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Maroc-Canaries : Un président brise les chaines du passé – Par Omar Dahbi
Le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita et le président du gouvernement autonome de l'archipel, Fernando Clavijo
Dans un contexte géopolitique mondial marqué par la course au positionnement économique, la compétition technologique, la bataille pour la sécurisation du nexus Eau-Énergie-Alimentation, et de nombreux autres défis globaux complexes, la coopération entre le Maroc et les Canaries apparaît plus stratégique que jamais. Alors que l'Europe, à l’instar des autres puissances, cherche à renforcer ses liens avec l'Afrique et que les enjeux liés à la durabilité, à la sécurité énergétique et au changement climatique deviennent de plus en plus pressants, les relations entre ces deux territoires voisins, aux réalités complémentaires et aux besoins convergents, devraient, à court terme, prendre un tournant majeur.
Pour les Canaries, cette coopération représente non seulement une opportunité de consolider sa position de pont entre l'Europe et l'Afrique, mais aussi de jouer un rôle clé dans la transition énergétique et scientifique du continent voisin. Pour le Maroc, elle permet de capitaliser sur les atouts canariens en matière de technologie, de recherche et d'innovation, tout en accélérant le développement économique et durable du royaume.
Le rapprochement entre le Maroc et les Canaries n’est donc pas simplement une question de voisinage géographique, mais une nécessité géopolitique pour les deux parties. Dans ce cadre, elles ont une occasion unique de travailler ensemble pour relever des défis communs, en mettant à profit leurs ressources et leurs savoir-faire respectifs. Pour comprendre cet enjeu, il est nécessaire d’explorer comment cette coopération peut être renforcée dans des secteurs clés tels que la science, la technologie et la durabilité, afin de contribuer mutuellement à façonner un avenir partagé, résilient et prospère pour la région.
Deux visites et une nouvelle approche
Pour enclencher une telle dynamique, il fallait d’abord poser les bases d’une volonté partagée de construire des ponts solides entre les deux parties. Une volonté dont les prémices se sont laissées entrevoir lors de la visite officielle effectuée au Maroc par le président du gouvernement autonome de l'archipel, Fernando Clavijo, et qui s’est manifestée de manière tangible à travers ses actions et ses déclarations à Rabat, puis, plus tard, à Marrakech, lors d’une seconde visite où il avait été accompagné d’une forte délégation, la plus grande jamais mobilisée pour un déplacement au Royaume.
Ce sont ces deux déplacements au Maroc, en l’espace de deux semaines seulement, qui laissent présager la naissance d’une nouvelle ère de coopération. Lors de la première visite, Clavijo avait rencontré le ministre marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, Nasser Bourita, tandis que, lors de la deuxième, il avait conduit une délégation de près de cinquante personnes, composée d’hommes d’affaires, de chercheurs, d’intellectuels, de scientifiques, ainsi que de représentants de startups et d’associations. Lors de cette visite, le président Clavijo a prononcé un discours que l’on peut qualifier de fondateur sur la voie du renforcement des liens entre le Maroc et l'archipel canarien dans le cadre de la coopération scientifique et technologique, marquant ainsi un tournant majeur.
Dans son intervention, il a mis en exergue plusieurs points clés qui structurent la vision de coopération entre les îles et le Maroc. Parmi ces éléments, certains méritent une attention particulière, car ils portent des projets ambitieux et concrets pour l'avenir.
Renforcement des liens scientifiques et technologiques
Au Maroc, le président canarien a souligné l'importance de la collaboration dans les domaines scientifique, technologique et éducatif. Cette coopération s’articule notamment autour des initiatives universitaires visant à transférer les résultats de la recherche scientifique vers l’industrie et la société. Clavijo a exprimé son admiration pour cette démarche et a encouragé la création de partenariats étroits entre les institutions marocaines et canariennes pour relever les défis mondiaux, notamment ceux liés au changement climatique, à la transition énergétique et aux technologies marines.
Le programme "Africa Canarias Challenge"
Le programme "Africa Canarias Challenge", lancé en 2021, vise à renforcer la coopération entre les Canaries et l’Afrique, avec une attention particulière portée sur le Maroc. Financé par la Direction générale des Relations avec l'Afrique du gouvernement des Canaries et mis en œuvre par l'Association Canarienne des Startups, des Entreprises de Base Technologique et des Angel Investors (Emerge), ce programme a pour objectif de créer des ponts entre les universités, les centres de recherche, les startups et l’industrie. En intégrant le Maroc dans cette dynamique, Clavijo a souligné sa volonté d’encourager la collaboration dans des secteurs stratégiques tels que la biotechnologie, l'intelligence artificielle et les sciences des matériaux.
