapitre" dans les relations entre Kaboul et Washington.

Mais renoncer à défendre les droits des Afghanes serait une grave erreur, selon Sahra Mani. Car moins les femmes afghanes sont éduquées, plus leurs fils seront vulnérables à l'idéologie de ceux qui avaient accueilli les membres d'Al-Qaïda responsables des attaques du 11 septembre 2001.

"Si nous payons le prix aujourd'hui, vous risquez de payer le prix demain", lance la cinéaste à destination des Américains et des Européens. "Les talibans continuent de prouver qu'ils restent les mêmes." (AFP)