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Que sait-on du Hamas ? Deuxième partie : Le Hamas en charge de Gaza – Par Mohamed Chraibi
Un homme inspecte le corps d'un parent qui a été tué lors d'un bombardement israélien la nuit précédente, alors qu'il repose avec d'autres à l'hôpital al-Najar à Rafah dans le sud de la bande de Gaza le 26 mars 2024. (Photo par MOHAMMED ABED / AFP)
Dans la première partie de cet article, Mohamed Chraibi s’est penché sue la Genèse de Hamas, parle des accords d’Oslo au retrait israélien de la Bande de Gaza, avant d’aborder la victoire de Hamas aux élections de 2006 et ses conséquences. Dans cette deuxième et dernière partie
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Peu à peu, au cours des 14 années suivant les élections de 2006, le Hamas a consolidé son emprise sur l'enclave côtière. Il plut alors à certains de croire que le Hamas, ayant mis en veilleuse la résistance armée, se complaisait dans son statut de pseudo-gouvernement d’un état croupion assiégé de tous côtés et bombardé à l’occasion. Un quart de son premier cabinet élu étaient des diplômés d’universités américaines. « Ils étaient autoritaires, mais ils étaient assez intelligents pour tromper l'Ouest dans la façon dont ils ont géré la situation». Ils s’appliquèrent à limiter le pouvoir des clans traditionnels de Gaza, à réprimer la dissidence et faire respecter la loi. Le Hamas n'a jamais institué la charia, malgré la pression de certains partisans du mouvement. « Des mesures islamistes ont été tentées puis retirées lorsque les citoyens s'y opposaient. En 2009, lorsque les salafistes alignés sur al-Qaïda ont déclaré l’État islamique dans le sud de la bande de Gaza, les forces du Hamas les ont violemment réprimés lors d'un assaut sur une mosquée de Rafah »
En même temps, le Hamas a développé son système sophistiqué de tunnels (voir : les tunnels de Gaza…dans quid.ma) pour contourner les conditions difficiles du blocus, et pour protéger ses combattants des frappes aériennes israéliennes. En particulier, les tunnels reliant Gaza à l'Égypte sont devenus la bouée de sauvetage économique du territoire assiégé et un canal pour la contrebande d'armes. Selon une estimation, au milieu des années 2010, les recettes du trafic à travers les tunnels ont fourni au Hamas environ 750 millions de dollars par an.
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Mais cela n'a pas été suffisant pour empêcher ce que la politologue américaine Sara Roy a appelé le "dé-développement de Gaza". Alors que les premières années du régime du Hamas ont connu une certaine croissance économique, entre 2007 et 2022 le PIB réel par habitant a diminué au taux de 2,5 % par an, à mesure que la population augmentait rapidement laissant craindre la perspective d’une crise humanitaire.
Israël et le Hamas. Je t’aime, moi non plus.
Depuis 2007 et jusqu'au 7 octobre, le Hamas et Israël ont développé un modus operandi de gestion de leur difficile relation: Le tir de roquettes du Hamas en provenance de Gaza est devenu un moyen de négocier avec Israël. De même que les représailles israéliennes qui s’ensuivaient. En échange de l'arrêt des tirs de roquettes (plus gênants pour Israël que dangereux), le Hamas demanderait à assouplir les restrictions du blocus ou des permis de travail en Israël pour un plus grand nombre de travailleurs palestiniens. À son tour, Israël procéderait à des frappes aériennes et des bombardements - "tondre la pelouse" dans le jargon militaire israélien- jusqu’à ce qu'il puisse prétendre avoir suffisamment "dissuadé" le Hamas d’attaquer son territoire, en attendant l’attaque suivante.
Pour Israël, le Hamas est devenu utile en tant que partenaire, chargé d’assurer les besoins de base de la population de Gaza assiégée et de contenir les activités d'autres groupes militants armés, tout comme l'Autorité Palestinienne le fait en Cisjordanie. En contrepartie, le Hamas a maintenu son image de résistance indomptée à Israël.
Pour Netanyahu, cet arrangement avait aussi l’avantage du « diviser - Hamas contre AP- pour régner ». L’appui de Netanyahu au Hamas ira jusqu’à faciliter le transfert de milliards de dollars du Qatar au groupe islamiste, considéré comme un atout inestimable pour empêcher la création d'un État palestinien. Cette conviction est exprimée dans la fameuse déclaration de Netanyahu « qui veut la pérennité d’Israël, doit aider Hamas » (déclaration souvent citée notamment par Haaretz et jamais démentie). Jusqu’au 7 octobre, la perception du Hamas comme partenaire œuvrant dans l’intérêt d’Israël était partagée par la classe politique au pouvoir depuis vingt ans.
A la lumière des événements du 7 octobre et des représailles qui s'ensuivent il est devenu clair que la politique d'Israël à l'égard du Hamas s’est construite sur une contradiction. D'une part, Israël justifiait son blocus punitif et son bombardement périodique de Gaza au motif que le Hamas était un groupe terroriste qui cherche la destruction d'Israël. D'autre part, dans ses relations réelles avec le Hamas, Israël se comportait comme si le Hamas avait abandonné non seulement son engagement à détruire Israël, mais toute vision alternative à l'occupation, et serait satisfait de gérer Gaza à perpétuité.
Il est tout aussi clair que Hamas voyait les choses autrement : Au lieu de se concentrer sur les périodes d’entente apparente il faut, selon ses dirigeants, se concentrer sur les explosions de violence (2008-2009, 2012, 2014, 2021) qui les séparent. Il y a eu des trêves mais jamais de paix. C’est ce que Israël vient enfin de réaliser. L’attaque du 7 octobre a été en gestation pendant des années, sinon depuis toujours.
« Alors que la guerre se poursuit, les analystes politiques israéliens soutiennent de plus en plus que la rhétorique belliqueuse et maximaliste des dirigeants du Hamas devrait être prise au pied de la lettre - que lorsqu'ils s'engagent à se battre jusqu'à ce qu'Israël soit détruit, ils le pensent. Une des principales raisons de l'échec colossal de l'armée israélienne le 7 octobre était que les agences de renseignement et, surtout les dirigeants politiques du pays, ont oublié la nature de leur ennemi et n'ont pas pris note des multiples menaces publiques émises par les dirigeants du Hamas selon lesquelles une opération armée massive contre Israël était en cours. Aux yeux de la plupart des Israéliens, tout semblant de paix ne sera possible que lorsque le Hamas n'existera plus »
Aujourd'hui, comme il y a 30 ans, le Hamas tire une grande partie de sa popularité du désespoir palestinien. «Une enquête menée en décembre 2023 par le sondeur palestinien Khalil Shikaki a révélé que 72 % des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie croient que le Hamas a eu raison de lancer les attaques du 7 octobre, malgré la destruction qu'Israël a déclenchée »(4)
La question du jour est si, comme beaucoup le croient, le Hamas reste une force au lendemain de l'arrêt des combats en cours depuis le 7 octobre, sous quelle forme et avec quelles conséquences ?
(4) 5 mois après le début de la guerre, les résidents de Cisjordanie et de Gaza approuvent l'attaque du Hamas. Haaretz 24/3/2024. L'article souligne que le taux d'approbation des gazaouis est passé de 57% il y a 3 mois à 71%.