Renforcement des échanges dans le domaine de la recherche et de l’innovation
Selon la vision du président canarien, la coopération scientifique et technologique doit également passer par des projets communs dans des domaines d’avenir tels que l’intelligence artificielle, les énergies renouvelables et la biotechnologie. Il a souligné que les relations économiques et commerciales entre les deux parties doivent être renforcées pour favoriser l’émergence de projets innovants à l’échelle locale, régionale et internationale. Le Maroc, avec son dynamisme en matière d’innovation et de développement durable, représente un partenaire stratégique pour l'archipel canarien, notamment dans le cadre d’une collaboration pour des solutions technologiques et de transition énergétique.
Coopération multidimensionnelle
À Marrakech, Fernando Clavijo a insisté sur la nécessité, pour le Maroc et les Canaries, de travailler ensemble pour trouver des solutions communes à des défis universels, tels que le changement climatique, la pauvreté, la sécurité alimentaire et les pandémies. Au-delà de la coopération scientifique, il a souligné l'importance de s’attaquer à d'autres enjeux globaux, tels que la gestion des migrations et la mobilité humaine. Selon lui, une coopération efficace doit impliquer à la fois les secteurs public et privé, afin de créer des solutions durables qui répondent aux défis contemporains.
L’importance de la formation et de la valorisation des talents locaux
Parmi les points saillants de sa vision du développement de la coopération bilatérale, le président des Canaries a mis l’accent sur l’importance de l’éducation et de la formation pour relever les défis futurs. Pour lui, encourager la valorisation des talents locaux doit être une priorité. D’où la nécessité d’investir dans des projets d’éducation et de mobilité permettant l’échange de connaissances entre les deux régions. Ce faisant, les Canaries et le Maroc pourront non seulement renforcer leurs compétences respectives, mais aussi bénéficier d’un vivier de talents qualifiés pour porter des projets de grande envergure.
Investir dans des projets concrets
Clavijo a proposé de créer un cadre de coopération qui soutienne des projets concrets dans des secteurs de pointe, tels que l’astronomie, la biotechnologie et les industries maritimes. Il a cité des exemples de collaborations réussies avec des entreprises canariennes, comme Subsea Mechatronics (spécialisée en robotique sous-marine) et Ewaste (dans le recyclage des composants électroniques), qui peuvent inspirer les entreprises marocaines à saisir les opportunités offertes par les énergies marines et l’impression 3D.
Un modèle de coopération exemplaire
Pour le président de l'archipel canarien, la coopération entre les Canaries et le Maroc doit devenir un modèle pour d’autres régions européennes et africaines. Il a plaidé pour une approche inclusive et collaborative, où les acteurs publics et privés travaillent main dans la main pour promouvoir un développement économique durable et responsable. Cette vision repose sur un partenariat équilibré, où les deux régions se complètent et tirent profit des forces respectives.
L'Institut d’Astrophysique des Canaries
Fernando Clavijo ne pouvait pas ne pas évoquer ce joyau de la science de renommée mondiale qu’est l'Institut d'Astrophysique des Canaries (IAC). Un lieu vénéré par la communauté des spécialistes de ce domaine. L’IAC est reconnu à l’échelle internationale pour son excellence en matière de recherche astrophysique, avec des installations telles que l'Observatoire du Teide (Tenerife) et l'Observatoire du Roque de los Muchachos (La Palma). Ces observatoires, situés dans des zones géographiques privilégiées pour l'observation astronomique, accueillent des télescopes de pointe opérés par des consortiums internationaux. Le Maroc, avec son ambition de développer une expertise en sciences de l'univers, pourrait tirer parti de cette expertise pour renforcer ses propres capacités dans le domaine de l'astronomie, des sciences spatiales et des technologies de pointe associées.
Une approche nouvelle et prometteuse
L’approche adoptée par Fernando Clavijo marque un tournant dans les relations entre le Maroc et les Canaries. En adoptant une attitude positive et constructive, le président canarien a non seulement rompu avec les anciennes approches axées sur des tensions, notamment sur la question du Sahara et de l’immigration, mais il a aussi ouvert la voie à des perspectives de coopération mutuellement bénéfiques. Sa décision courageuse de s’aligner et de soutenir la position du gouvernement central espagnol sur la question du Sahara, tout en promouvant la coopération avec le Maroc dans des domaines tels que la science, la technologie et l’innovation, reflète une vision pragmatique et ambitieuse de l’avenir des relations bilatérales. Cette approche, annoncée et expliquée par Clavijo en personne à Marrakech, ne manquera pas de porter ses fruits. Le message a certainement été entendu et bien compris. Le Maroc, qui prône une politique de co-développement et de renforcement des liens de coopération dans la région de la façade atlantique de l’Afrique, ne peut qu’adhérer à cette vision qui met en avant des projets plaçant le développement humain en tête de ses priorités.