Ghali, si intelligent qu’il se met à dos un corps professionnel tout aussi important que celui des enseignants – Par Bilal Talidi 

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Ahmed Lahlimi, Commissaire général au Plan

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Il y a quelques jours, l’activiste des droithommiste au sein de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme, le dénommé Aziz Ghali, a fait des déclarations surprenantes sur la participation de 10 000 enseignants au recensement, affirmant que cette décision nuit à l'année scolaire et perturbe les études de plus de 400 000 élèves. Il ne s'est pas arrêté là, il a également qualifié les enseignants de cupidité et de manque de civisme, les accusant de détourner ainsi à leur profit les indemnités liées au recensement au détriment des diplômés chômeurs et des étudiants.

Pour l’amour du Buzz

En réalité, je vais temporairement essayer d'oublier l'appartenance de cet homme, ainsi que le type de discours qu'il a tenu au cours des quatre dernières années, et sa persistance à vouloir maladivement créer du "buzz", pour me concentrer sur l'idée qu'il a avancée, à savoir la nécessité de remplacer les enseignants par des chômeurs pour cette tâche.

Il n'est pas nécessaire de rappeler que le recensement est un enjeu national majeur, tout aussi important que l'éducation elle-même, car toutes les politiques et orientations stratégiques du pays, y compris les politiques éducatives et leurs perspectives, dépendent des données fournies par ce recensement national.

La deuxième observation qui mérite également d'être prise en compte est que ce recensement n'est pas seulement une opération technique numérique, mais une opération très complexe qui intègre plusieurs dimensions, notamment psychologiques, sociales, économiques et pédagogiques. Par conséquent, il est important de capitaliser sur l'expérience accumulée pour assurer le succès de cette opération dans le délai prévu. Cela signifie que les ressources humaines ayant déjà participé au recensement, ayant acquis les connaissances, compétences et formations nécessaires, sont en réalité plus aptes et plus efficaces à accomplir cette tâche par rapport aux nouvelles ressources humaines qui devront être formées, surtout pour certains niveaux de responsabilité au sein du recensement.

La troisième observation se fonde sur la précédente, à savoir que les données sociologiques confirment que trois catégories sont les plus proches du contact direct avec la population à travers le territoire : l'enseignant, l'agent d'autorité, et l'imam. Et puisque le rôle symbolique, moral et d'orientation de l'imam exige de préserver sa position et de l'éloigner de ces fonctions administratives et techniques, les deux autres catégories deviennent les principaux acteurs dans l'opération de recensement, garantissant compétence élevée associée à l’adhésion de la population habituée au contact de ces deux catégories. Professionnelles dans l’exercice de leurs fonctions.

Des objections fallacieuses

La quatrième observation, qui est essentielle, concerne l'impact du recensement sur le déroulement de l'année scolaire. Il ne fait aucun doute que 10 000 enseignants, ce n'est pas un petit chiffre, mais en revanche, ce n'est pas non plus un chiffre énorme comparé au nombre total des enseignants, personnel éducatif et administratif, qui, selon les indicateurs éducatifs publiés par le ministère de l'Éducation nationale pour l'année scolaire 2023-2024, s'élève à 278 627 dans l'enseignement public des trois niveaux (primaire, collège et lycée), et à 28 957 dans le personnel administratif. Le pourcentage de ceux qui devraient participer au recensement parmi ces deux groupes est d'environ 3 %, en supposant que l'enseignement privé ne pose pas de problème.

L'analyse des chiffres semble trompeuse, car la gestion du temps scolaire au Maroc, selon la carte scolaire, implique deux éléments : la gestion du déficit et la gestion de l'excédent. Alors que certaines écoles connaissent un déficit qui est comblé chaque année par l'organisation de concours de recrutement des enseignants, ou par une politique de redéploiement, la gestion de l'excédent ne dispose pas d'un cadre juridique adéquat pour employer les enseignants excédentaires de manière régulière, ce qui oblige à compléter les heures de cours par des activités de soutien, ou à répartir les heures d'enseignement de manière à ce que leur emploi du temps soit inférieur au nombre d'heures légales, auquel s'ajoutent les heures de soutien qui sont souvent non mises en œuvre en raison de problèmes liés aux salles de classe, au calendrier scolaire, et à la difficulté de rassembler les élèves en difficulté de différentes classes en une seule session.

