société
Au Maroc, la crise au service de l’autoritarisme ?
Accrocheur, « Au Maroc, la crise sanitaire au service de l'autoritarisme », le titre d’une tribune, publiée, dans un journal français, ne pouvait passer inaperçue ni laisser indiffèrent. Son auteur, un canadien possiblement d’origine marocaine, est un professeur à l’Université de Toronto. Outre que le papier, indigeste et saugrenu, est un manifeste spécimen d’escroquerie intellectuelle, on reste dubitatif sur les raisons qui ont poussé Libé à valider sa publication.
Passons sur la forme d’abord. Confiné au Canada, à près de 7000 km des côtes marocaines, « un politologue » développe une analyse sur la crise sanitaire et sa gestion par le Maroc. Anglophone, il prend le soin d’écrire son papier en français, le passe dans un journal parisien, pour faire parvenir un message, à qui veut l’entendre, à Rabat. Il n’est pas le seul à procéder de la sorte. Cette manie de s’adresser au Royaume en passant par la presse européenne, en plus d’être vicieuse et venimeuse, est à gerber. Loin de participer de la circulation des idées, c’est du jeu de billard à trois bandes.
Sur le fond, qu’apprend-on de cette billevesée ? Notre agrégé qui, soit-dit en passant, détrousse abusivement la pensée d’un économiste américain dont il appauvrit considérablement l’esprit, entend dévoiler les obscurs et ténébreux desseins de l’Etat marocain dans sa gestion de l’actuelle crise mondiale. Face l’épidémie, l’effort consentit par le Maroc vise à assurer une subsistance minimale à sa population afin « de permettre aux institutions extractives de l’Etat de continuer à fonctionner ». En d’autres termes, l’Etat marocain, loin de remplir, dans des circonstances exceptionnelles, sa fonction régalienne de protection de sa population, ne chercherait qu’à la préserver pour mieux la dépouiller, au lendemain de la crise. Pour ceux qui n’ont pas encore compris, tellement c’est retors, l’Etat marocain est un bandit de grands chemins qui ne vise qu’une chose : protéger la bête pour mieux l’équarrir plus tard. Il ne faut donc voir dans l’expérience marocaine, unanimement louée par ailleurs, qu’une entreprise mafieuse opérées par un ramassis de malfrats, à la tête du pays.
Mieux encore. La coronavirus, bête immonde s’avère pour l’Etat marocain, et toujours selon notre analyste, comme une aubaine miraculeuse. Elle lui offre l’exceptionnelle opportunité qui, en plus de conforter son réflexe de brigand, renforce sa logique sécuritaire que la logorrhée sur la solidarité a du mal à dissimuler. Pour preuve, la « loi punitive » qui se prépare pour museler les réseaux sociaux : « Le succès sécuritaire et sanitaire cache mal ce que des observateurs minoritaires perçoivent déjà comme l'avènement d’un régime autoritaire qui se consolide sous nos yeux », conclura-t-il. Notre agrégé ferait donc partie de ces « observateurs minoritaires » s’octroyant ainsi un capital symbolique, riche qu’il est par une clairvoyance de visionnaire.
Commençons par évacuer un point de détail. Contrairement à ce que notre politologue affirme, le débat sur la « punitive loi » N922-20, infirme, en partie, sa thèse sur l’autoritarisme. Face aux protestations marocaines et non pas canadiennes, le ministre de la justice a retiré son projet. N’est-ce pas là une preuve, en plein confinement, d’une vitalité démocratique.
Toutefois, et en termes de cachotteries, on est, dans la circonstance, bien servi. Les atours académiques et le diplôme, arboré comme une armure, cachent mal les niaiseries de notre agrégé. L’expression « hors sol » a été inventé pour ce type d’énergumène. Et son papier est doublement hors sol. Alors qu’il est confiné au Canada, il développe une analyse théorique, biscornue et perverse sur la nouvelle expérience de l’Etat marocain, qu’il n’a aucun moyen de discerner puisqu’il ne la vit pas in situ. Ceci sans compter son mal à se départir de ses propres présupposés (j’y reviendrai).
