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Tunisie : Kaïs Saïed aussi autocrate que Ben Ali, le populisme en plus – Par Assia Makhlouf

Le durcissement du régime rappelle des pratiques bien connues des
Avec une peine de 34 ans infligée à l’ancien Premier ministre Ali Laarayedh, le régime de Kaïs Saïed franchit une nouvelle étape dans l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Entre procès-spectacles et répression ciblée, la Tunisie post-2011 renoue, écrit Assia Makhlouf, avec ses vieux démons autoritaires, malgré les promesses révolutionnaires
De la lutte contre le terrorisme à l'épuration politique
Finie la Tunisie berceau de la démocratie arabe. L’exception qui confirmait la règle. Le 3 mai 2025, un tribunal pénal de Tunis a condamné Ali Laarayedh, ancien Premier ministre et figure du parti islamiste Ennahdha, à 34 ans de prison pour « appartenance à une organisation terroriste » et « facilitation de l’envoi de jihadistes » vers la Syrie et l’Irak, signe et persiste la fin d’un rêve. Ce verdict s’inscrit dans une série de procès politiques engagés sous la présidence de Kaïs Saïed, qui depuis son coup de force en juillet 2021 – suspension du Parlement, révocation du gouvernement, prise du pouvoir judiciaire – a progressivement démantelé les acquis démocratiques de la transition tunisienne.
Depuis l’arrestation de Laarayedh en décembre 2022, son comité de défense dénonce un dossier « vide de preuves », motivé par une logique l’épuration politique ciblant l’ex-parti majoritaire Ennahdha, devenu le bouc émissaire de la dérive autoritaire en cours. Le procès, selon ses avocats, s’est tenu dans des conditions opaques, sans accès à des données officielles sur les jihadistes tunisiens partis en Syrie, et sans possibilité de faire témoigner des responsables de l’époque.
Le cas Laarayedh n’est pas isolé : plusieurs anciens ministres, députés et figures de l’opposition, y compris Rached Ghannouchi, chef historique d’Ennahdha, ont été arrêtés, assignés à résidence ou interdits de voyage. Ces mesures visent à réduire au silence les contre-pouvoirs politiques sous couvert de sécurité nationale, un discours utilisé pour justifier la répression judiciaire.
Kaïs Saïed sur les traces de Ben Ali
Ce durcissement rappelle des pratiques bien connues des Tunisiens : sous Bourguiba, les procès politiques étaient fréquents, souvent à huis clos, utilisés pour neutraliser les syndicats, l’opposition de gauche ou les islamistes. La répression s'intensifie sous Ben Ali, qui dès 1987 impose un système de surveillance généralisée, de torture en prison et de condamnations arbitraires, notamment contre Ennahdha dont plusieurs membres – dont Ali Laarayedh – sont emprisonnés pour de longues années.
Avec Kaïs Saïed, l’histoire semble boucler la boucle. Après une décennie démocratique post-2011 marquée par une liberté d’expression sans précédent, la Tunisie replonge dans un système personnalisé et répressif, où la justice devient un bras armé de l’exécutif. À la différence de ses prédécesseurs, Saïed ne s’appuie sur aucun parti, mais gouverne par décrets et référendums, en diabolisant les institutions élues et les élites politiques.
La situation actuelle révèle l’échec du processus transitionnel, incapable d’ancrer l’indépendance de la justice ni de réformer profondément les institutions sécuritaires. L’invocation de la lutte contre le terrorisme, bien que légitime, ne peut masquer une instrumentalisation de l’appareil judiciaire, qui inquiète autant les ONG que les partenaires internationaux de la Tunisie.