Il est regrettable que ces considérations détaillées soient absentes de l'analyse de la mobilisation des enseignants dans le chiffre, au vu de ce qui précède, n’égale pas le nombre d'enseignants qui se trouvent en situation de "surplus" total ou partiel. Ainsi le discours sur la perturbation des classes de 10 000 enseignants, , perd toute crédibilité scientifique et indique que le personnage Ghali ne soucie guère des données objectives qui confirmer ou infirmer son point de vue n’étant intéressé que le bruit qu’il cherche à créer. Outre évidemment la position de Ghali lorsqu’il lui importait peu l’année blanche au moment de la dernière grève des enseignant qui trouvaient alors grâce à ses yeux.

Un autre facteur important est la répartition géographique de ce chiffre. Si l'on appliquait la même logique statistique et que l'on divisait ce chiffre de 10 000 par le nombre de directions provinciales, qui sont estimées à plus de 70, le nombre d'enseignants participant au recensement ne dépasserait pas 143 enseignants par direction, toutes spécialités confondues, un nombre très faible qui peut être facilement absorbé en complétant les heures d'enseignement régulières.

Idéologiquement attardé

Je ne dispose pas de statistiques précises sur les enseignants participants au recensement pour lesquels il serait difficile de compenser les heures de cours en septembre, mais il est certain que les mesures des directions provinciales sont toujours efficaces en matière de gestion des déficits, si des options sont disponibles. Il existe également d'autres options pour rattraper les heures non compensées si le nombre restant est limité.

La dernière observation concerne l'indemnisation pour la participation au recensement, à travers laquelle Ghali a tenté de dénigrer le civisme des enseignants, les décrivant comme avides d’argent et indifférents au calendrier scolaire et à l'avenir des générations.

En réalité, l'approche basée sur le droit ne fournit aucun argument dans ce contexte. Le principe du « travail contre rémunération » est un principe juridique, social et légitime, commun à tous les secteurs et responsabilités dans tous les pays et expériences. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de perdre du temps à répondre à sa valeur, car il ne repose sur aucun fondement solide. Peut-être que Ghali avait autre chose en tête en soulevant ce point, ce que nous aborderons à la fin de cet article.

Ghali a essayé de partir d'un argument légitime concernant la protection du temps scolaire pour l'utiliser comme base afin d’atteindre d’autres objectifs à la fois : embarrasser l'État en l'accusant de ne pas se soucier de l'avenir de 40 000 élèves, ouvrir une bataille médiatique avec les enseignants dans le but de créer par (im)pur nombrilisme un maximum de « buzz » , et last but not least, ce qui est le plus grave, troubler intentionnellement, en semant la confusion autour de deux missions importantes : l'opération de recensement et la rentrée scolaire.

Il y a de nombreuses précautions à prendre en considération par rapport à la proposition de Ghali de recourir aux chômeurs pour effectuer la tâche du recensement. En plus du fait que cela signifie sacrifier des ressources humaines qui ont accumulé une expérience significative dans le domaine du recensement et qui possèdent des qualifications sociologiques et pédagogiques les rendant aptes à accomplir cette tâche de la meilleure manière, aucun pays jouissant d'un capital fort, comme la stabilité politique, ne peut permettre à un groupe socialement mécontent de parcourir le pays de long en large, de rencontrer toutes les couches de la société pendant un mois entier pour mener campagne et probablement chercher à créer des troubles qui réduiraient à néant le recensement. Dans l’esprit, qui en est idéologiquement encore aux années soixante-dix du siècle dernier, cette opportunité comme une « occasion historique » de former un parti révolutionnaire (Lénine), des cellules révolutionnaires paysannes dans les campagnes (Mao), ou de rassembler le mouvement des marginaux et des exclus parmi les étudiants et les ouvriers (Marcuse).  

Pour que le débat soit fondé et objectif, Ghali aurait dû se limiter à un seul argument concernant l'impact de la participation des enseignants à l'opération de recensement sur le déroulement de l'année scolaire, et poser une question raisonnable sur les mesures que le ministère prendra pour éviter tout impact négatif présumé. Il aurait dû également inclure dans son débat toutes les considérations objectives relatives aux conditions de réussite à la fois du recensement et de la rentrée scolaire, ainsi que les possibilités et les contraintes résultant de l'interférence entre ces deux opérations et les options sur lesquelles on peut compter pour réussir les deux enjeux. Mais là n’est pas son intérêt.

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