L’honnêteté intellectuelle, puisque c’est de ça qu’il s’agit, aurait voulu que notre agrégé fasse le parallèle entre la situation canadienne et la marocaine. Aussi bien pour la richesse que pour le territoire, les deux pays sont aux antipodes. En revanche, pour la démographie, ils sont similaires. Pour une population de 37 millions d’habitants, le Canada à 62000 contaminés et déjà plus de 4000 morts. Il en a combien le Maroc ?
Il ne suffit pas de galvauder des mots aphrodisiaques pour avoir raison. En science politique, l’autoritarisme a une signification précise. Et l’expression « sécuritaire » n’est en réalité qu’un adjectif péjoratif et disqualifiant. Dans la réalité, l’autoritarisme est le pire ennemi de l’autorité. En revanche, la sécurité publique et surtout sanitaire est, dans tous les pays du monde, une puissante demande sociale. A moins que notre politologue ne soit animé par d’inavoués désirs, comme celui d’assister à une pandémie qui ravagerait les Marocains pour qu’enfin soit dévoilée l’indigence de l’Etat marocain, on a du mal à comprendre où il veut en venir.
En plus de l’ébranlement, et exception faite de certains inconscients, le Marocain vit stoïquement un double confinement. A la rigueur du Codiv 19 s’est ajouté une expérience ramadanesque inédite. Les prières nocturnes lui manquent peut-être. Pas la nourriture. Il sait gré à son Etat de lui assurer des étals achalandés. Ils débordent de belles tomates, l’oignon rouge est bio. Trois oranges peuvent faire un demi litre de jus enivrant. Le poisson est frais, affriolant comme l’est tout aussi bien la viande. Sans compter que la saison de fruit commence à livrer ses succulentes saveurs. Mais surtout, la spéculation est contenue et les prix affichés restent raisonnables et accessibles. Le pays a une âme insulaire et il est à parier qu’un Marocain nouveau surgira de cet épisode. Le Marocain, brouillon d’habitude, a appris à se discipliner. Il fait la queue et attend son tour, ce qu’avant cette expérience, il négligeait prodigieusement. Il se conforme aux gestes barrières et porte fièrement, comme un trophée, un masque, localement produit. Ce n’est pas là le résultat d’un autoritarisme échevelé. Ce n’est non plus du panurgisme. C’est de l’adhésion de tout un peuple qu’il s’agit.
Enfin last but not least, un mot sur les présupposés de notre analyste. « Quand le singe veut monter haut au cocotier » disent les Africains « il faut qu’il ait les fesses propres ». Poussé par la curiosité et frappé par l’absence, dans cette analyse, de la personne du roi, central dans le dispositif, et surtout du concept « Makhzen », pour peu qu’on fouine, on trouve un article commis par ce personnage alors qu’il était encore doctorant à Montréal, à l’Université McGill. Un mois et demi après le referendum sur la constitution, à ses yeux, « cosmétique », il avait publié, le 15/08/2011, dans feu Lakome d’Ali Anouzla, un article où il subodorait, pas moins que la « prochaine disparition de la monarchie » dont la base populaire allait fatalement « s‘éroder ». Piètre prétention oraculaire.
Soyons magnanimes. On peut pardonner à un étudiant ses anciennes et défroquées certitudes, ses convictions « févrieristes », son « adlisme » obtus ou ses errements « anahjistes », bref, sa fascination pour tout ce que le Maroc compte comme boutefeux. Pas à un professeur et un agrégé qui dévoie, de manière vengeresse, le statut universitaire pour le recycler au service de son propre désenchantement.
Il est vrai, cependant, qu’il n’y a que les imbéciles ne changent pas d’avis.