International
L'ISLAMOPHOBIE REVISITEE...
La transversalité sociale et politique de l'hostilité à l’Islam fait de ce phénomène un cas à part de l'expression du rejet de l'Autre.
Difficile de le nier : l'islamophobie est là, quelque peu virale même... Il y a de plus en plus en effet d'hostilité à l'encontre des musulmans, souvent au quotidien. Les discours stigmatisant des uns et des autres se conjuguent avec des pratiques discriminatoires, voire même des agressions physiques. Voilà qui tourne le dos à tel discours - notamment "made in UNESCO "- sur le dialogue des religions, la tolérance, la mutuelle et féconde compréhension des peuples. Et des cultures et des civilisations.
Il y aurait évidemment beaucoup à dire à cet égard. Et pour commencer, ceci : la disqualification du terme d’islamophobie ; ce qui participe déjà à nier l'existence même du phénomène. Le déni donc. Ce n'est pas neutre tant il est vrai qu'il met en cause la responsabilité d'acteurs et d'élites propageant une certaine perception de l'Islam et des musulmans. L'extrême-droite et bien des mouvements nationalistes en France, en Europe et ailleurs, ont ainsi trouvé de nouvelles opportunités politiques et électorales dans la construction et l'instrumentalisation de ce qui est baptisé le "problème musulman". De ce point de vue, l'islamophobie est en quelque sorte une "aubaine» ; elle va plus loin que les limites inhérentes à une xénophobie et à un racisme brutal politiquement démonétisés ; elle s'emploie à tenter de s'affranchir d'un antisémitisme impopulaire et combattu par une conversion à la lutte contre la menace islamiste" ou encore le "communautarisme" ou l'islamisation". Le prétexte mis en avant ? Celui de la défense de la nation, de la sauvegarde des valeurs telles la laïcité et l'égalité des sexes.
Dans le champ social, bien des différences de principes se retrouvent sans doute ; entre les différents espaces partisans et politiques, mais il n'y pas une coupure idéologique nette pour ce qui concerne la question de l'islam. Et la transversalité sociale et politique de l'hostilité à cette religion fait de ce phénomène un cas à part de l'expression du rejet de l'Autre. Rien d'étonnant dans ces conditions que ressurgisse la problématique d'une "nouvelle laïcité". Alors qu'elle est un instrument de reconnaissance de tous les cultes et d'émancipation des individus, la voilà qui se transforme, par touches et couches successives en un marqueur. Et en outil d'exclusion.
Il faut revenir, ici, sur les modalités et les effets de construction de l'islamophobie. Que des phénomènes sociopolitiques se rapportent à l'islam", n'est guère contestables. Un radicalisme politique, le recours à la violence ou le terrorisme, la coupure avec une contre-société ne sont pas fabriqués par cette religion mais constituent autant d'illustrations d'une instrumentalisation politique de la religion. De là à reprendre à bon compte la démarche d'idéologues et d'experts qui promeuvent une lecture racialo-religieuse de ce que l'on pourrait appeler l'agir musulman, il y a un monde.
Expliquer un fait social ... par un fait social, autrement dit par des facteurs historiques, économiques, sociaux, politiques : voilà le recadrage à faire. Il faut en effet laisser de côté une supposée "essence» religieuse des faits observés et s'interroger sur le sens du recours à la références particulière de l’exercice "politologique" ou sécuritaire : celles qui s’emploient à légitimer l’alarmisme politique dominant sur l’islam en réduisant les musulmans, leurs désirs, leurs aspirations et leurs pratiques individuelles ou collectives à un agir strictement "religieux ". Il semble nécessaire dans cette même ligne de ne pas minorer la pluralité et la complexité des pratiques sociales dont sont porteurs les musulmans. C'est une miniaturisation du «musulman" - comme celle de l'"immigré" ou du "beur"- qui est la charpente des fondements de l'islamophobie,
L'islamophobie demeure largement dans un enclos éditorial et politique. Les mêmes esprits et les mêmes plumes ont en fait un domaine réservé, un fonds de commerce bénéficiant d'une surmédiatisation sur les plateaux de télévision – les auteures musulmans et il en est de bien capés…- ne sont généralement ni invités ni associé. La logique du déni demeure. Il s'agit de dénoncer les incantations contre "islamophobie". Un Gilles Kepel, islamologue institutionnel connu avance même que l'usage du concept d'islamophobie ne servirait qu’à "construire» des positions de pouvoir dans le champ intellectuel" ou encore "religieux" afin de mobiliser des soutiens politiques sur une base identitaire à l'occasion des échéances électorales" - il précise même que c’est "une posture victimaire" (Le Monde, 1er novembre 2013). Affligeant.
La terminologie "islamophobie" présente de nombreux atouts et ce dans le perspective de la lutte contre les discriminations. Ce terme a en effet un fort potentiel évocateur : il est incisif et explicite : il rend visible un phénomène grave, condamnable ; il vient mettre en relief un racisme latent. Il met à nu un phénomène imperceptible, se dissimulant peu ou prou derrière le principe de la liberté d'expression. Il permet de désigner une idéologie hostile aux musulmans, perceptible et identifiable au-delà d'actes antimusulmans factuels.
Enfin, s'il arrive que l'islamophobie soit reconnue, i1 reste que la politique sécuritaire en Europe et ailleurs participe à la suspicion généralisée à l'encontre des présumés musulmans ; ils sont ainsi interpellés pour leur silence dans la défense des valeurs républicaines. La violence est présentée comme le symptôme d'une maladie de "l’islam", selon l’expression d'Abdelwahab Meddeb; sa guérison résiderait dans l'administration d’un traitement de choc avec une forte médication de laïcité. Un cadrage néolaïque. Une forme puissante de culturalisme. Une occultation des véritables raisons de la violence politique. Un legs qui remonte loin dans l’histoire : anti-orientalisme, colonisation, immigration postcoloniale, méconnaissance de l'Islam, ...