Rage et larmes dans un hôpital après une nouvelle explosion meurtrière au Liban

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L'entrée des urgences de l'hôpital Geitawi de Beyrouth où sont conduits des victimes de l'explosion d'une citerne essence à Tiel, le 15 août 2021 au Liban

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A l'entrée de l'hôpital Geitawi, des dizaines de personnes en larmes ou en colère attendent des nouvelles ou de pouvoir voir pour une dernière fois leurs proches, hospitalisés entre la vie et la mort après une nouvelle explosion meurtrière au Liban.

Sawssan Abdallah explose en sanglots lorsqu'un médecin sort lui annoncer que son fils Naji Omar est dans un état critique. 

Grièvement brûlé dans l'explosion d'une citerne d'essence ayant fait au moins 28 morts et des dizaines de blessés dimanche avant l'aube dans un village de la région septentrionale du Akkar, ce militaire de 22 ans a été transporté d'un hôpital à l'autre avant d'arriver à Beyrouth. 

"Vous m'aviez dit qu'il n'avait rien ! Je veux le voir, c'est mon fils unique !", crie à plein poumons cette mère éplorée avant de s'effondrer, alors que des proches tentent en vain de la calmer. 

"Il cherchait de l'essence pour pouvoir aller à son travail, pour servir sa patrie", dit-elle à l'AFP.    

"C'est un Etat failli, qui n'aime ni son peuple, ni ses soldats (...)", renchérit cette mère de deux enfants, qui a perdu son mari, également militaire, dans des combats en 2000.   

Assise près d'elle, sa fille Sandy, 26 ans, impute le drame à l'incurie de la classe dirigeante, accusée par la rue de corruption et de laisser couler le pays.    

"Tous sont responsables, sans exception. Que Dieu leur brûle le coeur", s'emporte la jeune femme. "Je n'ai que ce frère, il est mon seule soutien". "J'ai perdu mon père à l'âge de cinq ans". 

"Criminels" 

A la porte menant vers les Urgences et les soins intensifs, des médecins, des infirmiers et un agent de police tentent d'empêcher des parents à bout de nerfs qui cherchent à voir leurs proches hospitalisés. 

"Que vais-je dire à ma sœur ?", crie, en se débattant, un homme en treillis militaire. Son beau-frère est toujours porté disparu et son frère hospitalisé. "Ils sont criminels !", hurle-t-il en sanglots, en allusion aux dirigeants du pays.  

A l'aube, ce soldat a dû quitter dans l'urgence son lieu de travail dans le sud du pays et accouru à l'hôpital à Beyrouth "en autostop", faute d'essence dans sa voiture, raconte-t-il, alors que le pays en plein effondrement économique, connait des pénuries inédites de carburants. 

A ses côtés, sa sœur Marwa el-Cheikh, 33 ans, tente difficilement de retenir ses larmes. "Notre beau-frère a quatre enfants, l'aîné a seulement cinq ans. On ne sait pas s'il est mort ou s'il est en vie", dit-elle, le ton incrédule. 

Certaines dépouilles, fortement carbonisées, sont "méconnaissables", ajoute-t-elle, la voie enrouée. "Il faudra attendre les tests d'ADN".  

Son frère, brûlé aux jambes, aux bras et au dos, a été transporté dans la nuit à ce même hôpital Geitawi, l'un des rares disposant d'une section pour les grands brûlés. "Nous l'avions allongé sur la banquette arrière de la voiture. Je ne sais pas comment il a supporté la douleur" durant le long trajet jusqu'à Beyrouth.  

"Heureusement que nous avions de l'essence", affirme Marwa.   

L'explosion au Akkar a avivé le souvenir macabre de celle du port de Beyrouth ayant fait plus de 200 morts et dévasté des quartiers entiers de la capitale il y a un an, mais a aussi alimenté la colère contre des dirigeants de plus en plus voués aux gémonies.  

Pour Marwa, il ne fait aucun doute, "tous les responsables sont complices de ces massacres et de ce sang versé" dans le pays. 

"Etat absent"

Ce nouveau drame au Liban intervient alors que les hôpitaux, en pleine hémorragie depuis le début de la crise économique il y a deux ans, encourent aujourd'hui le risque de fermeture totale, faute de courant mais aussi de diesel pour faire fonctionner les générateurs électriques privés. 

"L'Etat n'est pas conscient de ce qui se passe au Liban, il est absent", déplore dans un couloir le directeur de l'hôpital Geitawi, Pierre Yared. 

"Les autorités ne réagissent pas à nos doléances (...) les hôpitaux sont dans un état critique, on manque de tout", affirme-t-il. 

Le soldat Ouday Khodr s'est lui retrouvé à Geitawi après avoir été transféré dans trois autres établissements qui ne pouvaient pas le soigner. 

Son père Mamdouh, attend anxieusement aux urgences. 

"Mon fils a payé un lourd tribut aux pénuries de carburants", dit-il. 

"Il brûle pendant qu'ils détruisent ce pays". 

"J'espère que leurs cœurs brûleront".