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L'ADMINISTRATION BIDEN ET LA DÉMOCRATIE - Par Mustapha Sehimi
Au cours de l'année d'action 2022, le gouvernement américain a proposé de nouvelles approches pour faire face aux menaces critiques, anciennes et émergentes, à l'intégrité des élections dans le monde. L'USAID a réuni 25 organisations internationales, intergouvernementales, agences de développement et réseaux électoraux pour mettre en place le Réseau mondial pour la sécurisation de l'intégrité électorale
L'administration américaine a une approche particulière de la démocratie dans le monde. En décembre 2021, elle avait ainsi organisé le premier Sommet pour la démocratie. Un rendez-vous qui avait réuni les Etats-Unis et plus de 100 gouvernements partenaires dans le monde.
A l'ordre du jour des mesures significatives pour des démocraties plus résilientes, la lutte contre la corruption et la défense des droits humains. Vaste programme ! Un deuxième Sommet s'est tenu, voici trois semaines, les 29-30 mars, avec un élargissement aux dirigeants du Costa Rica, des Pays-Bas, de la Corée du Sud et de la Zambie. Un groupe diversifié donc témoignant de l'universalité du souhait d'une gouvernance responsable, transparente et respectueuse des droits.
L'évaluation des progrès accomplis sur la base des engagements pris a été faite; d'autres ont été avec des initiatives. Il s'agit de réaffirmer le rôle central des institutions démocratiques pour la prospérité, la préservation de la liberté et l'efficacité de l'action collective. L'année écoulée avait été baptisée" l'année de l'action" sur la base d'un référentiel de près de 750 engagements. Des consultations intergouvernementales avec la participation de groupes démocratiques multipartistes avaient été organisées sur de nombreux thèmes : technologie, liberté des médias, lutte contre la désinformation, engagement des jeunes, transparence et intégrité financière, égalité entre les genres et participation politique des femmes. Washington veut montrer que la démocratie peut encore fonctionner ; qu'elle contribue à améliorer les conditions de vie des citoyens ; et qu'elle peut permettre de relever les grands défis de l'époque.
Cinq piliers
Cette initiative présidentielle s'articule autour de cinq piliers. Le premier a trait au soutien à des médias libres et indépendants. Cela passe par une meilleure information du public. L'USAID a ainsi investi 20 millions de dollars dans le Fonds international pour les médias d'intérêt public (IFPIM). Une centaine de médias de 17 pays ont pu en bénéficier. Il est aussi prévu le lancement de Reporters Mutual d'assistance des journalistes, des militants de la société civile et de leurs organisations contre les poursuites judiciaires. Autre axe : la lutte contre la corruption. Celle-ci fait peser une menace majeure sur une gouvernance transparente et responsable. Il est prévu dans cette même ligne l'appui aux agents de changement contre la corruption; un premier coordinateur de la lutte mondiale contre la corruption a été nommé par le Département d'Etat. Le 2 novembre dernier, 1'USAID a lancé un programme "Strenghening Transparency and Accountability through Investigative Reporting (STA) " 20 millions de dollars a été budgétée pour soutenir les réseaux de journalisme d'investigation collaboratif. Un programme connexe vise à promouvoir l'innovation et le partenariat pour lutter contre la corruption. Il s'agit d'identifier et de développer des réponses technologiques de nature à prévenir les problèmes de corruption et à y remédier.
Des solutions ont été étudiées pour accroître la transparence de l'aide étrangère, réduire la corruption dans le cadre des projets de secours en cas de catastrophe et évaluer les risques de corruption liés au transport maritime. Avec la loi sur la transparence des entreprises (CTA), le département du Trésor dispose d'un dispositif de contrôle. Il est ainsi exigé que certaines sociétés constituées ou opérant aux Etats-Unis déclarent des informations sur les bénéficiaires effectifs correspondants. De quoi empêcher les acteurs illicites de dissimuler les produits de la corruption derrière des sociétés anonymes aux Etats-Unis. Il est prévu à cet égard une réglementation particulière visant à limiter la capacité des acteurs illicites à anonymiser leurs achats immobiliers. Le gouvernement américain fait progresser les normes et mesures anti-corruption par le biais du Groupe d'action financière (GAFI) du G7 et du G 20 ainsi que par celui du Réseau opérationnel mondial des services de détection et de répression de la corruption (Globe Network). En 2020, Washington a mobilisé un financement collectif de 258 millions de dollars à des programmes d'aide étrangère anti-corruption. Un programme spécifique a porté sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, en réponse à l'invasion de l'Ukraine depuis le 24 février 2022. Plus de 30 milliards de dollars d'actifs appartenant à des Russes sanctionnés, notamment leurs biens immobiliers et leurs yachts.
