Emicida, le rappeur brésilien qui mise sur ''la force des rencontres''

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Photo non datée fournie le 8 décembre 2020 par Netflix du rappeur brésilien Emicida, à Sao Paulo

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Engagé et charismatique, le rappeur brésilien Emicida est devenu une figure qui compte de la culture brésilienne, fusionnant les rythmes et travaillant inlassablement pour mettre en valeur la diversité d'un pays aux inégalités béantes.

"Ce qui caractérise la société brésilienne, ce sont les rencontres, malgré toutes les tragédies, toute la barbarie", dit ce jeune homme noir de 35 ans, qui a grandi dans un quartier pauvre de Sao Paulo.

Né Leandro Roque de Oliveira, son nom de scène est un condensé de "MC" (rappeur) et d'"homicide". 

Coupe afro, collier de barbe et lunettes rondes à fines montures, il est toujours souriant, mais reste militant jusqu'au bout des ongles.

Artiste multi-facettes, Emicida est également écrivain, chroniqueur de télévision, et a même lancé une griffe de mode avec son frère.

Son univers est présenté dans le documentaire "Amarelo, hier et maintenant", lancé récemment sur Netflix.

Le fil rouge est un concert du rappeur à l'opéra municipal de Sao Paulo, traditionnellement réservé aux élites, avec de nombreux spectateurs invités venus des favelas, en novembre 2019.

"Les plus beaux symboles du Brésil sont issus de rencontres : la samba, notre gastronomie, tout notre art. J'utilise la force des rencontres pour remettre en cause les piliers oppresseurs sur lesquels notre histoire est bâtie", poursuit Emicida, qui a enregistré de nombreux titres avec des grands noms de la samba.

Racisme "sophistiqué" 

Le documentaire montre aussi comment la population noire du Brésil a résisté à cette oppression, à travers l'art, mais aussi la mobilisation des mouvements sociaux.

C'est sur le parvis de ce même opéra municipal qu'a eu lieu la première grande manifestation du Mouvement noir unifié (MNU), en pleine dictature militaire.

La question raciale a toujours été centrale dans les paroles d'Emicida, qui a aussi écrit plusieurs livres pour enfants sur l'importance de la diversité et de la représentativité. 

"Le Brésil a créé un mythe selon lequel le racisme n'existe qu'aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud, mais en fait, il y a bien un racisme brésilien, et il est très sophistiqué et létal", explique-t-il.

Une allusion à des déclarations récentes du président Jair Bolsonaro, qui a nié toute existence du racisme après la mort d'un homme noir roué de coups par des vigiles blancs, sur le parking d'un supermarché Carrefour à Porto Alegre, fin novembre.

Le dirigeant d'extrême droite a mis en avant le "métissage" du Brésil et a fustigé "ceux qui veulent semer le conflit et la discorde" en tentant "d'importer" dans son pays des "tensions" raciales "qui ne font pas partie de son histoire".

Pour Emicida, les Brésiliens sont fiers de leur métissage au moment d'évoquer la samba ou le carnaval, "mais personne ne dit rien quand on voit que presque tous les juges sont blancs".

"Super-pouvoirs"

Le Brésil, dernier pays du continent américain à avoir aboli l'esclavage, en 1888, est le pays comptant la plus grande population noire hors d'Afrique.

Plus de 55% des 212 millions d'habitants sont noirs ou métis, mais ils représentent 75% des victimes de meurtres et seulement 5% des cadres de grandes entreprises.

La population noire est aussi plus vulnérable face à la pandémie de Covid-19, qui a fait plus de 187.000 morts au Brésil, avec une gestion chaotique du gouvernement et un président minimisant sans cesse la gravité du virus.

"S'ils n'arrivent pas à produire une analyse cohérente sur ces plus de 180.000 morts, comment on peut espérer une analyse plus intelligente sur un sujet encore plus complexe comme le racisme ?", lance Emicida. "Ce n'est pas par hasard que la culture a subi autant d'attaques de Bolsonaro, qui veut nous vider de notre substance et nous épuiser en maintenant le chaos", accuse-t-il.

Mais Emicida voit tout de même une lueur d'espoir, grâce "aux super-pouvoirs du peuple brésilien, qui trouve toujours une solution, parfois miraculeuse".

Père de deux filles, de 2 et 10 ans, il cultive l'optimisme avec le même soin avec lequel il arrose son potager, comme le montrent plusieurs séquences du documentaire.

"Je veux convaincre les gens que tout est possible et qu'ils doivent se connecter les uns avec les autres", conclut-il.