Avec le soutien aux réformateurs démocrates, c'est un autre axe pris en compte par Washington. Le souci est de faire progresser la justice et l'équité raciale et la justice; de protéger et de faire progresser les droits humains des personnes: de soutenir les militants, les travailleurs et les dirigeants réformateurs; de défendre la démocratie en Europe et en Eurasie. Une politique déployée aussi - c'est le quatrième axe - autour de la promotion de la technologie pour la démocratie (endiguement de la vague d'autoritarisme numérique, régulation d'Internet et des technologies émergentes,...), Partenariat mondial pour l'action contre le harcèlement et la violence en ligne basés sur le genre.
Élections libres et équitables
Avec le dernier axe, l’on a affaire à la défense d'élections libres et équitables et de processus politiques inclusifs. Partout dans le monde, l'exercice du droit de vote lors d'élections libres et équitables est confronté à des défis croissants, notamment la manipulation et la violence électorale, les cyberattaques, la désinformation et les obstacles à la participation politique des populations systématiquement marginalisées. Au cours de l'année d'action 2022, le gouvernement américain a proposé de nouvelles approches pour faire face aux menaces critiques, anciennes et émergentes, à l'intégrité des élections dans le monde. L'USAID a réuni 25 organisations internationales, intergouvernementales, agences de développement et réseaux électoraux pour mettre en place le Réseau mondial pour la sécurisation de l'intégrité électorale, qui a été officiellement lancé à la fin de 2022. Aux États-Unis, le budget de l'exercice 2023 du président Biden a proposé le plus grand investissement jamais effectué dans l'infrastructure électorale américaine. Il prévoit en particulier 10 milliards de dollars pour permettre aux circonscriptions étatiques et locales qui administrent les élections d'investir à long terme dans l'équipement, les systèmes et le personnel électoraux. Le budget propose également 5 milliards de dollars pour financer l'expansion de la capacité de distribution des services postaux dans les zones mal desservies et la facilitation du vote par correspondance, notamment grâce à des bulletins de vote préaffranchis et à la réduction du coût des autres courriers liés aux élections pour les juridictions et les électeurs. Les agences fédérales mettent en œuvre le décret présidentiel du président Biden sur la promotion de l'accès au vote, l'utilisation des ressources du gouvernement fédéral pour fournir des informations sur le processus électoral et l'accès accru des électeurs à des opportunités d'inscription sur les listes électorales. En mai dernier, le département de l'Intérieur est entré dans l'histoire en tant que première agence fédérale désignée par la loi sur l'inscription nationale des électeurs lorsqu'il a accepté la demande des États d'aider les Américains à s'inscrire sur les listes électorales lors de leur inscription pour d'autres services gouvernementaux. Par la suite, le département des Anciens combattants a annoncé un partenariat similaire avec trois États. Enfin, il faut évoquer la lutte contre la violence motivée par la haine. En septembre, le président Biden a organisé le sommet United We Stand à la Maison-Blanche, au cours duquel le gouvernement fédéral et d'autres secteurs de la société se sont engagés à prendre des mesures pour lutter contre la violence motivée par la haine qui menace la sécurité publique et la démocratie.
Du volontarisme, sans doute. Des moyens mobilisés aussi. Reste cette équation : comment modeler les comportements dans un système se voulant démocratique ? La pratique institutionnelle, le vécu et le ressenti des citoyens ne sont-ils pas bien distanciés par rapport à ce discours politique et idéologique ?